B. Apparition de nouvelles formes d’organisation

I. Projets d’organisation entre 1968 et 1975

a) Les assises des bibliothèques en juillet 1968

Les assises nationales des bibliothèques, qui se tinrent à la Bibliothèque nationale en juillet 1968, ont été marquées par un esprit de remise en cause des institutions existantes caractéristique de cette période. A plusieurs égards, elles ont essayé de combiner dans un équilibre précaire certaines revendications présentées par le personnel en vue de son association aux décisions avec des demandes de caractère institutionnel émanant de responsables de bibliothèques. Les rapports de quatre commissions présentent un intérêt pour les bibliothèques universitaires : ce sont ceux de la commission administrative générale, de la commission de la formation professionnelle, de la commission des bibliothèques universitaires et de la commission des bibliothèques de recherche. Dans l’ensemble, les rapports de ces commissions ont eu peu d’influence sur l’organisation réelle des bibliothèques universitaires et des administrations dont elles relevaient. 568

La contribution de la commission administrative générale a concerné principalement l’organisation de l’administration centrale. Elle a pris une position favorable au maintien d’une administration commune des bibliothèques au ministère de l’éducation nationale, mais a demandé la séparation des fonctions de directeur des bibliothèques et d’administrateur général de la Bibliothèque nationale, et un nombre plus important d’inspecteurs généraux des bibliothèques. Elle a proposé l’institution d’un organe nouveau, le conseil national des bibliothèques, qui aurait été chargé de déterminer la politique générale des bibliothèques, et aurait compris cinquante à soixante membres. La commission s’est aussi prononcée en faveur du développement du service technique de la direction des bibliothèques. Le rôle de ce service devait s’exercer en matière de construction et d’équipement de bibliothèques, d’automatisation, de coordination bibliographique, de catalogage centralisé et de classification. Il devait comporter quatre bureaux chargés respectivement de recherche et planification, de constructions, d’équipement technique, et d’organisation et méthodes, et des structures de coordination chargées des bibliothèques universitaires et des bibliothèques publiques. On remarque que l’existence d’un organe chargé de fonctions de recherche et de planification avait été prévue, ainsi que celle d’un bureau compétent pour l’organisation et la rationalisation des opérations bibliothéconomiques ; l’idée d’un bureau de coordination pour les bibliothèques universitaires a reçu une traduction concrète par la création de la section des bibliothèques d’étude et de recherche du service technique en 1970. 569

La commission de la formation professionnelle s’est montrée soucieuse de faire droit à certaines demandes de participation à l’organisation du travail, tout en préservant le principe de la responsabilité hiérarchique. Elle a donc procédé à une définition assez précise des attributions de chaque catégorie de personnel. En ce qui concerne la formation des conservateurs par l’Ecole nationale supérieure de bibliothécaires, la commission n’a présenté que des propositions formelles, tendant à ajouter aux trois comités prévus par des débats antérieurs un comité des études chargé de formuler des propositions sur l’organisation générale de la scolarité. On remarque dans cette contribution l’absence de toute proposition relative au contenu de la formation, notamment sur la question de la spécialisation scientifique des conservateurs, qui avait été considérée comme l’un des principaux enjeux de la réforme de la formation au début des années 1960. Cela pourrait être un indice du fait que la profession était divisée sur cette orientation, ou même qu’elle y était opposée. 570

La commission des bibliothèques universitaires a produit une contribution dans laquelle ont été privilégiés deux aspects : le rôle et les structures de ces bibliothèques, le second élément recevant d’ailleurs un traitement plus détaillé que le premier. En ce qui concerne les missions, on remarque une ressemblance avec celles qui ont été assignées un peu plus tard à la section lettres et sciences humaines de la bibliothèque interuniversitaire de Lyon (Bron-Parilly). Cette proximité pourrait être due soit à « l’air du temps », qui facilitait la diffusion de ces idées, soit à une influence lyonnaise au sein de la commission. En ce qui concerne les étudiants, on considérait que le déclin du cours magistral allait donner une importance plus grande au travail de recherche individuel et en groupe, ce qui aurait pour conséquence une fréquentation accrue des bibliothèques. Celles-ci devaient donc se préparer à jouer pleinement leur rôle d’initiation à la recherche documentaire. Dans le domaine de la recherche, les bibliothèques universitaires devaient répondre à des besoins de synthèse des apports de chaque discipline et de facilitation des relations entre les disciplines. Pour la documentation spécialisée, elles devaient en acquérir une partie, mais aussi collaborer avec les organismes qui s’intéressaient aux mêmes domaines. Elles s’acquitteraient de leur fonction d’auxiliaires de la recherche en participant à l’évolution des techniques bibliothéconomiques et documentaires, et en facilitant leur diffusion. Leur rôle devait s’étendre à la documentation régionale, sans négliger les entreprises de coopération nationale et internationale. Enfin, elles ne devaient pas négliger les besoins relatifs à la culture générale des étudiants.

