III. Les innovations techniques

a) L’informatisation des opérations bibliothéconomiques

Bien qu’une circulaire du 24 février 1976 eût présenté un plan ambitieux d’informatisation des bibliothèques universitaires françaises, plan qui constituait une partie du programme de travail de la division de la coopération et de l’automatisation (DICA) du service des bibliothèques, les premières applications de l’informatique aux opérations bibliothéconomiques ne virent le jour que vers 1982, après la création de la direction des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique et technique (D.B.M.I.S.T.). L’un des objectifs privilégiés de cette direction a été la modernisation des bibliothèques universitaires. Mais les contraintes budgétaires ne lui permirent pas de concevoir des opérations de grande ampleur. C’est pourquoi ne furent développés, dans un premier temps, que des applications informatiques modulaires, ne concernant qu’une seule opération bibliothéconomique (le prêt des documents, par exemple), et fondées sur l’utilisation de micro-ordinateurs. Cette première génération d’applications reçut le nom générique de MOBI, abréviation de micro-ordinateurs pour bibliothèques. L’application qui connut le développement le plus important fut celle qui permettait de gérer le prêt et la communication des documents (MOBIPRET, puis MOBIBOP). Elle équipait, vers le milieu des années 1980, à peu près la moitié des bibliothèques universitaires. A travers cette application basée sur des procédures relativement simples, les personnels des bibliothèques ont pu acquérir une première expérience du fonctionnement de certains logiciels de gestion de bibliothèque. Une autre application destinée aux laboratoires de recherche et dédiée à la gestion de la documentation (MOBIDOC) ne concernait pas directement les bibliothèques universitaires. Le logiciel d’assistance au catalogage MOBICAT a été mentionné avec les réseaux de fourniture de notices catalographiques, bien qu’il n’ait jamais fonctionné qu’en mode local. 597

Au moment où ces opérations furent lancées en 1982, la D.B.M.I.S.T. ne considérait ces applications modulaires sur micro-ordinateurs que comme une phase transitoire. Elle envisageait en effet une opération d’informatisation de grande ampleur, fondée sur un logiciel intégré de gestion de bibliothèque alors en cours d’adaptation à l’Institut universitaire européen de Florence et dénommé MEDICIS. Une première implantation était prévue sur un site pilote à la bibliothèque de l’université de Paris XI, avant la généralisation du système au cours de 1983. Ce calendrier était extrêmement court. L’utilisation de systèmes dédiés à une seule opération bibliothéconomique avait donc pour but d’introduire progressivement l’informatique dans les bibliothèques universitaires, tout en répondant à des besoins urgents de modernisation. Il faut noter que dans les plans de la D.B.M.I.S.T., la généralisation de MEDICIS n’excluait pas que le logiciel SIBIL fût aussi testé à la bibliothèque interuniversitaire de Montpellier. Ce double engagement avait probablement pour but d’éviter les inconvénients qui auraient pu résulter de l’adoption d’un système unique si celui-ci n’avait pas répondu aux espoirs placés en lui. SIBIL apparaissait ainsi tantôt comme un réseau de catalogage et tantôt comme un système intégré de gestion de bibliothèque, ce qui s’expliquait par sa nature hybride : ce logiciel était en effet conçu en premier lieu pour le catalogage partagé, mais avait aussi développé des fonctions de gestion des acquisitions et de prêt. C’est d’ailleurs l’ensemble de ces fonctions qui a été mis en service à Montpellier.

L’investissement très important que supposaient les développements nécessaires à la généralisation du système MEDICIS conduisit cependant la D.B.M.I.S.T. à renoncer à ce projet. Ainsi, vers le milieu des années 1980, il n’existait dans les bibliothèques universitaires françaises, à l’exception de celle de Montpellier, que des applications informatiques modulaires sur micro-ordinateurs, qui n’étaient cependant pas sans intérêt : elles avaient permis à la fois d’informatiser à faible coût certaines fonctions bibliothéconomiques, et elles avaient constitué pour le personnel un premier terrain d’expérience de l’informatisation. 598

Il apparaissait donc, après quelques années seulement de tentatives qui visaient à la modernisation en profondeur des bibliothèques universitaires françaises, que celles-ci étaient trop démunies pour supporter les coûts de l’informatisation et, chose plus grave, que celles qui pourraient envisager ces charges ne le feraient qu’en compromettant encore davantage leur capacité d’acquisition de documents. Elles risquaient ainsi de se trouver dotées de moyens de fonctionnement et de signalement perfectionnés, mais à la condition de renoncer à la possibilité d’acquérir des collections dignes d’être signalées. Ce conflit entre les besoins en équipement et l’importance quantitative et qualitative des collections a alors été perçu avant le lancement de projets d’équipement coûteux, qui ont été reportés sine die. On peut faire un rapprochement avec les coûts d’entretien des nouveaux locaux des bibliothèques universitaires, qui ont compromis durablement la capacité d’acquisition de documents de ces bibliothèques sans que cette difficulté ait fait l’objet d’une anticipation.

Notes
597.

Circulaire n° 76-960 du 24 février 1976 du secrétariat d’Etat aux universités relative à l’informatisation des bibliothèques, Bulletin des bibliothèques de France, t. 27, n° 6, 1982, p. 136-137 ; R. Bertrand, E. Henriot, « MOBI-DOC, étude comparative des progiciels de recherche documentaire pour micro-ordinateurs », Bulletin des bibliothèques de France, t. 28, n° 5, 1983, p. 497-522 ; « Note sur les actions de la direction des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique et technique en matière d’informatisation des bibliothèques universitaires », op. cit., p. 353.

598.

Les projets de la D.B.M.I.S.T. en matière d’informatisation des bibliothèques universitaires en 1982 sont exposés dans la « Note sur les actions de la direction des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique et technique en matière d’informatisation des bibliothèques universitaires », op. cit., p. 351-353. Le bilan des réalisations est donné dans J. Gattégno, D. Varloot, Rapport sur les bibliothèques à Monsieur le ministre de l’éducation nationale [et à] Monsieur le ministre de la culture, op. cit., p. 9 : « Un quatrième secteur de rénovation aurait dû être l’application de systèmes intégrés de gestion aux bibliothèques, dans le cadre local. Cependant, il est rapidement apparu qu’en l’état des budgets documentaires, moins d’une dizaine de bibliothèques universitaires... serait capables de supporter les coûts minimaux de fonctionnement de tels systèmes (300.000 F / an). Du coup, le développement du système MEDICIS a été abandonné, et une seule implantation du système SIBIL a été réalisée, à Montpellier. Ne sont installés en nombre que des équipements légers, assurant une seule fonction (prêt, catalogage) à faible coût, sur micro-ordinateur. » Le constat de l’inadaptation de l’informatisation à des bibliothèques aussi démunies que les bibliothèques universitaires françaises avait été fait en 1974 en termes moins diplomatiques par J. Archimbaud : « ...quand on sait que la plupart des bibliothèques n’achètent plus que quelques dizaines de livres par an (ou même plus du tout), c’est une plaisanterie que de leur parler d’informatique ». J. Archimbaud, B. Duportet, « La Crise des bibliothèques universitaires, quel avenir ont-elles encore ? », op. cit., p. 2039. Cf. aussi sur ces questions H. Le Crosnier, « Le Choc des nouvelles technologies », op. cit., p. 577-582 ; A. Gleyze, « Les Années de crise des bibliothèques universitaires », op. cit., p. 679.