I. Evolution quantitative

L’évolution des dotations en emplois des bibliothèques universitaires entre 1964 et 1985 peut être suivie au moyen des mêmes sources que celles qui ont été utilisées pour l’analyse de l’évolution des recettes et des dépenses. 635

Il est possible d’extraire de ces documents le tableau 11 P suivant, plus détaillé pour les emplois budgétaires de personnels des bibliothèques titulaires de catégorie A et B.

message URL FIG037.gif
Tableau 11 PDotations en emplois des bibliothèques universitaires, 1964-1985
[Note: SOURCES : D. Pallier, « Les Bibliothèques universitaires de 1945 à 1975, chiffres et sources statistiques », Bulletin des bibliothèques de France, t. 37, n° 3, 1992, p. 63-64 ; Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981... (Paris, 1982), p. 252 ; P. Carbone, « Les Bibliothèques universitaires dix ans après le rapport Vandevoorde », Bulletin des bibliothèques de France, t. 37, n° 4, 1992, p. 55.]

Les personnels des bibliothèques titulaires de catégorie A (personnel scientifique) sont les conservateurs en chef, conservateur et bibliothécaires (devenus aussi conservateurs en 1969). En catégorie B (personnel technique), il s’agit des sous-bibliothécaires (devenus bibliothécaires adjoints en 1983). La formation professionnelle des personnels de catégorie A consistait alors soit en une année d’étude après le recrutement pour les personnels admis par concours à l’Ecole nationale supérieure de bibliothécaires (E.N.S.B.), soit en un stage de six mois après la scolarité à l’Ecole nationale des chartes pour les élèves issus de cette école qui se destinaient à la carrière des bibliothèques. Pour les personnels de catégorie B, il s’agissait d’une préparation de six mois environ au concours de recrutement. Outre ces catégories, le personnel des bibliothèques universitaires comprenait aussi des personnels administratifs de toute catégorie mais surtout de catégorie C et D, le personnel de service (magasiniers et gardiens, catégorie C et D), les personnels ouvriers et les personnels contractuels. Les qualifications de ces derniers les assimilaient en général plutôt aux personnels des bibliothèques de catégorie A et B.

Le tableau 11 P permet de faire apparaître des évolutions quantitatives et qualitatives. Les créations d’emplois les plus nombreuses se sont situées au cours de la période de 1964 à 1970, pendant laquelle le nombre global des emplois a été multiplié par 2,1 en six ans, soit près de 19 pour cent en progression moyenne annuelle. Cette période a aussi été relativement favorable pour l’attribution des subventions de fonctionnement. Le rythme des créations d’emplois s’est ensuite ralenti entre 1970 et 1975 (multiplication par 1,2 en cinq ans, progression moyenne annuelle de moins de 4 pour cent), et surtout entre 1975 et 1985 (multiplication par moins de 1,1 en dix ans, soit une progression moyenne annuelle inférieure à 1 pour cent par an). L’année 1985 a d’ailleurs vu le début d’un mouvement de « gels » d’emplois publics, qui a affecté aussi le personnel des bibliothèques universitaires et qui s’est prolongé au cours des quatre années suivantes. Le nombre des postes gelés de toutes catégories a été de soixante et un en 1985. Sur le plan de la répartition par catégories, on constate la stabilité de la proportion des personnels des bibliothèques de catégorie A et B par rapport au total du personnel (environ 40 pour cent). Par rapport au personnel des bibliothèques de catégorie A, la proportion de personnel de catégorie B a beaucoup augmenté, ce qui est probablement une conséquence de l’accroissement du volume de travail lié au traitement des documents, et aussi indirectement de la dispersion des services chargés de ces fonctions dans les différentes sections d’une même bibliothèque universitaire. La proportion de personnel des bibliothèques de catégorie A a évolué de plus de 19 pour cent du total en 1964 à moins de 15 pour cent en 1985.

