I. Le rapport des inspections générales de 1980

Sur le plan institutionnel comme sur le plan de l’organisation bibliothéconomique, les propositions de ce rapport ont eu un caractère ambitieux. Ces propositions se fondaient sur le constat de l’incapacité des bibliothèques universitaires à s’intégrer aux universités, sur des conceptions critiques à l’égard du rôle de l’administration alors chargée des bibliothèques universitaires et du caractère dérogatoire de l’organisation des bibliothèques universitaires, et sur la reconnaissance de la légitimité des bibliothèques spécialisées des universités.

Rappelant, dans la conclusion du rapport, la coexistence dans les universités de « deux systèmes documentaires distincts », les rapporteurs précisaient :

‘« L’un, officiel et fortement structuré, relevant à la fois des universités dont il constitue juridiquement un “service commun” et de l’administration centrale qui lui attribue la quasi-totalité de ses moyens, s’avère aujourd’hui, hors d’état pour des raisons tant matérielles qu’institutionnelles et psychologiques de s’intégrer pleinement dans l’université dont il dépend... »’

A propos du rôle de l’administration chargée des bibliothèques universitaires, une contradiction était relevée entre le rôle du service des bibliothèques (exercer la tutelle sur les bibliothèques universitaires, leur attribuer les dotations en personnel et les subventions « incluant indifféremment les dépenses purement matérielles de chauffage, d’éclairage et les dépenses documentaires stricto sensu »), et la position de ce service par rapport aux universités. Le service des bibliothèques n’était en effet nullement ‘« le tuteur financier des universités dont les B.U. et B.I.U. sont cependant en droit des services communs »’. Le rapport notait aussi que le décret du 26 mars 1976 avait maintenu le statut dérogatoire des bibliothèques universitaires au regard du mode de désignation des directeurs et de la composition du conseil de la bibliothèque. Il établissait enfin fermement le droit des unités d’enseignement et de recherche à constituer des bibliothèques et des centres de documentation adaptées aux besoins de l’enseignement et de la recherche.

‘« Dans le même temps, les U.E.R. ont la possibilité au sein de l’université d’invoquer les articles 11 à 19 de la loi d’orientation [de l’enseignement supérieur] pour affirmer, dans leur statut d’abord, dans leur gestion ensuite, leur autonomie administrative et pédagogique : c’est-à-dire leur droit à créer ou développer des centres documentaires qui leur soient propres. Et le conseil de l’université, dans la mesure où il a approuvé les statuts des U.E.R., est souvent amené à avaliser les demandes ultérieures de crédits de ces mêmes U.E.R. pour leurs centres documentaires.

De même, le président de l’université est conduit à affecter des postes et des personnels pour les tâches de la documentation accomplies hors des B.U. et B.I.U.
Il n’est pas niable que la quasi-impossibilité d’une coordination entre les B.U. et B.I.U. et les U.E.R. trouve son explication autant dans l’esprit et la lettre des textes que dans la mentalité des personnels. »’

Dans leur ensemble, ces observations assignaient aux difficultés de coordination du dispositif documentaire des universités une origine institutionnelle. 680

Pour remédier à la situation constatée dans les universités, le rapport d’inspection préconisait des mesures nationales et locales, et les précisait sous la forme de propositions concrètes.

Au niveau national, il convenait de rationaliser le financement de la fonction documentation des universités, en attribuant au service des bibliothèques ‘« une dotation budgétaire exclusivement réservée au financement de l’information et des documentations primaire et secondaire »’, ces crédits pouvant être considérés comme affectés à cette seule fonction. Au niveau local, les questions relatives à la politique documentaire étant souvent discutées dans des instances auxquelles ne participaient pas les directeurs de bibliothèques universitaires, il était préconisé d’organiser leur participation avec voix consultative au conseil scientifique de l’université et aux conseils des unités d’enseignement et de recherche.

Les propositions concrètes étaient relatives à l’organisation des organes centraux du service de la documentation et des bibliothèques de chaque université et à des dispositions financières et comptables.

Le service de la documentation et des bibliothèques créé dans chaque université aurait eu le caractère d’un service commun. Il aurait réuni des sections de documentation (dont la conception et l’organisation ont été analysées ci-dessus) et des organes centraux. Ceux-ci comprenaient le conseil de la documentation et des bibliothèques, le directeur du service et un ensemble de services fonctionnels désigné sous le nom de division des études et des affaires générales.

