B. La nouvelle organisation documentaire

La volonté d’unifier le dispositif documentaire des universités a été à l’origine de la création des services communs de la documentation réunissant, à des degrés divers, toutes les bibliothèques et tous les centres de documentation fonctionnant dans l’université. Malgré cette volonté d’universalité, plusieurs situations ont dû être distinguées. Le premier cas est celui des bibliothèques universitaires propres à une seule université (bibliothèque de l’université, selon la terminologie du décret du 23 décembre 1970) ; elles ont été entièrement intégrées dans les nouveaux services, avec tous leurs documents et tous leurs moyens. Dans l’hypothèse minimale, la bibliothèque universitaire constituait le seul élément du service commun de la documentation. Mais d’autres bibliothèques pouvaient aussi être intégrées dans le service commun de la documentation, sur décision du conseil d’administration de l’université, après avis du conseil du service commun de la documentation, et après accord du conseil de la composante dont relevaient ces bibliothèques. Les personnels et les moyens de ces bibliothèques étaient alors affectés au service commun de la documentation. L’intégration n’avait pas nécessairement pour effet le regroupement physique des collections avec celles de l’ancienne bibliothèque universitaire. D’autres bibliothèques pouvaient, tout en étant considérées comme associées au service commun de la documentation, conserver des ressources distinctes de celui-ci. Parmi ces bibliothèques, celles qui relevaient d’organismes liés par convention à l’université pouvaient recevoir ce statut. Cette dernière disposition visait en particulier les bibliothèques de recherche dépendant d’organismes comme le Centre national de la recherche scientifique. Quatre ensembles se trouvaient donc définis : celui de l’ancienne bibliothèque universitaire, dont l’intégration au service commun de la documentation était obligatoire ; celui de bibliothèques dont l’intégration à ce même service commun était volontaire ; celui des autres bibliothèques de l’université, dont l’association avait un caractère obligatoire, et celui des bibliothèques d’organismes liés contractuellement à l’université, dont l’association pouvait résulter d’une démarche volontaire. 696

La volonté de rupture avec l’organisation antérieure était rendue manifeste par le fait que l’appellation même de bibliothèque universitaire avait disparu. Il n’y avait ainsi pas de terme pour désigner, à l’intérieur du service commun de la documentation, les collections et les services de l’ancienne bibliothèque universitaire, ni l’ensemble formé par celle-ci et les bibliothèques intégrées par opposition aux bibliothèques associées. 697

Les missions des services communs de la documentation avaient été définies de manière beaucoup plus précises que dans le décret du 23 décembre 1970. La mission principale consistait à mettre en oeuvre la politique documentaire de l’établissement, à coordonner les moyens correspondants et à évaluer les services offerts aux usagers. A cette fin, le service commun de la documentation devait acquérir, gérer et communiquer les documents de toute nature à la disposition de l’établissement ; participer à la production et à la diffusion de l’information scientifique et technique ; favoriser par l’adaptation des services documentaires les initiatives dans le domaine de la formation et de la recherche ; coopérer avec d’autres bibliothèques, notamment par la réalisation de catalogues collectifs, et former les utilisateurs à l’emploi des techniques d’accès à l’information. La formulation assez vague du décret du 23 décembre 1970 (« mission d’étude, de recherche et d’enseignement bibliographique et documentaire ») avait cependant été reprise sous la forme d’un commentaire des missions principales (art. 1er et 2).

L’insuffisance des liens avec l’enseignement et la recherche avait constitué l’un des points faibles des bibliothèques universitaires. Pour améliorer cette situation, le décret du 4 juillet 1985 disposa que les unités de formation et de recherche, les écoles et les instituts dont l’existence était prévue par la loi du 26 janvier 1984 désigneraient un interlocuteur du service commun pour un temps déterminé ; cette disposition pouvait être étendue aux bibliothèques d’organismes liés contractuellement à l’université (art. 6).

Les activités du service commun devaient être organisées dans le cadre de sections documentaires, en nombre limité. A la différence du décret du 23 décembre 1970, le décret du 4 juillet 1985 mentionnait donc explicitement l’existence des sections. Leur définition reposait sur la ou les disciplines aux besoins documentaires desquelles elles étaient chargées de pourvoir, et ne tenait plus compte de l’installation dans un bâtiment propre. La création des sections, proposée par le président de l’université, devait être approuvée par le ministre chargé des universités (art.4). La responsabilité des sections devait être confié à un membre du personnel scientifique des bibliothèques, mais pouvait aussi être assurée par un membre du personnel de catégorie A titulaire de certains diplômes en bibliothéconomie ou en documentation (art.11). Dans la pratique, chaque section pouvait être constituée par une section de l’ancienne bibliothèque universitaire et certaines bibliothèques intégrées. C’est donc essentiellement au niveau des sections que se réalisait l’intégration documentaire entre l’ancienne bibliothèque universitaire et des bibliothèques spécialisées. Dans d’autres cas, une section pouvait ne comprendre qu’une section de l’ancienne bibliothèque universitaire, voire une bibliothèque intégrée ou un regroupement de ces bibliothèques. En limitant le nombre des sections et en donnant au ministre un pouvoir d’appréciation sur l’opportunité de leur création, le décret du 4 juillet 1985 avait certainement cherché à éviter une atomisation des services du type de celle qui avait été envisagée par le rapport des inspections générales de 1980. Cependant, certaines dispositions combinées du décret du 4 juillet 1985 pouvaient entraîner la généralisation d’une situation qui était restée jusqu’alors exceptionnelle, celle où une même section était installée dans plusieurs bâtiments. Même si le nombre théorique des sections restait limité en raison du pouvoir d’appréciation du ministre, le nombre des locaux dans lesquels pouvaient se trouver dispersés les collections et les services d’une même section était nécessairement appelé à augmenter.

