C. L’organisation en réseau des bibliothèques universitaires et les innovations techniques

I. Le dispositif d’information statistique et le souci de la gestion

Le système d’information statistique sur les bibliothèques universitaires françaises de province au cours de la période de 1964 à 1985 n’est pas complet puisqu’il ne couvre que les années de 1974 à 1985, à l’exception de l’année 1978, dont les résultats n’ont pas été publiés. En outre, la continuité des données recueillies et publiées entre 1974 et 1985 n’est pas parfaite. Ces variations tiennent à la fois à la diversité des fonctions qui ont été assignées aux enquêtes statistiques, et aux priorités changeantes des administrations chargées des bibliothèques universitaires. Ce défaut d’homogénéité rend l’utilisation des données recueillies difficile pour une étude portant sur une période relativement longue.

La direction des bibliothèques et de la lecture publique a demandé aux bibliothèques universitaires des données statistiques sur les principaux aspects de leur fonctionnement entre 1947 et 1967 environ. Ces informations étaient annexées au rapport annuel envoyé par ces bibliothèques et divisées en deux parties, l’une relative au service du public (fréquentation de la bibliothèque, communication et prêt de documents) et l’autre au service intérieur (nombre de livres acquis et nombre de périodiques en cours). Les données ainsi recueillies n’ont été publiées que partiellement. Elles répondaient essentiellement à un besoin d’information de l’administration centrale sur l’activité des services qu’elle subventionnait. 582

Pour des raisons mal connues, la direction des bibliothèques n’a plus demandé de rapport d’activité aux bibliothèques universitaires à partir de 1968. Il y a donc, en ce qui concerne les données publiées, une interruption de 1961 à 1973, qui correspond à une période clé de l’histoire des bibliothèques universitaires, celle de la création d’un grand nombre de sections. En ce qui concerne les données archivées mais non publiées, l’interruption est moins longue (1968-1973), mais n’en est pas moins importante. Globalement, cette absence de données statistiques pendant plusieurs années constitue un obstacle qui ne doit pas être sous-estimé pour l’évaluation de l’activité des bibliothèques universitaires françaises. 583

A partir de 1976 pour les données de l’année 1974, une nouvelle enquête statistique annuelle fut lancée par le service des bibliothèques avec les objectifs suivants : répondre à la demande d’informations statistiques sur le plan national et international, et fournir à l’administration centrale les données principales sur l’activité des bibliothèques universitaires, notamment pour faciliter la répartition des moyens, la planification, la programmation et le développement de la coordination documentaire au sein des universités. Subsidiairement, l’enquête devait aussi permettre à chaque bibliothèque universitaire d’analyser et d’évaluer son activité et sa gestion. On voyait ainsi apparaître, à côté des objectifs classiques de l’information statistique, celui d’une évaluation dans deux directions : comparaison dans le temps entre les résultats obtenus par une même bibliothèque universitaire, et comparaison des bibliothèques universitaires entre elles.

Sur le plan pratique, l’enquête statistique annuelle était composée de deux types de questionnaires, dont un questionnaire unique destiné à recueillir des données sur chaque bibliothèque universitaire dans son ensemble « prise comme unité administrative » ; ces renseignements étaient principalement d’ordre financier et concernaient la répartition des recettes et des dépenses par grandes masses. Un autre type de questionnaire était destiné aux sections et sous-sections éventuelles, et visait à recueillir des informations relatives au fonctionnement bibliothéconomique : fréquentation, communication et prêt de documents, état et accroissement des collections, reliure, ainsi que des données générales sur les locaux et leur équipement et sur la dotation en emplois. Cette structure est restée une constante de ces enquêtes statistiques jusqu’à présent, bien que le nombre et la nature des renseignements demandés aient évolué au cours des années. Cependant, alors que les informations bibliothéconomiques ont toujours été demandées par section, la publication des résultats n’a jamais été faite à ce niveau. 584

