III. Interprétation des résultats

Le constat d’une augmentation des recettes en francs courants ne suffit évidemment pas pour savoir si cette augmentation a correspondu de manière adéquate à l’accroissement des charges des bibliothèques universitaires. Cet accroissement comprend des facteurs de nature différente : sur le plan quantitatif, augmentation du nombre des utilisateurs (x 3,1), du nombre des publications (x 2,1 pour les livres publiés en France) et des surfaces bâties des bibliothèques universitaires (x 3,3) ; sur le plan qualitatif, création de nouvelles filières de formation et de recherche, volonté de donner aux bibliothèques universitaires un rôle scientifique, qui implique l’acquisition de documents plus nombreux et plus coûteux, caractère plus complexe du traitement des documents, etc. Bien que tous ces facteurs se traduisent en définitive par des coûts supplémentaires, il n’est pas possible, dans l’état actuel des études sur l’économie des bibliothèques universitaires, d’attribuer à chacun d’eux un coefficient de pondération qui permettrait, à partir d’un niveau d’accroissement donné, d’en déduire les conséquences sur les charges de ces bibliothèques. Toutes les tentatives qui ont été faites pour apprécier l’évolution des recettes des bibliothèques universitaires en les comparant à l’évolution de leurs charges au cours de la période récente ont donc été fondées sur des indicateurs dont la pertinence n’est qu’approximative. 605

La première méthode consiste à convertir en francs constants de l’année choisie pour origine toutes les recettes en francs courants. Il est intéressant d’opérer cette conversion année par année, pour identifier de manière précise des périodes de croissance, de stagnation ou de régression des ressources budgétaires des bibliothèques universitaires par rapport à ce critère (tableau 11 E).

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Tableau 11 ERecettes de fonctionnement des bibliothèques universitaires (francs constants)
[Note: SOURCE : Données du tableau 11 D converties en francs constants de 1964 à l’aide des tables de conversion de l’I.N.S.E.E.]

NOTE : Pour faciliter la lecture du tableau, ont été indiquées en souligné les valeurs en baisse par rapport à celles de l’année précédente en en gras les valeurs maximales de chaque catégorie de recettes.

En raison de la forte inflation des années 1970 et 1980, la lecture de ce tableau produit une impression bien différente de celle du tableau précédent en francs courants, car l’illusion d’une augmentation régulière des ressources se dissipe. En ce qui concerne les subventions, on constate une phase de stagnation et même de régression dès le début des années 1970 (exercices de 1970 à 1973). Cette période correspond à celle qui a suivi immédiatement la fin de l’exécution du cinquième plan. On constate donc qu’avant même que le déséquilibre économique dû à l’augmentation du prix du pétrole brut en 1973 ne se soit produit, le mouvement de croissance des moyens attribués aux bibliothèques universitaires a subi un premier arrêt. Cette phase de régression est intervenue au moment où de nombreuses bibliothèques universitaires devaient faire face à des charges de fonctionnement accrues, dues essentiellement à leur installation dans de nouveaux bâtiments. Une relation chronologique précise peut être établie entre ce phénomène et la publication d’une première vague d’écrits militants, dénonçant la pénurie dont les bibliothèques universitaires étaient victimes. Toutefois, une explication complète de cette première période de réduction des moyens de fonctionnement des bibliothèques universitaires n’a pas encore été donnée. 606

Une rémission est apparue en 1974 et surtout en 1975. En francs constants de 1964, les subventions attribuées aux bibliothèques universitaires ont alors atteint leur maximum. Elles ont ensuite régressé de manière irrégulière jusqu’en 1981, où elles ont atteint un niveau inférieur à celui de 1969 en francs constants. Cette seconde période de récession a donc eu un caractère beaucoup plus sévère que la première. Elle a aussi été accompagnée par la publication de documents protestataires. 607

Le produit du droit de bibliothèque s’est accru jusqu’en 1969, malgré un taux très faible de six francs, inchangé depuis 1949, en raison de la forte augmentation des effectifs d’étudiants. Il a augmenté nettement en 1970, son taux ayant été porté à quinze francs, puis sa valeur s’est stabilisée et a décru régulièrement en fonction de l’érosion monétaire, que ne compensait pas la croissance devenue plus faible du nombre des étudiants. Ce sont les augmentations annuelles répétées des années 1982, 1983, 1984 et 1985 qui ont enrayé ce mouvement et porté le produit de cette recette à son niveau maximum en 1985.

Le total des subventions et des droits de bibliothèque a atteint son maximum en 1975. Le déclin continu de ces recettes cumulées jusqu’en 1981 n’a pas été compensé par l’augmentation du produit des recettes diverses, y compris les recettes de prestation de service, qui ont cependant nettement augmenté entre 1977 et 1985. Mais la nature de ces recettes est ambiguë. On peut dire qu’elles ne sont que la contrepartie de dépenses effectuées au moyen d’autres recettes ; de ce fait, elles ne constituent pas une recette nette, et doivent selon nous être comptabilisées à part.

Il faut observer que la conversion en francs constants de 1964 des recettes de fonctionnement des bibliothèques universitaires repose sur l’utilisation de coefficients de conversion dérivés de l’indice général des prix de détail. Or cet indice, conçu pour mesurer les variations du pouvoir d’achat des ménages, n’est pas adapté aux dépenses d’une bibliothèque universitaire. On peut même considérer à bon droit que son utilisation minimise la perte de pouvoir d’achat de ces bibliothèques, si l’on admet que les coûts de la documentation ont augmenté davantage que ceux des produits de consommation courante, et que la part des dépenses d’énergie dans le budget des bibliothèques universitaires jusqu’en 1982 a été nettement plus forte que dans le budget des particuliers. Il y a donc tout lieu de penser que les résultats médiocres que le tableau 11 E permet de constater sont encore supérieurs à la réalité, d’autant plus que la conversion des recettes en francs constants de 1964 ne tient aucun compte des différents facteurs d’accroissement des charges entre 1964 et 1985. 608

La prise en considération simultanée de l’érosion monétaire et de ces facteurs d’accroissement des charges nécessiterait, pour être conduite avec rigueur, l’élaboration d’un modèle économique des bibliothèques universitaires. En l’absence de ce modèle, c’est un indicateur parmi d’autres, celui du nombre des étudiants, qui a le plus souvent été retenu, en divisant tout ou partie des recettes des bibliothèques universitaires par le nombre des étudiants inscrits dans les universités. Cette méthode a été fréquemment utilisée, aussi bien dans des rapports officiels que dans des écrits militants ou des études de caractère historique. Sa validité a généralement été considérée comme allant de soi, sans que ses fondements aient été discutés. Après la présentation de certains des résultats que cette méthode permet d’obtenir, nous présentons ici quelques observations sur son application à l’analyse de l’évolution des recettes des bibliothèques universitaires, nous réservant d’y revenir ultérieurement dans l’analyse de l’évolution de leurs dépenses.

