Chapitre 12
L’élaboration d’un nouveau cadre bibliothéconomique et institutionnel (1975-1985)

Introduction

En analysant l’évolution des bibliothèques universitaires françaises de province entre 1964 et 1985, le chapitre précédent a laissé de côté deux questions : l’évolution institutionnelle de ces bibliothèques à partir de 1975, et les mesures prises, à partir de la même date, pour rapprocher les bibliothèques universitaires « officielles » et les bibliothèques spécialisées des universités. Ces évolutions bibliothéconomique et institutionnelle forment le sujet du présent chapitre.

L’examen des documents ne laisse pas de doute sur l’origine de ces mesures. Il s’agit de la prise de conscience, à partir de 1975, de l’importance des bibliothèques spécialisées des universités. Cette importance a alors été perçue d’autant plus nettement que la réforme des bibliothèques universitaires engagée quatorze ans auparavant s’était proposé, entre autres objectifs, de limiter le rôle de ces bibliothèques, et que la première période de restriction de leurs moyens que les bibliothèques universitaires avaient connue à partir de 1970 pouvait être interprétée comme la conséquence d’une révision implicite des objectifs de développement fixés au début des années 1960. Il apparaissait donc avec évidence, autour de 1975, que les bibliothèques universitaires n’avaient pas réussi à limiter le rôle des bibliothèques spécialisées des universités, et cet échec pouvait être considéré comme un effet de l’incapacité des bibliothèques universitaires à jouer le rôle scientifique qui avait été prévu pour elles lors de la réforme de 1961-1962.

Sans que cette conclusion eût été explicitement formulée, la prise de conscience de l’importance des bibliothèques spécialisées des universités conduisit, d’une manière empirique, à poser une première question : comment réduire progressivement la distance entre les deux composantes du dispositif documentaire des universités, qui étaient l’une et l’autre financées par l’Etat mais fonctionnaient dans un isolement considéré comme préjudiciable à l’intérêt des utilisateurs ? Cette question appelait des mesures de caractère technique, mais celles-ci sont rapidement apparues comme insuffisantes. Une autre question, de nature plus politique, a alors été posée : pour remédier à cette situation d’ignorance mutuelle, ne fallait-il pas réformer l’organisation administrative des bibliothèques universitaires, que l’on pouvait considérer comme un obstacle à leur intégration dans les universités dont elles constituaient théoriquement des services communs ? Cette question mettait directement en cause les dispositions du décret du 23 décembre 1970 relatif aux bibliothèques universitaires et, à travers celles-ci, la conception « isolationniste » des bibliothèques universitaires sur laquelle était fondée la rédaction de ce décret et qui prolongeait les représentations du début des années 1960. Elle conduisait peut-être aussi à s’interroger sur l’existence d’une direction dont la compétence s’étendait à toutes les catégories de bibliothèques, et dont les liens avec la direction de l’enseignement supérieur pouvaient apparaître comme insuffisants. Sans qu’il soit établi que l’existence de la direction des bibliothèques ait alors été considérée comme un obstacle à une intégration plus poussée des bibliothèques universitaires dans les universités, on peut observer au moins la proximité chronologique entre le début de ce processus et la suppression de cette direction en juillet 1975.

L’année 1975 apparaît ainsi, comme cela a déjà été noté dans le chapitre précédent, comme le début d’une nouvelle période dans l’organisation des bibliothèques universitaires. Les étapes des évolutions retracées dans ce chapitre peuvent être mises en relation avec les changements intervenus dans les administrations chargées des bibliothèques universitaires. Peu de temps avant la suppression de la direction des bibliothèques et de la lecture publique en juillet 1975, s’est tenue à Lyon, le 22 février 1975, une journée d’étude de l’Association de l’Ecole nationale supérieure de bibliothécaires sur le thème ‘« Les bibliothèques universitaires et les autres organismes de documentation au sein de l’université »’. Quelques semaines plus tard, un colloque sur les bibliothèques universitaires a été organisé à Gif-sur-Yvette, les 7 et 8 avril 1975, avec la participation du secrétaire d’Etat aux universités Jean-Pierre Soisson. Les questions qui y ont été débattues ont fait une place importante aux relations des bibliothèques universitaires avec les bibliothèques spécialisées des universités. Ces journées d’étude ont été à l’origine de la tentative la plus ambitieuse de recensement de ces bibliothèques spécialisées, et ont eu pour conséquence une première série de mesures techniques et réglementaires, d’une portée relativement limitée. C’est le service des bibliothèques, créé en 1975, qui a eu la responsabilité de cette enquête et de ces mesures. L’étape suivante s’est située en 1980, dans le même contexte administratif. Elle a été marquée principalement par une enquête conjointe de l’inspection générale de l’administration du ministère des universités et de l’inspection générale des bibliothèques sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités. Le rapport consécutif à cette enquête, remis en juin 1980, a présenté plusieurs propositions importantes relatives à l’organisation documentaire des universités. Une partie de ces propositions (par exemple, celle qui préconisait la création de centres d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique, les C.A.D.I.S.T.) a été mise en oeuvre immédiatement ; d’autres ont été réalisées plus tard, entre 1983 et 1985, par la direction des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique et technique (D.B.M.I.S.T.), créée en 1982, d’autres encore n’ont pas été retenues. Le document connu sous le nom de « rapport Vandevoorde », rédigé en juillet 1981, concerne l’ensemble des bibliothèques. Les développements qu’il contient sur les bibliothèques universitaires reprennent généralement des analyses et des propositions contenues dans le rapport conjoint de l’inspection générale de l’administration et de l’inspection générale des bibliothèques mentionné précédemment. Le point d’aboutissement de ces travaux a été la publication, en juillet 1985, des textes réglementaires réorganisant les bibliothèques universitaires à l’intérieur du cadre fixé par la loi du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur. 651

Notre étude de ces évolutions abordera en premier lieu la perception et l’analyse de l’importance des bibliothèques spécialisées des universités, à travers des témoignages et les informations contenues dans les rapports officiels. Nous étudierons ensuite les conséquences de la perception et de l’interprétation de ce phénomène. Ces conséquences se situent à la fois sur le plan bibliothéconomique et sur le plan administratif, ce qui nous conduira à aborder successivement l’évolution de l’organisation documentaire des universités, et l’évolution des structures administratives des bibliothèques universitaires. Préoccupations bibliothéconomiques et institutionnelles se rejoignent dans les textes réglementaires qui ont créé les services communs de la documentation en 1985.

Notes
651.

Les Bibliothèques universitaires et les autres organismes de documentation au sein de l’université, journée d’étude, Lyon, 22 février 1975 (Villeurbanne, 1975) ; « Journées d’étude sur les bibliothèques universitaires et colloque sur la lecture publique », Bulletin des bibliothèques de France, t. 20, n° 7, juillet 1975, p. 287-295 ; Rapport sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités (Paris, 1980 ; non publié) ; Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981 par un groupe interministériel présidé par P. Vandevoorde (Paris, 1982). Un résumé des évolutions décrites dans le présent chapitre se trouve dans T. Bally, « Avant le décret [du 4 juillet 1985] », Bulletin des bibliothèques de France, t. 30, n° 5, 1985, p. 422-424.