La première partie de ce rapport, analysée précédemment, était centrée sur l’organisation documentaire des universités. La seconde partie, dans laquelle ont été présentées des propositions, touche à des questions plus diverses et plus générales. On y trouve en effet évoquées des sujets comme la politique nationale de l’information scientifique et technique et certains organes de cette politique, en particulier l’Agence universitaire de l’information scientifique et technique (A.U.D.I.S.T.), créée en 1978, ou les attributions des administrations compétentes en matière d’information scientifique et technique, de documentation et de bibliothèques. Nous laissons de côté ces questions, qui n’ont que des liens indirects avec notre sujet. A l’intérieur des thèmes relatifs aux bibliothèques universitaires, nous distinguons ceux qui concernent l’organisation bibliothéconomique de ceux qui touchent à l’organisation administrative de ces bibliothèques.
Sur le plan de l’organisation bibliothéconomique, le rapport a présenté des propositions relatives à la coopération entre bibliothèques. Il s’agit principalement de la création des centres d’acquisition et de diffusion de l’information scientifique et technique (C.A.D.I.S.T.) et de la réunion en un catalogue collectif unique de plusieurs entreprises de recensement de périodiques. Ces propositions ont été assez rapidement mises en oeuvre, puisque les premiers C.A.D.I.S.T. ont été créés en octobre 1980, et que le catalogue collectif national des publications en série, résultat de la fusion de trois systèmes distincts, a été ouvert en 1983. L’une et l’autre de ces réalisations avaient pour objet de faciliter les activités du prêt entre bibliothèques.
Les propositions les plus novatrices contenues dans le rapport concernaient néanmoins l’organisation documentaire des universités. Fondées sur la volonté de ne sacrifier aucun des deux dispositifs documentaires qui existaient dans les universités, elles préconisaient la création dans chaque université d’une entité documentaire propre, appelée « service de la documentation et des bibliothèques », et qui serait restée un service commun de l’université. Ce service commun aurait dû réunir les bibliothèques universitaires et les bibliothèques spécialisées des universités en un réseau local appelé à s’insérer dans un réseau national d’information scientifique et technique. Il n’était pas prévu de possibilité de dérogation ni de niveaux d’intégration différents. Ce service aurait comporté des organes centraux : un conseil de la documentation et des bibliothèques, placé sous la présidence du président de l’université ou de son représentant, un directeur, et une division des études et des affaires générales. A côté de ces organes centraux, des sections de documentation auraient constitué les unités opérationnelles du service. Dans la conception exposée par le rapport des inspections générales de 1980, les sections auraient été très différentes des sections organisées par la réforme des bibliothèques universitaires de 1961-1962. Elles auraient été situées auprès des composantes de l’université (U.E.R., mais aussi départements, instituts), et auraient pu, comme celles-ci, être individualisées en fonction de leurs objectifs (recherche, enseignement, formation continue), et présenter un caractère unidisciplinaire ou pluridisciplinaire. Il est probable que ce niveau de déconcentration différencié et plus poussé que dans l’organisation existante aurait été mieux adapté aux structures universitaires que les sections correspondant aux anciennes facultés. Cette conception intéressante du point de vue des services au public s’accompagnait malencontreusement d’une déconcentration identique des services d’acquisition et de traitement des documents, ce qui aurait incontestablement aggravé la situation qui existait déjà dans les bibliothèques universitaires, même si un recours à des sources extérieures de catalogage (alors peu nombreuses) avait été prévu. Il était même envisagé que dans certains cas (documents d’une nature particulière, ou disciplines très spécialisées) le traitement des documents pourrait être opéré à un niveau plus fin que celui des sections documentaires. Une ou plusieurs commissions scientifiques auraient existé auprès de chaque section, pour assurer la liaison entre le responsable de la section et les spécialistes.
Le point fort de ce système d’organisation était qu’il assurait une bonne correspondance entre les structures de l’enseignement et de la recherche et celles de la documentation, en généralisant et en officialisant le type de structures mises en place spontanément dans les universités à l’initiative de leurs composantes. La coordination de sections aussi nombreuses et aussi variées au niveau du service commun de la documentation et des bibliothèques aurait cependant constitué une tâche difficile. On remarque que cette construction ne s’est pas inspirée d’exemples réels qui auraient pu servir de modèles, et que ses coûts en personnel n’ont pas été estimés.
Selon ces propositions, la création et la définition des sections auraient relevé d’une décision du conseil de l’université, prise sur proposition du conseil de la documentation et des bibliothèques.
‘« Cette décision constituerait la réplique à des besoins vérifiés découlant des activités, ou d’un secteur d’activités, de l’université. C’est dire que d’un établissement à l’autre, l’architecture des sections de documentation serait très loin d’être identique, et cela, à l’image de celle des complexes d’enseignement ou de recherche. »’Parmi les exemples donnés, figurait celui d’une section interdisciplinaire destinée à soutenir l’action culturelle de l’université en direction des étudiants, ce qui rappelait les bibliothèques de culture générale créées dans les bibliothèques universitaires au cours des années 1960 ; d’autres sections auraient été constituées autour de « grands axes traditionnels de formation » : sciences exactes, droit, pharmacie, ou autour de disciplines plus spécialisées (chimie organique, histoire contemporaine...) ; une partie de ces sections se rattachait au type qui existait dans les bibliothèques universitaires, les autres correspondant plutôt à des bibliothèques de département. Deux autres niveaux de spécialisation croissante étaient indiqués : il aurait pu ainsi exister des sections correspondant à des domaines plus restreints (médecine légale, histoire régionale...), proches du type des bibliothèques d’instituts, et d’autres liées à des travaux de recherche très spécialisés, rappelant un peu les bibliothèques de laboratoires. Dans l’ensemble, la construction des sections devait être subordonnée aux orientations de chaque université, à la diversité de ses centres d’intérêt et même à son style pédagogique. Il était cependant conseillé d’éviter une prolifération de sections qui nuirait à la solidité de l’ensemble documentaire, en veillant à ce que chaque section conservât une taille minimale.