Commentant ces dispositions, H. Comte a observé que les conditions mises à l’intégration de bibliothèques dans le service commun de la documentation, en particulier la nécessité d’un accord du conseil de la composante concernée, auraient probablement pour effet de rendre cette procédure peu fréquente. On peut remarquer aussi que bien qu’aucune procédure de ce type n’eût été prévue par le décret du 23 décembre 1970, des intégrations informelles (sous forme de dépôts à durée indéterminée) ou même formelles (régies par des conventions) de bibliothèques spécialisées dans des bibliothèques universitaires avaient néanmoins eu lieu dans certaines universités au cours des années 1970. Quant à l’association, elle n’était peut-être qu’un nouveau nom donné au statu quo car, dans la pratique, elle n’entamait en rien l’autonomie des bibliothèques associées. Il était donc possible de conclure :

‘« Ainsi, s’agissant de l’unification interne de la documentation, le décret engage la réforme mais ne la réalise pas. Ce sont les arrangements librement conclus au sein de chaque université qui déterminent son contenu et donc sa portée réelle. » 698

De même que le décret du 23 décembre 1970 avait distingué les bibliothèques d’université et les bibliothèques interuniversitaires, le décret du 4 juillet 1985 a prévu des dispositions particulières relatives à la coopération documentaire entre universités. Mais à la différence des dispositions de 1970, celles de 1985 n’engageaient pas les universités dans la voie d’une coopération totale. Ces dispositions avaient cependant un caractère complexe, et ont d’ailleurs été remaniées ultérieurement pour tenir compte de formes d’organisation non prévues par les textes de 1985 et utilisées par les universités.

Deux cas devaient être distingués : celui des agglomérations dans lesquelles les universités avaient créé une bibliothèque interuniversitaire, et celui où des établissements publics d’enseignement supérieur situés dans une même agglomération décidaient volontairement de créer un service de coopération documentaire.

Dans le premier cas, le décret maintenait l’obligation de créer, par convention soumise à l’avis du ministre, un service interétablissements de coopération documentaire, mais laissait aux universités le soin de décider de l’étendue et du contenu de leur coopération. Celle-ci pouvait aller jusqu’à confier au service de coopération documentaire la gestion de l’ensemble des bibliothèques intégrées des universités contractantes. Le résultat d’une telle organisation aurait été le maintien et même l’extension des fonctions des anciennes bibliothèques interuniversitaires. Une circulaire du 31 octobre 1985 avait défini l’étendue minimale de la coopération documentaire qui devait, selon l’administration, subsister entre universités. S’interrogeant sur ces dispositions, H. Comte a noté que le caractère obligatoire de la création d’un tel service ne semblait pas conforme aux articles 43 et 44 de la loi du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur qui avaient prévu la création de services communs interuniversitaires par une démarche volontaire des universités. En outre, malgré la circulaire du 31 octobre 1985, les universités pouvaient décider de modalités de coopération plus réduites que celles qui avaient été recommandées, voire ne pas réussir à s’accorder sur l’étendue de leur coopération dans le délai relativement court (un an) qui avait été fixé par le décret. En conclusion, il lui semblait que la coopération documentaire entre universités n’était pas garantie par des dispositions qui reposaient presque entièrement sur la bonne volonté des établissements appelés à coopérer, surtout dans le cas où des tensions s’étaient déjà manifestées au sein des bibliothèques interuniversitaires. On peut aussi observer qu’en incitant à l’intégration de l’ensemble des bibliothèques des universités, les nouvelles dispositions rendaient plus problématique le maintien de structures interuniversitaires, car il était probablement nécessaire de choisir entre l’approfondissement de la coopération à l’intérieur de chaque université et le maintien de structures interuniversitaires qui auraient été limitées aux sections de l’ancienne bibliothèque interuniversitaire. Cette difficulté, de nature organisationnelle et non réglementaire, ne semble pas avoir été perçue par les rédacteurs et les commentateurs des textes de la réforme de 1985. 699