La progression rapide des effectifs des différentes catégories de personnel entre 1964 et 1970 a généré une structure démographique des corps très particulière, dans laquelle les éléments les plus jeunes sont rapidement devenus les plus nombreux. Le nombre des emplois rendus vacants par des départs à la retraite étant de ce fait très limité, les possibilités de recrutement ont été liées presque exclusivement aux créations d’emplois. Lorsque ce mouvement de création s’est ralenti, les recrutements ont été eux-mêmes près de se tarir, ce qui explique qu’au cours des années 1980, certains concours d’entrée à l’Ecole nationale supérieure de bibliothécaires aient été ouverts pour un nombre de postes inférieur à dix. 636

En moyenne, pour soixante bibliothèques universitaires, les dotations de 1985 représentent environ huit emplois de conservateurs et treize emplois de bibliothécaire adjoint par bibliothèque. Si l’on déduit les emplois de conservateurs affectés à des fonctions à dominante administrative ou gestionnaire (directeur et responsables de section), on voit que pour une bibliothèque universitaire implantée sur trois ou quatre sites, il n’était pas possible d’avoir plus d’un ou de deux conservateurs par section chargés de fonctions documentaires. A supposer que les formations universitaires des intéressés correspondissent de manière adéquate aux postes à pourvoir dans les bibliothèques universitaires, ce que les procédures de recrutement ne permettaient nullement de garantir, ce nombre très faible n’aurait pas permis de confier la responsabilité de chaque discipline représentée dans les sections à un conservateur, et n’aurait donc pas permis à ces bibliothèques de remplir une fonction scientifique. En ce qui concerne les personnels de catégorie B, le même calcul permet d’estimer à trois ou quatre emplois par section la dotation moyenne. Ces dotations moyennes recouvrent bien entendu de très fortes disparités entre les bibliothèques les plus importantes et les plus petites. Selon une enquête d’origine associative effectuée en 1972, l’effectif des conservateurs (catégorie A) variait entre 1 et 23, et celui des sous-bibliothécaires entre 2 et 28 par bibliothèque. D’autres disparités importantes existaient entre les sections d’une même bibliothèque, mais sont difficiles à préciser en raison de l’absence de publication des résultats des enquêtes statistiques par section. Il est néanmoins certain que les sections lettres, par exemple, étaient généralement mieux dotées en emplois de conservateurs que les sections sciences ou médecine. 637

Un tableau statistique établi par D. Pallier permet de retracer l’évolution des recrutements par concours à l’Ecole nationale supérieure de bibliothécaires. Ces données ne donnent pas une image complète des recrutements dans le corps des bibliothécaires ou des conservateurs, puisqu’elles ne tiennent pas compte des recrutements opérés parmi les élèves de l’Ecole des chartes. En outre, la totalité des promotions recrutées et formées par l’E.N.S.B. n’a pas été affectée dans les bibliothèques universitaires. Ces indications néanmoins intéressantes sont données dans le tableau 11 Q.

message URL FIG038.gif
Tableau 11 QPostes ouverts aux concours d’entrée à l’E.N.S.B., 1964-1985
[Note: SOURCE : Statistique établie par D. Pallier.]

NOTE : Cette statistique des concours d’entrée à l’E.N.S.B. ne reflète ni les créations d’emplois (les postes ouverts peuvent être destinés à pourvoir des emplois vacants après retraite, par exemple), ni les recrutements totaux de personnels des bibliothèques de catégorie A (il manque les chiffres correspondant aux élèves de l’Ecole des chartes), ni le nombre des bibliothécaires ou conservateurs affectés dans les bibliothèques universitaires.