Ainsi, D. Pallier a fait figurer en regard de l’état des subventions aux bibliothèques universitaires de 1945 à 1976 la conversion des montants indiqués en francs constants de 1990, le nombre des étudiants et le ratio « subvention de fonctionnement par étudiant ». Ce tableau fait apparaître une tendance irrégulière, mais orientée globalement à la hausse jusqu’en 1968 (maximum de 237 F de 1990 ou 270 F de 1996), année après laquelle s’amorce une baisse (jusqu’à 182 F de 1990 ou 207 F de 1996 en 1973), qui connaît une rémission en 1974. Cette évolution fait apparaître un retournement de tendance dès 1969, à cause de la forte croissance du nombre des étudiants entre 1968 et 1969 (+ 15 pour cent). On trouve dans Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981... un tableau des recettes de fonctionnement des bibliothèques universitaires de 1970 à 1979 converties en francs constants de 1970 et mises en relation avec le nombre d’étudiants. Le ratio déduit de ce rapprochement fait apparaître aussi une baisse régulière, interrompue en 1974 et 1975 mais reprenant à partir de 1976. Pour la période de 1977 à 1992, P. Carbone a rapproché les recettes de fonctionnement et d’équipement converties en francs constants de 1977 et diminuées des recettes destinées à l’entretien des locaux (dont le transfert aux universités n’est intervenu effectivement qu’en 1983), et le nombre des étudiants. La base de calcul exclut donc une partie des crédits effectivement perçus par les bibliothèques universitaires. La tendance du ratio « crédits par étudiant » est assez irrégulière : baisse de 1977 à 1981, hausse en 1982 suivie d’une nouvelle baisse jusqu’en 1985. Si l’on harmonise les données recueillies par D. Pallier et P. Carbone, en ne tenant compte que de la subvention ordinaire de fonctionnement et de la subvention spécifique aux bibliothèques C.A.D.I.S.T., et si l’on exprime le ratio « subventions par étudiant » en francs constants de 1996, on constate les évolutions suivantes.

Le maximum de 270 F par étudiant a été atteint en 1968. Ce ratio a décliné ensuite régulièrement jusqu’en 1973 (207 F), a augmenté en 1974 et 1975 (228 F), puis a diminué de nouveau régulièrement jusqu’en 1981 (146 F, soit 54 pour cent de la valeur atteinte en 1968). Un redressement limité est intervenu en 1982 (171 F). De 1983 à 1985, après le transfert aux universités de la charge de l’entretien des locaux des bibliothèques universitaires, le ratio calculé sur de nouvelles bases est resté orienté à la baisse (de 108 F à 105 F). 609

Nous savons que le mode de répartition des subventions aux bibliothèques universitaires faisait intervenir plusieurs critères, parmi lesquels le nombre des étudiants inscrits dans l’université ou les universités desservies. On peut cependant s’interroger sur la pertinence de la correspondance purement numérique qui est ainsi établie entre le nombre des étudiants et le total ou une partie des recettes des bibliothèques universitaires. Cette correspondance repose sur l’idée que les charges d’une bibliothèque universitaire croissent proportionnellement au nombre des étudiants qui la fréquentent, ce qui ne peut pas être considéré comme démontré. Il existe d’abord des charges fixes, qui sont indépendantes du nombre des utilisateurs ; en outre, les étudiants ne constituent pas à eux seuls la totalité des utilisateurs. Si l’on considère les deux grandes catégories de charges des bibliothèques universitaires, les charges d’entretien des locaux et de fonctionnement général d’une part, et les charges de documentation d’autre part, il est probable que le nombre des étudiants ne constitue pas à lui seul l’indicateur le plus pertinent pour évaluer leur accroissement. Les charges d’entretien des locaux et de fonctionnement général varient probablement plus en fonction de l’accroissement des surfaces que du nombre des utilisateurs. Elles varient aussi en fonction de la conception des locaux et de l’importance et de la nature des équipements, qui constituent des facteurs qualitatifs indépendants du nombre des utilisateurs. Les charges de documentation comportent elles-mêmes des charges fixes, et aussi des charges d’acquisitions destinées à la recherche, sur lesquelles le nombre des étudiants n’exerce pas d’influence. En outre, les charges induites par un nombre donné d’étudiants supplémentaires varient probablement en fonction de leur discipline et de leur niveau d’étude, mais aussi en fonction des collections relatives à cette discipline qui existent déjà à la bibliothèque universitaire ou dans d’autres bibliothèques. Comme on le voit, certaines de ces variables sont relatives aux étudiants et aux caractéristiques des études qu’ils poursuivent, alors que d’autres sont en relation avec les collections de la bibliothèque universitaire qu’ils fréquentent ou, plus largement, avec l’environnement documentaire. La méthode qui consiste à rapporter tout ou partie des recettes des bibliothèques universitaires au nombre des étudiants susceptibles de les fréquenter présente donc à notre sens une pertinence approximative. En outre, la prise en considération exclusive de ce facteur quantitatif semble avoir empêché jusqu’à présent une approche plus qualitative des facteurs d’accroissement des charges, comme la création de nouvelles filières d’enseignement ou (et) de recherche, qui nécessite à l’évidence des investissements documentaires importants et relativement indépendants du nombre des utilisateurs. On peut considérer que c’est l’absence d’un modèle économique des bibliothèques universitaires qui a conduit à privilégier sans précautions particulières le rapprochement du nombre des étudiants et des ressources budgétaires. Malgré l’évidence apparente de ce rapprochement, les enseignements qu’il est possible d’en tirer ont un caractère assez limité, dans la mesure où l’on n’est pas capable de dire si les charges d’une bibliothèque universitaire croissent proportionnellement au nombre de ses utilisateurs ou dans une proportion supérieure ou inférieure à ce nombre, s’il faut tenir compte de dotations minimales indépendantes du nombre des utilisateurs, d’effets de seuil ou d’autres facteurs structurels.