La variation des demandes de renseignements a reflété l’évolution des préoccupations et des priorités des administrations centrales chargées des bibliothèques universitaires. Le mode de publication des renseignements recueillis a lui-même beaucoup varié. Certaines données n’ont pas été recueillies de manière continue depuis le début, ou encore n’ont pas toujours été publiées sous la même forme. Les facteurs de variation sont divers. Il peut s’agir de données de même nature publiées sous la forme d’une valeur absolue ou d’une valeur relative (en pourcentage), ou encore de la présentation de certains résultats par type de section (les sections droit, les sections lettres, etc. dans leur ensemble) ou bibliothèque par bibliothèque. Ce dernier type de présentation a fini par se généraliser, alors que la publication de données par type de section est plutôt une caractéristique des résultats des premières enquêtes statistiques. Les hésitations entre la publication de résultats détaillés et celle d’indicateurs plus synthétiques manifestent la difficulté de choisir entre la publication de résultats bruts, d’un caractère austère mais rigoureux, et celle de chiffres globaux et plus parlants. Elles sont elles-mêmes liées à des hésitations dans l’utilisation prévues de ces données, utilisation dans laquelle les soucis de comparabilité dans le temps ne semblent pas avoir été les plus importants. D’autres variations ont un aspect plus « politique », et répondent soit à la volonté de mettre en évidence un aspect des fonctions des bibliothèques universitaires considéré comme déterminant (la fréquentation, par exemple), soit au souci des administrations qui recueillaient les résultats des enquêtes et qui les préparaient pour la publication de mettre en valeur certains aspects de leur action, ou de donner à certains résultats peu flatteurs une apparence plus acceptable. Il en est ainsi, par exemple, quand la publication des résultats s’ouvre sur une estimation de l’état général des collections existantes, qui produit des chiffres impressionnants mais peu significatifs, ou quand il est fait masse de subventions de diverses origines pour minorer la faiblesse de l’évolution des subventions ordinaires de fonctionnement. Toutes ces variations sont inévitables, dans la mesure où la présentation des informations statistiques a été et reste placée sous le contrôle d’une administration qui est en même temps un acteur de la politique dont les résultats sont ainsi exposés. On doit cependant regretter le fait qu’une approche administrative (bibliothèque par bibliothèque, toutes sections confondues) ait été systématiquement privilégiée par rapport à une présentation plus respectueuse de la diversité des disciplines, qui aurait conduit à publier plutôt les résultats section par section. 585

Il faut regretter aussi que la part dans les informations publiées des bibliothèques universitaires de province ne soit pas toujours possible à identifier. Nous serons donc conduits, dans la partie de ce chapitre consacrée aux moyens, à utiliser le plus souvent des indicateurs valables pour l’ensemble des bibliothèques universitaires.

L’un des objectifs du lancement de l’enquête statistique annuelle auprès des bibliothèques universitaires en 1976 avait été d’aider les bibliothèques universitaires à améliorer l’analyse de leur activité et de leur gestion. Comme la circulaire du 15 mars 1976 relative au rôle des conservateurs chargés de section, cet objectif manifestait l’apparition de préoccupations relatives à la gestion des bibliothèques universitaires. L’amélioration sur ce plan supposait aussi la formation des responsables de ces bibliothèques. Vers la même date, des directeurs de bibliothèque universitaire et des conservateurs chargés de section ont donc été incités à participer à des stages d’organisation et méthodes organisés par un service du ministère chargé des finances, et centrés essentiellement sur la rationalisation des processus de travail. Cet intérêt tardif pour ces questions n’a pas provoqué d’interrogations sur le mode d’organisation particulier des bibliothèques universitaires divisées en sections. 586

Après la création de la direction des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique et technique, qui succéda au service des bibliothèques en 1982, les préoccupations relatives à la direction des bibliothèques universitaires ont pris plus d’importance, et se sont concrétisées par le projet de réalisation d’un « tableau de bord » conçu comme un instrument d’analyse et d’aide aux décisions sur le plan local, par une attention plus soutenue accordée au recrutement des directeurs de bibliothèque universitaire, et par la mise en place de stages de formation continue sur les techniques de direction réservés aux responsables de ces bibliothèques. 587

Notes
582.

Des statistiques recueillies avant 1968, n’ont été publiés que des tableaux relatifs aux années 1953 à 1960, d’abord dans le Bulletin d’information de la direction des bibliothèques de France puis dans le Bulletin des bibliothèques de France. Les références précises sont données à la suite de l’article de P. Carbone, « Statistiques et évaluation dans les bibliothèques universitaires françaises », Bulletin des bibliothèques de France, t. 34, n° 4, 1989, p. 374-381, article qui reprend le texte d’une communication présentée au congrès de l’I.F.L.A. (International federation of library associations ou Fédération internationale des associations de bibliothécaires) tenu à Paris en août 1989. Les rapports d’activité des bibliothèques universitaires, auxquels sont annexées les informations statistiques demandées par la direction des bibliothèques, sont conservés aux Archives nationales.