Le conseil de la documentation et des bibliothèques aurait eu des attributions plus larges que celles du conseil de la bibliothèque, notamment en matière de définition de la politique documentaire de l’université. Il se distinguait du conseil de la bibliothèque existant par plusieurs caractéristiques : c’était un organe propre à chaque université ; il en résultait donc implicitement la suppression des bibliothèques interuniversitaires ; en conséquence, il était placé sous la présidence du président de l’université ou de son représentant ; il aurait comporté tous les directeurs d’U.E.R. et des membres du conseil scientifique (cette dernière possibilité avait déjà été prévue par le décret du 26 mars 1976). Ces modifications semblaient aux rapporteurs pouvoir être intégrées dans le décret du 23 décembre 1970. Un comité permanent, composé de directeurs d’U.E.R., de membres du conseil scientifique et du directeur du service aurait siégé dans l’intervalle des sessions du conseil, sous la présidence du président de l’université ou de son représentant. 681

Le directeur du service aurait eu des prérogatives semblables à celles qui lui avaient été reconnues par le décret du 23 décembre 1970. Son statut aurait dû tenir compte de ses responsabilités à l’égard de l’université mais aussi à l’égard du ministère des universités, en raison de la part prise par l’institution qu’il dirigeait à « l’essor scientifique national ».

La division des études et des affaires générales, placée sous l’autorité directe du directeur du service, aurait assuré des fonctions scientifiques (articulation de la politique documentaire avec la politique scientifique et pédagogique de l’université), techniques et administratives. Ces dernières méritent un instant d’attention. Ces fonctions administratives auraient comporté des aspects plutôt économiques et techniques de « rationalisation des méthodes et des processus », mais aussi des attributions de gestion des emplois et du personnel et de gestion du patrimoine mobilier et immobilier. Ces indications marquaient la persistance d’un modèle d’organisation dans lequel toutes les questions relatives à une bibliothèque universitaire relevaient d’une gestion interne à cette bibliothèque, bien que des restrictions, dont la portée pratique n’apparaissait pas clairement, eussent été formulées.

‘« A ce stade, le service de documentation et des bibliothèques ne devrait conserver que les attributions qui constituent la sauvegarde de sa spécificité et une caution de régularité à l’égard de sa marche quotidienne. Toutes les attributions de caractère général ou celles qui pourraient être banalisées à l’échelon de l’université auraient à faire l’objet d’un report sur le secrétariat général.

De la sorte, incomberaient à l’administration universitaire, outre l’entretien des locaux, la gestion de la dotation des emplois et des carrières, l’accomplissement des procédures d’acquisition et de renouvellement de matériel, l’engagement et la surveillance des travaux d’aménagement.

En revanche, l’appréciation en opportunité de toutes les situations que traverse le service, serait, sans exception, du ressort de son directeur, habilité de surcroît à proposer toutes les solutions ayant pour but de les améliorer ou de les redresser. De même, resteraient dans son lot la définition des postes de travail, la répartition des tâches, les propositions aussi ayant trait à la notation, à l’avancement ou à l’état du personnel, le contrôle des acquisitions documentaires enfin. » 682

Il semble que ce passage exprime une hésitation sur la ligne de démarcation entre les fonctions documentaires et des fonctions administratives liées de plus ou moins près aux premières. Cette question a eu et a toujours des conséquences importantes pour l’organisation des bibliothèques universitaires ou des services communs de la documentation. On peut par exemple se demander si des fonctions comme la gestion du personnel ou la comptabilité ont leur place à l’intérieur des services d’une bibliothèque universitaire, ou si elles ne seraient pas situées d’une manière plus adéquate dans les services administratifs des universités. Cette hésitation est perceptible à travers la rédaction du passage cité ci-dessus, qui traduit peut-être la difficulté de trouver une formulation convenant à l’ensemble des rapporteurs. Relevons aussi une analogie entre la structure des dépenses des bibliothèques universitaires, que nous avons étudiée au chapitre 11, et qui faisait apparaître une dispersion de ces dépenses bien au-delà du champ documentaire proprement dit, et la dispersion des fonctions exercées dans une bibliothèque universitaire si l’on y inclut des fonctions de caractère non-documentaire et en particulier administratif. La plupart des éléments objectifs font défaut pour reconstituer la croissance des activités non-documentaires dans l’ensemble des activités des bibliothèques universitaires, mais cette croissance à l’époque récente ne fait aucun doute. On pourrait la mettre en relation avec l’alourdissement des tâches de gestion qui a été l’une des conséquences de l’installation des bibliothèques universitaires dans des bâtiments séparés des locaux d’enseignement et de recherche et surtout de la politique d’indépendance de ces bibliothèques à l’égard des universités. Les propositions tendant à recentrer les bibliothèques universitaires sur leurs fonctions documentaires formulées au cours des années 1980 ont essentiellement eu pour objet de rationaliser l’utilisation des crédits, et se sont arrêtées à des mesures de transfert des charges d’entretien des locaux des bibliothèques universitaires aux universités. En revanche, elles n’ont pas pris nettement position sur la question de même nature qui concernait l’utilisation des ressources humaines.