On peut aussi remarquer qu’en l’absence de normes relatives à la dotation documentaire des bibliothèques universitaires - absence caractéristique de la situation française - il n’était pas possible de se référer, pour analyser les recettes d’une année, à des données quantitatives préétablies. Il ne restait donc que la possibilité de comparer les résultats d’une année à ceux d’une année précédente, en prenant le risque de considérer l’année prise pour point de comparaison comme un optimum, ce qu’elle n’était pas nécessairement. 610

A côté de la comparaison purement numérique des recettes et du nombre des étudiants, il existe une autre voie qui a, comme les précédentes, un caractère approximatif mais a été moins souvent employée. Il s’agit de la comparaison entre la progression des crédits prévus au budget de l’Etat pour les subventions de fonctionnement aux universités et aux bibliothèques universitaires (tableau 11 F).

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Tableau 11 FSubventions de fonctionnement aux universités et aux bibliothèques universitaires
[Note: SOURCE : Budget voté des exercices 1964 à 1985.]

NOTE : En raison de la source utilisée, il existe des différences entre les montants des crédits pour les subventions aux bibliothèques universitaires et les montants indiqués au tableau 11 D. Les données utilisées pour la comparaison sont cependant homogènes. 611

Ce tableau fait apparaître une augmentation nettement moins forte des subventions aux bibliothèques universitaires que des subventions aux universités. Il montre que les dotations de fonctionnement aux bibliothèques universitaires ont commencé à décliner par rapport à celles des universités dès le début des années 1970. En 1982, la croissance des subventions aux bibliothèques universitaires représentait, en proportion de l’indice de variation (797 par rapport à 1007), moins de 80 pour cent de celle des subventions aux universités. Le décalage était encore plus important en 1985 (56, 5 pour cent environ). A cette date, on ne peut l’expliquer seulement par le transfert aux universités des crédits destinés à l’entretien des locaux des bibliothèques universitaires à partir de 1983, car ce transfert, d’un montant modeste (moins de trente millions de francs), n’a représenté que moins de 2 pour cent de la masse des crédits des universités, proportion très inférieure à l’écart constaté. Le fait que la progression des subventions aux bibliothèques universitaires n’ait pas suivi celle des subventions aux universités pourrait être l’un des facteurs de la croissance des bibliothèques spécialisées entre la fin des années 1960 et le début des années 1980. Mais les explications d’ordre financier de ce phénomène doivent aussi faire intervenir l’évolution des recettes d’équipement. Nous nous proposons de revenir sur cette question dans l’analyse des étapes qui ont conduit à la conception d’un nouveau cadre institutionnel pour la documentation universitaire (chapitre 12).

L’analyse de ces données nous permet de préciser que si les subventions aux bibliothèques universitaires avaient évolué comme les subventions aux universités, elles auraient été constamment supérieures à ce qu’elles ont été entre 1970 et 1982 et même au-delà, en tenant compte du transfert de crédits aux universités en 1983. Selon les exercices, l’écart entre la subvention réelle et la subvention calculée d’après l’augmentation des subventions aux universités a varié entre 2 et 28 millions de francs courants, les différences les plus importantes étant constatées entre 1976 et 1985, ce qui signifie que l’écart entre les deux catégories de subventions est allé en augmentant. Cet écart a atteint, en pourcentage des subventions aux bibliothèques universitaires, des niveaux de près de 6 à plus de 44 pour cent. Globalement et sur la base de cette comparaison, pour l’ensemble de la période de 1964 à 1985, la perte de recettes des bibliothèques universitaires peut être estimée à 87 millions de francs de 1964, ou à 587 millions de francs de 1996. Ces sommes correspondent à plus de 26 pour cent des dotations de fonctionnement effectivement attribuées aux bibliothèques universitaires.

Comme les méthodes fondées sur l’utilisation de l’indice général des prix de détail ou du nombre des étudiants, celle-ci a un caractère approximatif. Elle repose seulement sur une hypothèse différente, puisqu’elle considère que les subventions de fonctionnement aux bibliothèques universitaires auraient dû croître dans les mêmes proportions que les subventions de fonctionnement aux universités, alors que les autres méthodes supposent une croissance des recettes des bibliothèques universitaires proportionnelle à l’indice général des prix de détail ou à cet indice et au nombre des étudiants. Cette comparaison a cependant une certaine valeur. Comme les universités, les bibliothèques universitaires se situent dans le cadre de l’enseignement supérieur ; elles ont connu un accroissement identique du nombre des étudiants, et ont dû faire face à des charges d’entretien des locaux comparables ; elles auraient donc pu connaître une évolution parallèle de leurs subventions de fonctionnement. En ce qui concerne le chiffrage de l’insuffisance des recettes des bibliothèques universitaires pour la période considérée, toutes les méthodes d’analyse permettent de parvenir à une estimation plus ou moins précise. Le chiffrage que nous avons proposé n’a qu’une valeur relative, puisqu’il n’est pas établi que l’évolution des subventions de fonctionnement attribuées aux universités au cours de la période étudiée ait eu un caractère suffisant, et il y a même bien des raisons de penser que cela n’a pas été le cas.

Malgré les difficultés que soulève l’emploi des méthodes destinées à apprécier l’évolution des recettes des bibliothèques universitaires, on peut donc considérer comme établi que celles-ci se sont accrues d’une manière nettement insuffisante au cours de la période de 1964 à 1985. Ce constat appelle des explications.