583.

Dans l’introduction à la publication des résultats de la première enquête statistique générale auprès des bibliothèques universitaires, il est indiqué que cette enquête, qui devait avoir une périodicité annuelle et porter sur l’année pénultième, « a remplacé les rapports annuels que ces services fournissaient à l’administration centrale et que cette dernière a cessé de demander systématiquement depuis une dizaine d’années ». « Enquête statistique générale auprès des bibliothèques universitaires (E.S.G.B.U.), synthèse des résultats obtenus pour 1974 », Bulletin des bibliothèques de France, t. 23, n° 1, janvier 1978, p. 1.

584.

Les résultats de l’enquête statistique générale auprès des bibliothèques universitaires ont été publiés, pour la période de 1974 à 1985, dans le Bulletin des bibliothèques de France jusqu’en 1984 et sous forme de fascicule indépendant pour l’année 1985. Les références précises de ces publications figurent à la suite de l’article de P. Carbone, « Statistiques et évaluation dans les bibliothèques universitaires françaises », op. cit. Pour des raisons mal connues, qui tiennent sans doute au caractère incomplet des informations recueillies, les résultats de l’enquête statistique de 1978 n’ont pas été publiés mais les questionnaires renseignés par les bibliothèques sont conservés aux Archives nationales (Centre des archives contemporaines de Fontainebleau).

585.

La critique du mode de présentation des résultats de l’enquête statistique annuelle qui est ici esquissée ne se retrouve pas dans les publications, peu nombreuses il est vrai, relatives à ces questions. Cette critique résulte du constat de la rareté et de l’absence de continuité des indicateurs spécifiques aux différentes sections, tant dans les résultats publiés que dans les questionnaires conservés aux Archives nationales. Une étude critique d’ensemble des enquêtes statistiques annuelles sur les bibliothèques universitaires françaises reste à faire. Le fait que ces enquêtes constituent le constat de performances passées, et soient mal adaptées à des objectifs d’évaluation, de planification et de gestion d’une bibliothèque universitaire a été relevé par P. Carbone, « Statistiques et évaluation dans les bibliothèques universitaires françaises », op. cit., p. 375.

586.

Un indice de la place grandissante prise par les préoccupations relatives à la gestion des bibliothèques est le fait que le congrès national de l’Association des bibliothécaires français organisé en 1977 à Lyon ait eu pour thème « Organisation et méthodes dans les bibliothèques françaises ». Bulletin d’informations, Association des bibliothécaires français, nouvelle série, n° 97, 4e trimestre 1977, p. 169-171 ; cf. aussi H. Comte, « Introduction à la gestion dans les bibliothèques », ibid., p. 179-182. Dans les propositions de trois associations professionnelles tendant à la création d’une sous-direction des bibliothèques universitaires en 1975, les objectifs de rationalisation étaient aussi bien présents. « Plan de réorganisation des bibliothèques universitaires présenté par l’Amicale des directeurs de bibliothèques universitaires, l’Association des bibliothécaires français, l’Association de l’E.N.S.B. », op. cit.

587.

Sur la question des « tableaux de bord », cf. P. Carbone, « Statistiques et évaluation dans les bibliothèques universitaires françaises », op. cit., p. 375-377. Sur la nomination des directeurs de bibliothèque universitaire, cf. « Fonctions de direction dans les bibliothèques et services relevant de la D.B.M.I.S.T. », Bulletin des bibliothèques de France, t. 30, 1985, n° 5, p. 440. Sur les orientations de la formation continue des personnels des bibliothèques à partir de 1975-1976, cf. « Actions de formation continue organisées par le service des bibliothèques », Bulletin des bibliothèques de France, t. 21, n° 9-10, septembre-octobre 1976, p. 472-474 ; « Actions de formation continue organisées par le service des bibliothèques, programme pour l’année 1977 », Bulletin des bibliothèques de France, t. 22, n° 8, août 1977, p. 540-541 ; M.-N. Marchizet, M.-T. Pouillias, « La Formation continue au service des bibliothèques de 1976 à 1980 », Bulletin des bibliothèques de France, t. 26, n° 11, novembre 1981, p. 591-614.