II. Causes imputables aux bibliothèques universitaires

Sur le plan du fonctionnement, les causes imputables aux bibliothèques universitaires présentent souvent un caractère complémentaire de celles qui sont imputables aux universités ; mais elles font aussi apparaître des éléments de nature institutionnelle, dont l’identification est à l’origine des réformes de l’organisation administrative de ces bibliothèques par les textes réglementaires de 1985.

Un constat apparaît à travers plusieurs documents, celui de la faible fréquentation des secteurs spécialisés du second niveau des bibliothèques universitaires nouvelles ou transférées. Cela constitue un indice supplémentaire du fait que la politique de spécialisation liée à la déconcentration des bibliothèques universitaires n’avait pas connu le succès qui avait été espéré. Ce sont moins des éléments chiffrés que des appréciations de professionnels qui permettent de soutenir cette opinion. Ces appréciations sont au demeurant en accord avec certaines observations de la fin des années 1960 relevées au chapitre 9. Cet échec relatif de la politique de spécialisation des bibliothèques universitaires a surtout été apparent dans le domaine des sciences ; ce fait peut être mis en relation avec des éléments comme l’importance des dépenses documentaires des bibliothèques spécialisées des universités dans les mêmes disciplines. Mais les difficultés ne se limitaient pas aux disciplines scientifiques, et pourraient avoir été dues à la position ambiguë des secteurs spécialisés des bibliothèques universitaires, qui se situaient à mi-chemin entre la spécialisation véritable et un encyclopédisme persistant.

Dans son avant-propos à la journée d’étude sur les bibliothèques universitaires et les autres organismes de documentation au sein de l’université organisée en février 1975, Gérard Littler avait noté : « En créant des sections à proximité des différentes facultés, elles [les bibliothèques universitaires] ont constaté paradoxalement que ces facilités n’avaient pas toujours le pouvoir d’attraction qu’on pouvait en escompter, notamment dans les disciplines scientifiques ». Quelques années plus tard, G. Thirion constatait que la fréquentation de la bibliothèque universitaire de Nancy n’était le fait que de la moitié environ des étudiants et des enseignants, et que plus rares encore étaient les utilisateurs assidus. En 1980, le rapport des inspections générales notait que selon l’opinion des directeurs de bibliothèques universitaires, ‘« seule une minorité du corps enseignant et des chercheurs fréquente leurs établissements ». 667

Au-delà de ce constat, le caractère inadéquat de l’organisation administrative des bibliothèques universitaires a fréquemment été relevé. Le rapport des inspections générales de 1980 notait ainsi que ‘« les mécanismes institutionnels (conseil de la bibliothèque, commissions spécialisées) ont surtout paru constituer un squelette juridique plus que des instances vivantes et lorsqu’ils fonctionnent correctement ne permettent, semble-t-il, d’aborder les problèmes que de façon trop globale »’. Cela résultait probablement du fait que les bibliothèques universitaires constituaient en principe des services communs ‘« qui ne sont pas véritablement ressentis comme tels (surtout s’ils sont interuniversitaires) mais plutôt comme des services extérieurs à l’université, à tel point que l’on peut voir telle université reconstituer, par exemple, en son sein un service commun des bibliothèques (cas des U.E.R. littéraires de Nancy II) alors qu’elle dispose, par ailleurs, du service commun interuniversitaire qu’est la B.I.U. ». ’ 668

Sur le plan fonctionnel, les critiques les plus fréquentes adressées aux bibliothèques universitaires concernaient la déconcentration insuffisante de leurs services au public, avec l’éloignement des locaux d’enseignement et de recherche qui en résultait, et une certaine rigidité de fonctionnement qui s’opposait à la souplesse et à la réactivité des bibliothèques spécialisées des universités.

‘« Les principaux avantages des bibliothèques d’U.E.R. ou d’instituts sont ainsi ressentis : proximité des étudiants (elles sont quelquefois installées dans des salles de cours ou de travail), et des chercheurs (au sein des laboratoires) ; souplesse d’intervention (commandes passées et exécutées rapidement) ; dimensions humaines ; conseil à l’utilisateur et “éducation” documentaire de celui-ci lorsque le personnel est compétent et prend sa tâche à coeur ; accès facile et instantané aux ouvrages. On s’y retrouve entre spécialistes et on les juge indispensables dans le domaine de la recherche hautement spécialisée, ou comme bibliothèques de services (médecine), ou même pour l’enseignement quand celui-ci concerne un secteur bien délimité (langues dites “rares”).

A la souplesse des bibliothèques d’U.E.R. on oppose la lourdeur - vraie ou supposée - du fonctionnement des bibliothèques universitaires, les délais qu’elles mettent - ou mettraient - à satisfaire la demande (délais aggravés par leurs difficultés financières croissantes), la distance qui, assez souvent, les éloigne des utilisateurs. » 669

A travers ces critiques de l’organisation et du fonctionnement des bibliothèques universitaires, transparaissait une opposition de fond entre des bibliothèques ayant un rapport immédiat avec l’enseignement et la recherche dans un domaine spécialisé, et des bibliothèques universitaires dont la perception restait marquée par l’image d’un service de masse, dont les liens avec l’enseignement et la recherche étaient insuffisants.

Notes
667.

Les Bibliothèques universitaires et les autres organismes de documentation au sein de l’université, journée d’étude, Lyon, 22 février 1975, op. cit., p. I ; G. Thirion, « Situation des bibliothèques universitaires françaises », Bulletin d’informations, Association des bibliothécaires français, nouvelle série, n° 98, 1er trimestre 1978, p. 12 ; Rapport sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités, op. cit., p. 90. Les proportions d’enseignants et de chercheurs utilisateurs des bibliothèques universitaires estimées par ce rapport variaient, selon les villes, entre 5 pour cent et 50 pour cent.

668.

Rapport sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités, op. cit., p. 38 et p. 40. L’organisation mise en place à Nancy II était le résultat d’une volonté de rationaliser l’organisation des bibliothèque spécialisées, « en les regroupant en partie et en centralisant leur gestion (achats-catalogage). Mais on assiste alors en fait à la naissance d’une nouvelle bibliothèque universitaire qui risque, si l’on n’y prend garde, de concurrencer l’organisme officiel, et ce n’est pas là le moindre paradoxe de la situation actuelle. » Ibid., p. 84. Cette organisation parallèle a aussi été mise en place dans d’autres villes universitaires que Nancy.

669.

Rapport sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités, op. cit., p. 40. Remarques de même nature p. 77 et p. 90.