La possibilité de création volontaire d’un service interétablissements de coopération documentaire avait été réservée par le décret du 4 juillet 1985 aux universités ayant leur siège dans une même agglomération qui n’auraient pas été desservies jusqu’alors par une bibliothèque interuniversitaire. Cette éventualité constituait une hypothèse théorique, peut-être destinée à faire face à la situation créée par des scissions d’universités, qui n’aurait pas permis l’application des dispositions relatives aux universités desservies antérieurement par une bibliothèque interuniversitaire. Quant aux dispositions qui permettaient à une université de participer au service interétablissements de coopération documentaire créé par les universités d’une autre agglomération de l’académie, elle rappelait une disposition analogue du décret du 23 décembre 1970 qui n’avait jamais été appliquée. Il était donc justifié de conclure, comme le faisait H. Comte, que sur le plan de l’unification interne des services de documentation comme sur celui de la coopération documentaire entre universités, le décret du 4 juillet 1985 n’avait introduit que des innovations limitées, et avait même rendu possible l’allègement de contraintes antérieures en matière de coopération. Il avait en revanche créé un cadre qui permettait, sur la base du volontariat, l’intégration plus ou moins complètes d’unités documentaires et une coopération plus ou moins étendue. De ce fait, l’unification des ressources documentaires des universités dépendait de décisions internes à chaque établissement d’enseignement supérieur. 700

Notes
696.

Décret n° 85-694 du 4 juillet 1985 sur les services de la documentation des établissements d’enseignement supérieur relevant du ministère de l’éducation nationale, Journal officiel du 11 juillet 1985 (art. 3). Ce décret ne concerne que les services communs de la documentation des universités de province, à l’exclusion de celles de Strasbourg. Il a été commenté par deux circulaires : circulaire n° 85-391 du 31 octobre 1985, Création des services communs de la documentation dans les universités possédant déjà une bibliothèque qui leur est propre, à l’exception des universités des académies de Paris, Créteil et Versailles, Bulletin officiel du ministère de l’éducation nationale, n° 41, 21 novembre 1985, et circulaire n° 85-392 du 31 octobre 1985, Création des services communs de la documentation et des services interétablissements de coopération documentaire dans les universités desservies jusqu’ici par une bibliothèque interuniversitaire, à l’exception des universités des académies de Paris, Créteil et Versailles, ibid. En ce qui concerne les bibliothèques dépendant d’organismes liés contractuellement aux universités, cf. « Avis de la direction générale du C.N.R.S. sur l’article 3 du décret [du 4 juillet 1985] sur les services de la documentation », Bulletin des bibliothèques de France, t. 30, n° 5, 1985, p. 443.

697.

H. Comte désigne sous le nom de « bibliothèque de l’université » l’ensemble formé par l’ancienne bibliothèque universitaire et éventuellement les autres bibliothèques intégrées au service commun de la documentation. H. Comte, « La Réforme du système documentaire des universités », op. cit., p. 381.

698.

H. Comte, « La Réforme du système documentaire des universités », op. cit., p. 381-382. H. Comte observait à ce propos que l’obligation de recueillir l’accord du conseil de la composante dont dépendait une bibliothèque susceptible d’être intégrée au service commun de la documentation conférait à ce conseil le pouvoir de s’opposer avec succès à la volonté intégratrice des autorités de l’université. Un avant-projet du décret du 4 juillet 1985 avait prévu un avis simple du conseil de la composante. Les dispositions finalement retenues étaient indéniablement de nature à favoriser la préservation des situations acquises.

699.

Décret n° 85-694 du 4 juillet 1985 sur les services de la documentation des établissements d’enseignement supérieur relevant du ministère de l’éducation nationale, Journal officiel du 11 juillet 1985, art. 12 et 13 ; circulaire n° 85-392 du 31 octobre 1985, Création des services communs de la documentation et des services interétablissements de coopération documentaire dans les universités desservies jusqu’ici par une bibliothèque interuniversitaire, à l’exception des universités des académies de Paris, Créteil et Versailles, Bulletin officiel du ministère de l’éducation nationale, n°41, 21 novembre 1985 ; loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur, Journal officiel du 27 janvier 1984, art. 43 et 44 ; H. Comte, « La Réforme du système documentaire des universités », op. cit., p. 382-383 ; sur les modifications apportées à la rédaction primitive du décret du 4 juillet 1985, cf. décret n° 91-320 du 27 mars 1991, Journal officiel du 29 mars 1991; sur les difficultés ultérieures de la coopération documentaire entre universités, cf. B. Lecoq, « Un Aspect de la crise des universités, l’interuniversitaire en question », Bulletin des bibliothèques de France, t. 41, n° 2, 1996, p. 16-19.

700.

H. Comte, « La Réforme du système documentaire des universités », op. cit., p. 384.