Certaines tentatives d’explication ont été présentées dans des écrits protestataires des années 1970. Elles font appel à l’inconséquence des pouvoirs publics, à leur absence de conscience des risques et des enjeux, et à la méconnaissance de la situation des bibliothèques universitaires étrangères. 612

Ces tentatives d’explication ont eu un caractère immédiat. Elles ne sont pas très éloignées de celles que l’on trouve dans le « rapport Gattégno-Varloot » de 1985, pour qui la situation constatée a eu pour origine des ‘« arbitrages constamment défavorables, niant tout lien entre la documentation et le développement des programmes d’enseignement et de recherche ». 613

En 1992, D. Pallier a présenté, pour rendre compte des limites de l’expansion des bibliothèques universitaires françaises, trois explications formulées à la suite d’une comparaison des bibliothèques universitaires françaises avec leurs homologues d’Allemagne fédérale et de Grande-Bretagne. L’effort de financement de l’enseignement supérieur en général est inférieur en France à ce qu’il est à l’étranger ; une grande partie de la recherche publique s’effectue en France hors des universités ; enfin, la question de l’unification du double dispositif documentaire des universités, qui entraîne une dispersion des moyens, n’a été posée en France qu’à partir de 1975. 614

Ces explications ne nous semblent pas rendre entièrement compte des causes de la diminution des recettes de fonctionnement des bibliothèques universitaires à partir de 1970. On peut remarquer que celles qui sont relatives au rôle et au financement de l’enseignement supérieur en France ne sont pas spécifiques aux bibliothèques universitaires. Il est certain que l’enseignement supérieur français a depuis très longtemps souffert de sous-financement par rapport à celui d’autres pays, mais la comparaison des subventions de fonctionnement aux universités et aux bibliothèques universitaires montre que les bibliothèques universitaires ont été encore moins bien traitées que les universités. Quant au double dispositif documentaire des universités, nous savons que cette caractéristique avait été prise en considération au moment des réformes de 1961-1962, puisque la direction des bibliothèques s’était alors proposé de limiter l’importance des bibliothèques spécialisées des instituts et des laboratoires grâce aux secteurs spécialisés du deuxième niveau des nouvelles bibliothèques universitaires. On peut alors se demander si le soutien financier apporté par les pouvoirs publics, dans le cadre des quatrième et cinquième plans (1962-1965 et 1966-1970), à la politique de déconcentration des bibliothèques universitaires, peut être considéré comme une approbation implicite de cet objectif. Si c’est le cas, il faudrait en conclure que cette approbation et le soutien correspondant ont été limités dans le temps. On ne peut s’empêcher de noter en effet la proximité chronologique entre la création d’universités autonomes en 1968 et le début des difficultés financières des bibliothèques universitaires en 1970. On constate aussi qu’à partir de cette date, les subventions de fonctionnement aux universités ont crû nettement plus que celles qui étaient attribuées aux bibliothèques universitaires. L’une des considérations qui ont conduit à défavoriser les bibliothèques universitaires à partir de 1970 a-t-elle été que leurs structures étaient inadaptées au nouveau cadre institutionnel des universités, et qu’il convenait désormais de favoriser les bibliothèques placées sous le contrôle direct des composantes des universités ? Il n’est pas possible, dans le cadre du présent travail, de répondre à cette question. Il nous semble cependant légitime de la poser, à la fois en raison de la proximité chronologique déjà relevée, de l’inadaptation reconnue des structures des bibliothèques universitaires à la situation créée par l’autonomie des universités, et du caractère généralement non-officiel des dispositions relatives aux bibliothèques spécialisées des universités. 615

Un autre élément d’explication des restrictions des ressources budgétaires des bibliothèques universitaires est probablement l’importance des crédits consacrés au développement de la lecture publique, en particulier pour la création de la Bibliothèque publique d’information du Centre Georges Pompidou. Bien que cette bibliothèque ait relevé du secrétariat d’Etat à la culture à partir de 1975, il est très probable que les moyens financiers nécessaires à son développement à partir de la fin des années 1960 ont pesé sur ceux qui pouvaient être attribués aux bibliothèques universitaires. 616

Une amélioration relative et passagère de la situation financière des bibliothèques universitaires est intervenue en 1974 et 1975, mais elle a été suivie par une nouvelle diminution, prolongée et plus grave, de leurs ressources en francs constants. Les explications possibles de cette nouvelle crise des moyens sont plus nombreuses. Aux facteurs institutionnels déjà évoqués, il faut ajouter la crise économique du milieu des années 1970, mais aussi deux éléments plus spécifiques aux bibliothèques dans leur ensemble. Jusqu’en 1981, la Bibliothèque nationale est restée placée sous la responsabilité du service des bibliothèques comme les bibliothèques universitaires, et elle a bénéficié alors d’un soutien politique bien supérieur. En témoigne notamment une déclaration du ministre de l’enseignement supérieur en 1977, rapportée dans un article de G. Thirion. Ce soutien politique s’est prolongé après 1981, puisque la Bibliothèque nationale a été exemptée des suppressions d’emplois en 1985 et que, de 1981 à 1985, les subventions qui lui ont été attribuées ont augmenté près de deux fois plus que celles des bibliothèques universitaires. 617

La comparaison entre les moyens attribués aux bibliothèques universitaires et aux bibliothèques relevant du secrétariat d’Etat à la culture à partir de 1975 montre que les ressources budgétaires de ces dernières ont connu une croissance nettement plus importante, ce que l’on peut interpréter comme un résultat de la priorité reconnue au développement de la lecture publique à partir de la fin des années 1960. Il est possible que cette priorité ait eu des conséquences défavorables sur les dotations attribuées aux bibliothèques universitaires. 618

Il nous semble donc possible d’ajouter aux explications des écrits protestataires des années 1970, du « rapport Gattégno-Varloot » et de D. Pallier une autre hypothèse : la réduction des moyens des bibliothèques universitaires, de 1970 à 1972 puis de 1976 à 1981, pourrait aussi avoir été causée par la priorité accordée à d’autres bibliothèques, qu’il s’agisse des bibliothèques spécialisées des universités, de la Bibliothèque nationale ou de la Bibliothèque publique d’information. D’autres recherches seraient nécessaires pour établir plus précisément la part de chaque facteur dans cette crise, dont la réalité et la gravité ne sont pas contestables.