Les dispositions financières et comptables jouaient un rôle important dans les mesures préconisées en vue d’une meilleure intégration des bibliothèques universitaires aux universités. Elles se situaient aussi à l’intérieur du cadre fixé par le décret du 23 décembre 1970. Les ressources du service de la documentation et des bibliothèques (appelé aussi service commun de documentation de l’université) comprenaient les droits de bibliothèque des étudiants, une subvention du ministère des universités et une subvention éventuelle de l’université. Cette dernière pouvait être attribuée soit par les services centraux de l’université, soit par des unités d’enseignement et de recherche qui auraient confié au service commun de la documentation et des bibliothèques la gestion complète de la fonction documentaire les concernant. Cette dernière hypothèse était considérée comme peu vraisemblable dans un premier temps, en raison de « l’esprit particulariste des U.E.R. ».

Les charges du service commun de la documentation et des bibliothèques comprenaient les dépenses de fonctionnement, à l’exclusion de celles liées à l’entretien et à l’occupation des locaux, qui devaient être directement assumées par le budget de l’université ; les dépenses de caractère documentaire ; et éventuellement des subventions de caractère documentaire versées à des U.E.R. Cette dernière disposition semblait surprenante, mais elle avait été introduite pour le cas où des unités d’enseignement et de recherche éloignées géographiquement auraient dû assurer elles-mêmes des fonctions documentaires. Il s’agissait néanmoins d’une faille dans les compétences du service commun de documentation, et les rapporteurs eux-mêmes exprimaient la crainte du ‘« risque qu’une décentralisation outrancière ferait courir à l’institution en faisant considérer essentiellement le service commun comme un service distributeur de subventions supplémentaires à des U.E.R. »’. Sur le plan psychologique, ces subventions croisées étaient considérées comme une méthode valable pour assurer l’interdépendance des bibliothèques universitaires et des bibliothèques des unités d’enseignement et de recherche.

La cohésion du service commun de documentation pouvait aussi être mise à mal du fait de liens institutionnels complexes. Ainsi, le chef d’une section de documentation pouvait recevoir délégation de signature, pour les dépenses documentaires d’une unité d’enseignement et de recherche, soit du directeur du service commun, soit du président de l’université, soit encore du directeur de l’U.E.R.

Reprenant une proposition formulée dès 1975 mais qui n’avait jamais été suivie d’effet, le rapport proposait de regrouper en annexe des comptes de l’université l’ensemble des dépenses documentaires réalisées dans l’université.

En étudiant les conséquences de ces dispositions sur la procédure d’attribution des crédits, le rapport proposait de dissocier l’attribution des crédits relatifs aux dépenses documentaires et des crédits destinés à l’entretien des locaux. A cette occasion, il commettait une confusion fréquente entre crédits hors entretien des locaux et crédits documentaires proprement dits.

‘« Le schéma d’organisation proposé a suggéré que les crédits attribués au service commun de documentation concernent exclusivement les dépenses documentaires. L’entretien des bâtiments ainsi que leur chauffage et éclairage incomberaient à l’université. Il est en effet beaucoup plus rationnel que les chefs des services de documentation soient libérés de ces sujétions quotidiennes et davantage disponibles pour remplir la mission qui leur est spécifique. Sans que ceux-ci aient jusqu’alors démérité dans l’accomplissement de ces tâches, les universités, qui disposent de moyens en personnels adéquats, pourront absorber cette mission supplémentaire, à conditions qu’elles reçoivent le surcroît de subvention correspondant. » 683

Les dotations attribuées aux unités d’enseignement et de recherche auraient été diminuées d’un montant équivalent à celui qu’elles utilisaient pour des dépenses documentaires. Mais dans certains cas, ce transfert aurait été compensé en partie par des subventions du service commun de documentation.