L’ensemble documentaire ainsi constitué réunissait en une structure unique (mais pouvait-on réellement parler de structure dans le cas d’un ensemble aussi hétérogène ?) tous les types de bibliothèques qu’il était possible de rencontrer dans les universités. A certains égard séduisante, cette construction pouvait aussi apparaître comme redoutablement complexe. Elle se proposait de transférer dans une structure officielle toute la diversité qui existait à l’état spontané dans les universités, sans imaginer qu’il pouvait y avoir contradiction entre la diversité née de la spontanéité et le caractère officiel que l’on se proposait de conférer à cette construction. Pour ne retenir qu’une question, comment auraient été résolues les difficultés qui auraient été suscitées par des modes de définition des sections aussi hétérogènes ?
Aux partitions selon les disciplines, se superposaient des distinctions en fonction des utilisateurs : étudiants dans leur ensemble, ou étudiants d’un cycle d’études particulier, professeurs... Dans l’ensemble, le rapport recommandait que les locaux des sections fussent situés à proximité des lieux de recherche et d’enseignement. En ce qui concerne les modes d’utilisation des documents (consultation sur place ou prêt à domicile) et les autres questions pratiques, les décisions auraient relevé du conseil de la documentation et des bibliothèques. La complexité des critères qui auraient pu servir à définir une section déterminée était cependant telle que le nombre de sections documentaires dans une université aurait probablement été plus élevé que le nombre de ses bibliothèques spécialisées. A ces dernières, qu’il n’était pas prévu de regrouper, il aurait fallu en effet ajouter les sections de la bibliothèque universitaire et la ou les bibliothèques de culture générale s’il en existait. Il était dans ces conditions assez illusoire de penser qu’il aurait été possible au directeur du service de « maîtriser et uniformiser les modalités et les processus » de travail, ou encore que l’on pouvait bénéficier à la fois des avantages de la souplesse et de la diversité et de ceux de l’unité de la gestion et de l’uniformité des méthodes de travail. C’est donc une interprétation simplifiée de ces propositions qui a été mise en oeuvre au moment de la création des services communs de la documentation en 1985. 675
Un autre rapport publié en 1982 contient peu d’éléments sur l’organisation bibliothéconomique des universités, et s’attache davantage à l’idée d’une réforme institutionnelle des bibliothèques universitaires. Nous rappellerons donc simplement que, comme en 1975 et en 1980, ce rapport a pris position en faveur de la préservation de toutes les composantes, « officielles » ou non, du dispositif documentaire des universités. 676
Parmi les mesures préconisées entre 1980 et 1982 en vue du rapprochement des bibliothèques universitaires et des bibliothèques spécialisées des universités, ce sont celles du rapport des inspections générales de 1980 qui ont eu le caractère le plus ambitieux. Dans l’immédiat, leur application a été limitée à l’organisation d’un réseau de bibliothèques chargées de l’acquisition et de la diffusion de documents dans plusieurs domaines spécialisés, les C.A.D.I.S.T. On peut remarquer, avec T. Bally, que cette organisation a aussi eu pour effet de rapprocher dans certains cas des bibliothèques universitaires et des bibliothèques spécialisées. 677
Rapport sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités, op. cit., p. 100-164.
« De ce que pratiques et besoins ont fait apparaître la nécessité d’un double système, l’un assurant des fonctions documentaires centrales, l’autre, spécialisé, ménageant une meilleure proximité du livre et du document, il ne s’ensuit pas que le premier doive dépérir faute d’être réellement reconnu et soutenu, ni le second condamné, pour des raisons d’anarchie. » Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981..., op. cit., p. 56. A propos des origines du double système documentaire des universités, le même rapport notait : « Un système centralisé secrète toujours le besoin d’unités décentralisées : à côté des grandes bibliothèques universitaires, dès la première moitié du siècle, des facultés ou instituts avaient senti le besoin de se doter de bibliothèques spécialisées, dont ils dirigeaient la politique d’achat, et qui serait [sic] d’accès plus facile et plus immédiat. » Ibid., p. 31. La question de l’origine des bibliothèques spécialisées était ainsi renvoyée à une époque compatible avec la représentation idéale selon laquelle la création des bibliothèques universitaires à la fin du XIXe siècle aurait, dans un premier temps, provoqué la disparition non seulement des bibliothèques des facultés, ce qui est avéré, mais aussi des bibliothèques spécialisées de ces facultés, ce qui ne l’est pas du tout.
T. Bally, « Avant le décret [du 4 juillet 1985] », op. cit., p. 423. Le cas de rapprochement cité pour la province est celui de Strasbourg.