L’évolution des recettes des bibliothèques universitaires a été examinée jusqu’à présent en valeur absolue. Il semble intéressant de l’examiner aussi en mettant en évidence la part relative des différentes sources de recettes (tableau 11 G).

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Tableau 11 GRecettes de fonctionnement des bibliothèques universitaires (valeur relative)
[Note: SOURCE : Données du tableau 11 D converties en valeurs relatives.]

Ce tableau fait apparaître plusieurs évolutions intéressantes. La part des subventions a suivi une évolution assez irrégulière mais nettement orientée à la baisse ; cette baisse a été particulièrement forte à partir de 1980 et surtout de 1983. Pour ce dernier exercice, la conjonction de la diminution de la subvention ordinaire de fonctionnement à la suite du transfert de crédits aux universités et de la forte augmentation du produit du droit de bibliothèque a amené la part de la subvention de fonctionnement à un peu plus de 60 pour cent ; cette part est descendue à 56 pour cent en 1985. La part du produit du droit de bibliothèque a évolué en fonction des relèvements successifs en 1970 puis en 1982 et surtout les trois années suivantes. La part des recettes combinées des subventions de fonctionnement et du droit de bibliothèque a décru assez régulièrement à partir de la fin des années 1970. Cette évolution est la conséquence de l’accroissement des recettes diverses, dans laquelle on range les recettes de prestation de service. On a souligné ci-dessus le caractère particulier de ces dernières recettes.

Dans l’ensemble, le sens de l’évolution apparaît clairement : il y a eu un transfert partiel sur les utilisateurs (étudiants assujettis au droit de bibliothèque, autres utilisateurs payants et bénéficiaires de prestations de service) de la charge du fonctionnement et des acquisitions des bibliothèques universitaires. Entre 1964 et 1982, la part des ressources procurées par les subventions de l’Etat est passée de 87 à 74 pour cent, alors que la part des recettes provenant des utilisateurs (droit de bibliothèque et prestations de service) a doublé, passant de 13 à 26 pour cent. La structure des recettes a été déformée à partir de 1983 en raison du transfert des crédits d’entretien des locaux des bibliothèques universitaires aux universités. La tendance que l’on peut identifier entre 1983 et 1985 est cependant conforme à celle des exercices précédents : baisse de la part des subventions, et augmentation de la part des ressources provenant des utilisateurs.

Les conditions dans lesquelles a été réalisé en 1983 le transfert des crédits d’entretien des locaux des bibliothèques universitaires aux universités appellent quelques commentaires. L’amputation du budget des bibliothèques universitaires a été sévère (environ 28,7 pour cent), proportionnée à la réalité des dépenses d’entretien de leurs locaux, et non au montant des subventions qui leur étaient attribuées à ce titre. La mesure a été présentée comme une réévaluation de la dotation pour l’entretien des surfaces ; cependant, cette réévaluation a été chèrement payée par les bibliothèques universitaires sous la forme d’une forte diminution de leurs ressources. Il aurait été possible, au moins en principe, de procéder autrement, en accroissant les subventions de fonctionnement des universités de 28 millions de francs, et en maintenant les subventions de fonctionnement des bibliothèques universitaires pour permettre une augmentation significative de leur pouvoir d’achat documentaire. C’est cette solution qui avait été envisagée, semble-t-il, par le rapport Les Bibliothèques en France en 1982. 619

Sur le fond, on peut aussi estimer que cette réforme est arrivée trop tard, car les ressources financières des bibliothèques universitaires avaient été très largement amputées, depuis le début des années 1970, par les dépenses d’entretien de leurs locaux, et qu’elle n’a produit que des effets limités. De 1970 à 1982, l’alourdissement de ces charges, et principalement des dépenses d’énergie, a pesé entièrement sur le budget des bibliothèques universitaires ; après 1983, la stabilisation puis la baisse des coûts de l’énergie ne leur ont pas profité. En outre, contrairement à une opinion quelquefois soutenue, après le transfert aux universités des crédits destinés à l’entretien des locaux, le budget des bibliothèques universitaires ne comprenait pas que des crédits destinés aux acquisitions. Il s’y trouvait encore, dans une proportion d’au moins 40 pour cent, des recettes servant aux dépenses de fonctionnement général (courrier, téléphone, fournitures, etc), comme le montre l’analyse des dépenses, p. 626 et suivantes. 620

Notes
605.

Il n’existe pas de modèle économique des bibliothèques universitaires qui permettrait d’estimer, à partir de la variation des facteurs qui ont une influence sur le niveau de leurs charges, l’augmentation résultante de ces charges. Les possibilités de la modélisation appliquée aux bibliothèques ont été évoquées par H. Comte, « Introduction à la gestion dans les bibliothèques », op. cit., p. 182, mais n’ont pas fait l’objet de travaux de recherche dans le contexte français.

606.

En ce qui concerne les premiers écrits « militants », cf., par exemple, Livre noir des bibliothèques universitaires, op. cit. ; « La Situation des bibliothèques universitaires durant l’année du livre », op. cit. et J. Archimbaud, B. Duportet, « La Crise des bibliothèques universitaires, quel avenir ont-elles encore ? », op. cit. Le congrès de 1972 de l’Association des bibliothécaires français a adopté une motion sur les bibliothèques universitaires dans laquelle était constatée la diminution de leurs budgets en francs constants depuis 1970. « Congrès de Colmar, 5 mai 1972, Des Bibliothèques pour la France ? », Bulletin d’informations, Association des bibliothécaires français, nouvelle série, n° 76, 3e trimestre 1972, p. 126. Pour protester contre cette situation, des actions de fermeture de bibliothèques universitaires ont été préconisées et effectivement organisées. « Sans un collectif de 15 millions en fonctionnement et de 200 postes au 1er octobre, les B.U. doivent fermer : elles ne peuvent plus respecter les contrats de chauffage et d’entretien, ni assurer les horaires, ni acquérir le moindre document. » Livre noir des bibliothèques universitaires, op. cit., p. 8. L’article précédemment cité de J. Archimbaud et B. Duportet s’ouvre sur le constat que plusieurs bibliothèques universitaires ont fermé leurs portes en novembre 1973, « faute de pouvoir assurer leur fonctionnement jusqu’à la fin de 1973 ». Op. cit., p. 2034. Ces revendications ont parfois pris un tour menaçant, comme lorsque la section des bibliothèques universitaires de l’Association des bibliothécaires français se demandait « si elle ne doit pas en venir à des actions violentes ou spectaculaires pour ne pas voir les bibliothèques universitaires périr prochainement » (motion du congrès de 1972). Le Livre noir des bibliothèques universitaires a présenté l’alternative suivante : « Ou les B.U. sont inutiles et on les supprime : l’Etat fera une économie de 100 millions [y compris les dépenses de personnel]... Ou les B.U. sont nécessaires pour l’étude et la recherche et on prend immédiatement les mesures pour les faire fonctionner... » Op. cit., p. 6-7.