Sur l’ensemble de la période étudiée, la moyenne annuelle des recrutements s’établit à 44. Mais comme le montre le tableau 11 Q, cette moyenne recouvre une diminution continue des recrutements. Les promotions les plus nombreuses ont été celles de 1964 à 1970 (soixante-deux postes par an en moyenne). Le nombre des recrutements a ensuite baissé assez régulièrement, jusqu’à atteindre le nombre de huit aux concours de 1983 (onze en 1984, quinze en 1985). Des promotions aussi faibles pouvaient faire douter de l’utilité d’une école spécialement dédiée à la formation de cette catégorie de personnel. On remarque que dans l’ensemble, l’évolution des recrutements par les concours de l’E.N.S.B. a été assez proche de celle des subventions de fonctionnement : dans un cas comme dans l’autre, l’année 1970 a constitué le début d’une période de restrictions qui s’est aggravée par la suite, avec quelques améliorations passagères. Il y a donc bien une crise de l’ensemble des moyens des bibliothèques universitaires entre 1964 et 1985.

En ce qui concerne les ressources humaines, cette crise est aussi perceptible à partir des comparaisons que l’on peut faire avec les prévisions de créations d’emplois du quatrième plan (1962-1965). La commission compétente pour l’enseignement supérieur avait prévu pour 1965 388 emplois de catégorie A et 357 emplois de sous-bibliothécaires ; pour 1970, ces chiffres devaient être respectivement de 576 et de 521. A l’exception de ce dernier, toutes ces prévisions se sont révélées supérieures aux emplois réellement créés. Les propositions de créations d’emplois présentées dans le rapport Les Bibliothèques en France en 1982 n’ont pas été suivies d’effet, de même que les demandes présentées dans différents documents publiés par des associations professionnelles. 638

Notes
635.

Pour la période de 1964 à 1975, D. Pallier, « Les Bibliothèques universitaires de 1945 à 1975, chiffres et sources statistiques », op. cit., p. 63-64 ; de 1970 à 1979, Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981..., op. cit., p. 252 ; de 1977 à 1985, P. Carbone, « Les Bibliothèques universitaires dix ans après le rapport Vandevoorde », op. cit., p. 55.

636.

Le nombre de postes ouverts aux concours externe et interne de l’E.N.S.B. a ainsi été de 8 en 1983, de 9 en 1986 et de 6 en 1987 (minimum absolu). Une annexe au rapport de l’inspection générale de l’administration du ministère des universités et de l’inspection générale des bibliothèques de 1980, avait indiqué que « Compte tenu de l’actuelle pyramide des âges dans le corps des conservateurs de bibliothèque et des perspectives économiques, le nombre des postes à pourvoir chaque année dans ce corps restera très faible pendant une quinzaine d’années (probablement inférieur à vingt) ». Le rapporteur en tirait argument pour conclure que dans ces conditions, il ne serait pas justifié de maintenir une double filière de recrutement (E.N.S.B. et Ecole des chartes), et pour proposer la formation de tous les conservateurs de bibliothèque par l’Ecole des chartes. Rapport sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités, op. cit., Annexes, « VI. Note sur la formation professionnelle du personnel scientifique des bibliothèques », p. 4.

637.

« La Situation des bibliothèques universitaires françaises durant l’année du livre », op. cit., p. 15.

638.

Quatrième plan de développement économique et social (1962-1965), rapport général de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif (Paris, 1961), p. 214. Dans le document Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981..., les propositions de créations d’emplois étaient, comme celles qui tendaient à l’augmentation des crédits pour l’acquisition de documents, subordonnées à une réforme institutionnelle. Elles prenaient pour objectif une proportion d’une personne de catégorie A et B et d’une personne de catégorie C et D pour 350 utilisateurs. Sur cette base, le nombre d’emplois à créer était de 100 conservateurs, 250 sous-bibliothécaires et 750 magasiniers ou gardiens, soit 1.100 emplois au total. Op. cit., p. 58. D’après J. Archimbaud, un rapporteur de la conférence des présidents d’université a estimé en 1973 que les bibliothèques universitaires auraient besoin de 2.000 conservateurs alors qu’elles n’en avaient que 400. Ce rapport de un à cinq entre les moyens et les besoins est identique à celui qui peut être estimé pour les ressources financières. J. Archimbaud, B. Duportet, « La Crise des bibliothèques universitaires, quel avenir ont-elles encore ? », op. cit., p. 2037. Cf. aussi Livre noir des bibliothèques universitaires, op. cit., p. 4.