Il est facile de retrouver, dans l’énoncé de ces missions, la marque de conceptions qui ont été défendues en diverses occasions par le directeur de la bibliothèque universitaire de Lyon, J.-L. Rocher. Qu’il s’agisse de la culture générale des étudiants, de la part prise dans l’évolution pédagogique par les travaux personnels, de l’orientation vers des sources d’information spécialisées pour la recherche et même de l’intérêt pour la documentation régionale, ces thèmes font partie de ceux sur lesquels il avait insisté dans des journées d’étude, des publications ou des colloques antérieurs, et qui ont été pris en considération dans la conception des deux sections nouvelles créées à Lyon : la section sciences de La Doua, et la section lettres et sciences humaines de Bron-Parilly.

La question des structures des bibliothèques universitaires a fait l’objet d’un traitement détaillé. Sur le plan des principes, ont été affirmés simultanément l’unité administrative de la bibliothèque universitaire et la nécessité d’une certaine décentralisation des responsabilités. En ce qui concerne l’organisation administrative, la commission des bibliothèques universitaires proposa de faire des bibliothèques universitaires des établissements publics dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière. Dans le cadre de ce statut, des pouvoirs étendus auraient été conférés à un « comité de la bibliothèque » d’orientation à la fois corporatiste et autogestionnaire, puisque les personnels de la bibliothèque y auraient siégé en majorité et que les pouvoirs du directeur auraient consisté principalement à préparer les délibérations de ce comité et à veiller à leur exécution. Des risques de conflits entre ces deux pouvoirs auraient cependant existé ; sans autre précision, la commission proposa qu’ils fussent soumis à l’arbitrage de l’administration centrale, qui se serait ainsi trouvée impliquée dans de nombreux différends locaux. On remarque aussi que cette organisation administrative aurait eu pour effet de supprimer tout lien organique entre les universités et les bibliothèques universitaires, ce qui témoigne de la persistance d’une tendance déjà exprimée au début des années 1940 par certains professionnels.

Les sections auraient disposé d’une autonomie de gestion, sous l’autorité d’un chef de service responsable devant le directeur et le comité de la bibliothèque. Trois organes consultatifs étaient placés au niveau de la section : un comité scientifique et un comité intérieur, tous deux composés de représentants du personnel ; et une commission de la bibliothèque, constituée par les deux comités précédents auxquels s’ajoutaient des représentants des utilisateurs. Ce régime de comités, dans lesquels prédominait la représentation des personnels, semblait conçu pour favoriser une participation à usage exclusivement interne, et présentait des risques importants de paralysie.

D’autres thèmes n’avaient pas été étudiés par la commission, mais ont été mentionnés : celui des structures administratives nationales et régionales, celui de la coordination des différents types de bibliothèques (la profession était alors préoccupée par les bibliothèques d’instituts universitaires de technologie, qui avaient été constituées en dehors des bibliothèques universitaires), les moyens budgétaires et le personnel. 571

C’est dans le rapport de la commission des bibliothèques de recherche, que l’on voit apparaître le thème de la spécialisation scientifique des bibliothécaires affectés à ces bibliothèques. Celles-ci comprenaient, selon la commission, les bibliothèques d’instituts, de laboratoires, de musées, de grands établissements et de grandes écoles. La fonction des « bibliothécaires de recherche » exigeait à la fois des compétences administratives, documentaires et scientifiques. Ils devaient donc bénéficier d’une formation professionnelle plus complète, avec spécialisation en techniques modernes de documentation, et d’une formation scientifique du niveau du troisième cycle. Par leur prise en considération de la spécialisation scientifique, ces conclusions différaient beaucoup des propositions de caractère principalement administratif qui avaient été présentées par la commission de la formation professionnelle. 572

Dans l’ensemble, les propositions issues des assises des bibliothèques de juillet 1968 témoignent surtout de l’effervescence qui régnait alors dans la profession, et à travers laquelle s’exprimaient aussi bien des positions résultant d’une réflexion sur les conditions nouvelles de l’enseignement supérieur et de la recherche que des revendications à caractère autogestionnaire et corporatiste. Mais au-delà de cette fonction de témoignage, elles n’ont eu qu’une influence très réduite sur les mesures d’organisation administrative des bibliothèques universitaires qui ont été prises au début des années 1970.

Notes
568.

« Les Assises nationales des bibliothèques, 8-10 juillet 1968 », Bulletin d’informations, Association des bibliothécaires français, nouvelle série, n° 61, 4e trimestre 1968, p. 253-271.

569.

« Les Assises nationales des bibliothèques, 8-10 juillet 1968 », op. cit., p. 254-257. L’absence, dans les structures de la direction des bibliothèques, d’un service de recherche a été remarquée par H. Comte, qui y a vu une explication possible du fait que « la D.B.L.P. a eu tendance à se laisser accaparer par les tâches quotidiennes de gestion et d’administration, au détriment de son rôle en matière de réflexion et d’étude pour le moyen et long terme ». H. Comte, Les Bibliothèques publiques en France, op. cit., p. 176.

570.

« Les Assises nationales des bibliothèques, 8-10 juillet 1968 », op. cit., p. 257-259.

571.

« Les Assises nationales des bibliothèques, 8-10 juillet 1968 », op. cit., p. 261-264.

572.

« Les Assises nationales des bibliothèques, 8-10 juillet 1968 », op. cit., p. 264-266.