607.

G. Thirion, « Situation des bibliothèques universitaires françaises », op. cit. et G. Thirion, Etude sur la situation des bibliothèques universitaires françaises, op. cit. ; « S.O.S. B.U., qui sauvera les bibliothèques universitaires ? », Bulletin d’informations, Association des bibliothécaires français, nouvelle série, n° 98, 1er trimestre 1978, p. 41-47. Ce dernier document se présente comme une lettre aux candidats aux élections législatives de 1978, leur demandant de prendre des engagements précis sur les moyens à attribuer aux bibliothèques universitaires. Cf. aussi G. Thirion, « Les Bibliothèques universitaires françaises en 1980 », LIBER Bulletin, n° 14, 1980, p. 6-24.

608.

En ce qui concerne l’évolution de la totalité des recettes (fonctionnement et équipement) des bibliothèques universitaires entre 1973 et 1981, le document Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981... a estimé que leur augmentation était « de l’ordre de 80 pour cent, alors que la dérive des prix, pendant la même période, [était] largement supérieure à 100 pour cent. » Op. cit., p. 29. L’examen de l’évolution des prix de détail en France entre 1973 et 1981 montre que cette dérive a été de 137 pour cent. L’écart entre ce taux et celui de l’augmentation des ressources totales des bibliothèques universitaires permet d’apprécier l’importance de l’insuffisance de leurs recettes, même par rapport à un indice aussi imparfait que l’indice général des prix de détail.

609.

D. Pallier, « Les Bibliothèques universitaires de 1945 à 1975, chiffres et sources statistiques », op. cit., p. 61 ; D. Pallier, « Bibliothèques universitaires, l’expansion ? », op. cit., p. 400 ; P. Carbone, « Les Bibliothèques universitaires dix ans après le rapport Vandevoorde », op. cit., p. 49. La même méthode est utilisée dans Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981..., op. cit., « Annexes », p. 253. Selon le commentaire de la p. 29, « ces données font apparaître en neuf ans [de 1970 à 1979] une baisse de 25 pour cent du ratio des dépenses, par étudiant, en francs constants ». Il s’agit en réalité de recettes par étudiant ; le ratio évolue, en francs constants de 1970, de 45,55 F à 34,03 F. En francs constants de 1996, ces valeurs correspondent respectivement à 239 F et 179 F ; ce dernier montant tient compte des subventions de renouvellement de matériel, et est de ce fait légèrement supérieur au ratio calculé sur les seules recettes de fonctionnement (175 F). En annexe de ce rapport, un document sur les bibliothèques universitaires publié par un regroupement d’associations professionnelles contient un tableau relatif à l’évolution de leurs recettes (subvention de fonctionnement et droit de bibliothèque) de 1968 à 1980. Ces recettes ont été converties en francs constants de 1976 et divisées par le nombre des étudiants. Le ratio fait apparaître une baisse continue, à l’exception des deux exercices 1974 et 1975. En ne retenant que les subventions de fonctionnement, le ratio est passé d’une valeur de près de 108 F (270 F de 1996) en 1968 à une valeur de 58 F (157 F de 1996) en 1980, soit une perte de pouvoir d’achat de 46 pour cent en douze ans. Op. cit., « Annexes », p. 417. Ces chiffres concordent avec ceux qui peuvent être tirés des données réunies par D. Pallier et P. Carbone, et conduisent à estimer la diminution en francs constants du ratio « subvention de fonctionnement par étudiant » à 20 pour cent entre 1964 et 1982, mais à 46 pour cent entre le maximum de 1968 et le niveau le plus bas atteint en 1981. La mise en relation du niveau des ressources budgétaires avec le nombre des étudiants est fréquente dans les écrits protestataires. Cf., par exemple, « La Situation des bibliothèques universitaires françaises durant l’année du livre », op. cit., p. 10 ; le tableau des recettes porte sur un échantillon représentatif des bibliothèques universitaires de province entre 1969 et 1972, et fait apparaître, pour la période considérée, la quasi-stagnation de la subvention ordinaire de fonctionnement rapportée au nombre des étudiants en francs courants ; Livre noir des bibliothèques universitaires, op. cit., p. 2 : « Les effectifs étudiants et enseignants ont augmenté de 20 pour cent entre 1969 et 1972. Les crédits accordés ont aussi augmenté de 20 pour cent et ne tiennent de ce fait aucun compte de l’augmentation du coût de la vie ou des dévaluations. En 1968, on disposait de 54 F par étudiant. En 1972, on arrive à peine à 55 F » ; « Situation des bibliothèques universitaires françaises », op. cit., p. 8. Le constat est ici celui d’une stagnation en francs courants malgré l’augmentation des effectifs. Pour le « rapport Gattégno-Varloot », dont les positions sont, sur la question des moyens des bibliothèques universitaires, assez proches de celles des écrits protestataires des années 1970, « le pouvoir d’achat par étudiant des bibliothèques universitaires a été divisé par 2,5 » (en francs constants) au cours de la période de 1970 à 1980 (ce qui correspondrait à une perte de pouvoir d’achat de 60 pour cent, supérieure à celle que nous avons estimée), et est « de quatre à neuf fois inférieur à celui des homologues étrangères ». J. Gattégno, D. Varloot, Rapport sur les bibliothèques à Monsieur le ministre de l’éducation nationale [et à] Monsieur le ministre de la culture, op. cit., p. 4.