L’objectif d’ensemble de cette réforme était d’intégrer les bibliothèques universitaires et les bibliothèques spécialisées des universités dans un réseau local propre à chaque université, qui aurait dû lui-même s’insérer dans un réseau national de fourniture d’information scientifique et technique. De ce fait, la nouvelle version du décret du 23 décembre 1970 aurait été relative non seulement aux bibliothèques universitaires, mais aussi aux bibliothèques et aux services de documentation de toute nature fonctionnant dans les universités. La suppression des bibliothèques interuniversitaires était préconisée, mais les universités d’une même agglomération auraient conservé la possibilité de mettre en commun leurs ressources documentaires par le moyen de conventions. 684

Les auteurs du rapport n’avaient pas dissimulé l’importance des réformes à mettre en oeuvre, tant sur le plan bibliothéconomique que sur le plan institutionnel, pour remédier à l’absence de coopération entre les bibliothèques universitaires et les bibliothèques spécialisées des universités. Ils avaient formulé des propositions qui tendaient à mettre en place une organisation documentaire complexe, dans laquelle les différentes pièces du dispositif existant alors se trouvaient rapprochées et juxtaposées plutôt que véritablement intégrées. Cette complexité explique que cette réforme n’ait jamais été engagée sous la forme détaillée préconisée par le rapport de 1980, mais qu’elle ait été mise en oeuvre après des simplifications et des adaptations qui permettaient de faciliter la transition avec la situation de départ. Les bases essentielles d’une réforme complète du système documentaire des universités avaient cependant été posées par ce rapport. Elles consistaient dans l’unification du double dispositif documentaire des universités, et dans l’affirmation de l’autorité du président de l’université sur le service commun ainsi élargi à l’ensemble des bibliothèques et des services de documentation de l’université.

Notes
680.

Rapport sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités, op. cit., p. 127, p. 131-132 et p. 162. Le droit des composantes des universités à constituer des bibliothèques et à obtenir des universités les moyens nécessaires pour les faire fonctionner est ici reconnu dans le cadre des dispositions de la loi d’orientation de l’enseignement supérieur du 12 novembre 1968. Mais il faut observer que les dispositions antérieures ne faisaient nullement obstacle à l’existence et à l’exercice de ce droit. Le même rapport reconnaissait que la situation d’enchevêtrement des responsabilités qui prévalait en matière de financement de la documentation pour l’enseignement supérieur et pour la recherche ne permettait pas à un service ministériel déterminé d’affecter judicieusement des crédits en fonction des besoins, et empêchait par conséquent toute politique documentaire d’ensemble cohérente. En ce qui concerne le Centre national de la recherche scientifique, il tenait de sa nature statutaire la possibilité de définir une politique documentaire spécifique, et les orientations choisies par ses instances délibérantes avaient « une incidence extrêmement importante sur l’ensemble du système documentaire du secteur universitaire ». Ibid., p. 127-131.

681.

La suppression des bibliothèques interuniversitaires, pour permettre à chaque université de constituer un service de documentation propre, a aussi été proposée par le Rapport au Premier ministre de la commission d’étude de la réforme du financement des universités... (Paris, 1981), t. 1, p. 97. Une mesure transitoire avait été prévue, qui consistait à rattacher à chaque université la ou les sections correspondant aux disciplines dans lesquelle elle était active. Ce principe général n’a pas dû être étudié dans le détail, car son application n’aurait pas permis de régler toutes les situations. Mais on peut en conclure qu’environ dix ans après la réforme qui les avait instituées, l’existence de ces bibliothèques apparaissait comme incompatible avec l’autonomie des universités.

682.

Rapport sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités, op. cit., p. 145-146.

683.

Rapport sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités, op. cit., p. 156. On remarque que le transfert aux universités de charges évidemment étrangères à la fonction de documentation proprement dite a été accompagné d’appréciations favorables sur la manière dont les responsables des bibliothèques universitaires s’en étaient acquittés jusqu’alors. Cela suggère que ces responsables n’étaient pas eux-mêmes disposés à accepter facilement le recentrage de leurs compétences sur des fonctions documentaires. La confusion entre crédits hors entretien des locaux et crédits documentaires est exprimée p. 157 sous la forme : « le service documentaire pourrait consacrer l’intégralité de ses ressources à des achats documentaires » ; il ne l’aurait pu que si toutes ses dépenses de fonctionnement (et pas seulement les dépenses d’entretien des locaux) avaient été transférées aux universités. Les dispositions financières et comptables proposées sont présentées p. 153-157.

684.

Rapport sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités, op. cit., p. 157-161.