610.

Certains écrits militants des années 1970 n’évitent pas cette difficulté lorsqu’ils demandent le retour à la situation budgétaire qui prévalait en 1968-1969, et qui n’était sans doute pas la meilleure possible. Parmi les indicateurs auxquels ces écrits se sont parfois référés, il faut mentionner les recommandations de l’UNESCO (cinq livres par étudiant et par an), ou les propositions (non adoptées) des commissions préparatoires du sixième plan (trois livres par étudiant et par an).

611.

La comparaison de l’évolution des subventions de fonctionnement aux universités et aux bibliothèques universitaires a été effectuée dans « La Situation des bibliothèques universitaires durant l’année du livre », op. cit., p. 16-17. Dans ce document a été demandée l’indexation sur les moyens de l’enseignement supérieur ; le constat a été fait que si les crédits des bibliothèques universitaires avaient été indexés sur ceux des universités, ils auraient été de 53,2 millions de francs au lieu de 31,7 millions de francs en 1973, en prenant pour point de départ des comparaisons l’année 1967. Nos propres comparaisons ne permettent pas de parvenir au constat d’un écart aussi important à cette date. Cela peut être dû au fait que nos comparaisons prennent pour point de départ l’année 1964, mais surtout à ce que le montant des subventions aux universités pour l’année 1972 semble avoir été surestimé (652,3 au lieu de 495,2 millions de francs). Dans le même document, sur la base de ces chiffres erronés, la proportion « normale » des crédits de fonctionnement des bibliothèques universitaires a été estimée à 8 pour cent de ceux des universités. La proportion exacte a été pour 1972 de 6,4 pour cent. La proportion de 8 pour cent avait été dépassée en 1965 et 1966. L’indexation des subventions de fonctionnement des bibliothèques universitaires sur celles des universités a aussi été demandée par le Livre noir des bibliothèques universitaires, op. cit., p. 7. Sur le même sujet, quelques approximations se rencontrent aussi dans « S.O.S.-B.U., qui sauvera les bibliothèques universitaires ? », op. cit., p. 43 : entre 1969 et 1973, les subventions de fonctionnement aux universités ont crû de 59,5 pour cent au lieu de 55 pour cent ; pour les bibliothèques universitaires, l’augmentation a été de 32,6 pour cent et non de 39 pour cent.

612.

Quelques exemples permettent d’illustrer ces différents aspects de l’argumentation. Inconséquence des pouvoirs publics : « Mais si on a construit des bibliothèques, on n’a pas prévu qu’il fallait aussi : les chauffer et les nettoyer, y mettre des livres, des bibliothécaires pour les faire fonctionner. » Livre noir des bibliothèques universitaires, op. cit., p. 3 ; le même document évoque, en p. 5, le non respect des recommandations du sixième plan (achat de trois livres par étudiant et par an) ; selon D. Pallier, ces propositions n’ont pas été adoptées. D. Pallier, « Bibliothèques universitaires, l’expansion ? », op. cit., p. 398. D’autres écrits stigmatisent l’incohérence de la politique de l’Etat en matière de bibliothèques universitaires, par exemple G. Thirion, « Situation des bibliothèques universitaires françaises », op. cit., p. 28 : « ...les aberrations de la politique française en matière de bibliothèques (peut-être un chapitre de plus à ajouter au Mal français [d’Alain Peyrefitte] ») ; ibid., p. 29 : « Quelle est la politique de l’Etat en matière de B.U. ? ». Absence de conscience des risques et des enjeux : « Une sorte de volant d’inertie, la possession d’ouvrages encore utilisables cinq ou dix ans après leur acquisition, camoufle une situation grave : on ne les renouvelle pas. De même qu’il faut dix ans pour faire une bibliothèque de toutes pièces, il faut dix ans pour qu’elle meure quand on réduit ses moyens de 30 à 50 pour cent. Nous en sommes en 1972 à l’année 4 ou 5 de la transformation des bibliothèques françaises en dépositoires de livres périmés. Elles ont toujours été très en-dessous des bibliothèques allemandes ou anglaises, mais on les achemine sûrement (et pas lentement) au niveau de celles des pays sous-développés. » Livre noir des bibliothèques universitaires, op. cit., p. 6 ; « La France a-t-elle un avenir sans bibliothèques ? Depuis une vingtaine d’années, à tort ou à raison, un effort énorme a été accompli par le pays en vue de conquérir son autonomie en matière de technologie avancée. Or il n’y a pas d’autonomie en technologie avancée s’il n’y a pas un réseau documentaire moderne (actuellement nous achetons une très grande partie de la documentation aux U.S.A.). Il n’y a pas de réseau documentaire moderne sans une infrastructure de bibliothèques d’étude et de recherche. Ces bibliothèques, surtout les bibliothèques universitaires, sont en train de mourir doucement. Sera-t-il encore possible de faire de la recherche en France en 1980 ? Nos universités devront-elles alors se contenter d’être des collèges de premier cycle et d’envoyer les étudiants terminer leurs études à Tübingen, Québec, Cambridge ou Harvard ? » Ibid. Méconnaissance des bibliothèques universitaires étrangères : de nombreuses comparaisons sont faites avec les bibliothèques universitaires de pays comme l’Allemagne fédérale, la Grande-Bretagne, le Canada et les Etats-Unis). Cf. supra et « Situation des bibliothèques universitaires françaises », op. cit., p. 28.

613.

J. Gattégno, D. Varloot, Rapport sur les bibliothèques à Monsieur le ministre de l’éducation nationale [et à] Monsieur le ministre de la culture, op. cit., p. 4.

614.

D. Pallier, « Bibliothèques universitaires, l’expansion ? », op. cit., p. 398-399.

615.

Le caractère inadapté de l’organisation administrative des bibliothèques universitaires avait été reconnu dès 1974 par J. Archimbaud. Il a été confirmé ultérieurement par le « rapport Gattégno-Varloot ». J. Archimbaud, B. Duportet, « La Crise des bibliothèques universitaires, quel avenir ont-elles encore ? », op. cit., p. 2038 ; J. Gattégno, D. Varloot, Rapport sur les bibliothèques à Monsieur le ministre de l’éducation nationale [et à] Monsieur le ministre de la culture, op. cit., p. 3.

616.

Cette explication a été avancée par J. Archimbaud en 1974. J. Archimbaud, B. Duportet, « La Crise des bibliothèques universitaires, quel avenir ont-elles encore ? », op. cit., p. 2038.

617.

G. Thirion, « Situation des bibliothèques universitaires françaises », op. cit., p. 15 : à une question sur la politique conduite en matière de bibliothèques, le ministre (A. Saunier-Seïté) a répondu par l’évocation d’un projet de développement des services de la Bibliothèque nationale ; interrogée sur le choix qu’elle aurait fait entre cette bibliothèque et les bibliothèques universitaires, elle a déclaré : « Nous ne pouvons pas faire un effort d’investissement dans les 180 établissements d’enseignement supérieur ». A cette date, le nombre de 180 correspond à celui des sections des bibliothèques universitaires et non à celui des universités. Sur l’exemption des suppressions d’emplois dont a bénéficié la Bibliothèque nationale en 1985, cf. J. Gattégno, D. Varloot, Rapport sur les bibliothèques à Monsieur le ministre de l’éducation nationale [et à] Monsieur le ministre de la culture, op. cit., p. 59. Le même rapport indique que les subventions de l’Etat aux bibliothèques universitaires ont augmenté de 87 pour cent en francs courants de 1981 à 1985, alors que les subventions à la Bibliothèque nationale ont augmenté de 164 pour cent. Op. cit., p. 7.

618.

Après 1975, il est constant que les moyens financiers attribués aux bibliothèques relevant du ministère de la culture ont augmenté beaucoup plus rapidement que ceux des bibliothèques universitaires. Ainsi, le rapporteur du budget de l’enseignement supérieur à l’Assemblée nationale a relevé que de 1977 à 1978, les subventions aux bibliothèques universitaires ont augmenté, en francs courants, de 2,7 pour cent, alors que les subventions du ministère de la culture aux bibliothèques municipales et aux bibliothèques centrales de prêt devaient augmenter de 13,3 pour cent. Le « rapport Gattégno-Varloot » a comparé l’augmentation de 87 pour cent des subventions aux bibliothèques universitaires de 1981 à 1985 avec les augmentations de subventions attribuées pendant la même période aux autres bibliothèques par le ministère de la culture : Bibliothèque publique d’information, + 160 pour cent ; Bibliothèque nationale, + 164 pour cent ; bibliothèques centrales de prêt, + 200 pour cent ; bibliothèques municipales, + 733 pour cent. G. Thirion, « Situation des bibliothèques universitaires françaises », op. cit., p. 31 ; J. Gattégno, D. Varloot, Rapport sur les bibliothèques à Monsieur le ministre de l’éducation nationale [et à] Monsieur le ministre de la culture, op. cit., p. 7. Sans doute au nom de la solidarité entre les bibliothèques, les documents rédigés par des professionnels des bibliothèques universitaires ont rarement insisté sur ce facteur de limitation des ressources des bibliothèques universitaires.

619.

« ...la bibliothèque centrale serait débarrassée des tâches d’entretien des locaux pour lesquelles environ 30 millions de francs devraient abonder les crédits de fonctionnement des universités. La dotation de 65 millions de francs attribuée par le service des bibliothèques aux bibliothèques universitaires retrouverait alors sa finalité originelle, c’est-à-dire, l’acquisition documentaire pour l’ensemble des bibliothèques de l’université. » Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981..., op. cit., p. 57. Ce passage semble indiquer que le transfert aux universités de la charge d’entretien des locaux des bibliothèques universitaires avait alors été conçu sans amputation des crédits des bibliothèques universitaires. Le montant de 65 millions de francs correspond approximativement à la subvention ordinaire de fonctionnement, y compris la subvention spécifique aux bibliothèques C.A.D.I.S.T., de 1980. L’un des motifs de ce transfert de crédits évoqué par le même document mérite d’être cité. Il avait pour objet « d’éviter, d’une part, de distraire les agents de ce service [la bibliothèque universitaire] de leur mission essentielle, d’autre part de voir ce service constituer une structure ayant l’apparence d’un établissement dérogatoire au sein de l’université ». Ibid., p. 57 (souligné par moi).

620.

En ce sens, les expressions « crédits documentaires » ou d’autres expressions équivalentes quelquefois employées pour désigner les crédits des bibliothèques universitaires diminués de la part destinée à l’entretien des locaux, prêtent à confusion. Cf., par exemple, P. Carbone, « Les Bibliothèques universitaires dix ans après le rapport Vandevoorde », op. cit., p. 49-50 : « Les bibliothèques ne gèrent directement que des crédits de fonctionnement et d’équipement documentaire » et T. Bally, « Avant le décret [du 4 juillet 1985] », Bulletin des bibliothèques de France, t. 30, n° 5, 1985, p. 423 : « ...transfert aux universités des charges d’infrastructure des locaux des bibliothèques universitaires afin de faire apparaître en toute clarté les crédits documentaires attribués aux bibliothèques universitaires ». Le transfert aux universités de la charge d’entretien des locaux des bibliothèques universitaires n’a donc eu qu’une portée partielle, et n’a pas permis à ces bibliothèques d’utiliser la totalité de leurs ressources à des fins exclusivement documentaires, comme c’était généralement le cas pour les bibliothèques universitaires étrangères. L’article de G. Courtois, « Université, la misère des bibliothèques », Le Monde de l’éducation, n° 109, octobre 1984, publié peu de temps après ce transfert, fait part de l’appréciation dubitative des responsables de la D.B.M.I.S.T. sur les effets bénéfiques qu’il a pu avoir sur les ressources des bibliothèques universitaires. Op. cit., p. 74.