C. L’intégration des bibliothèques universitaires dans les universités

L’intégration aux universités des anciennes bibliothèques universitaires a d’abord eu un aspect négatif, la suppression de ces bibliothèques par leur intégration dans un service commun de la documentation, et la disparition de leur appellation, même dans le cas où elles constituaient la seule composante de ce service commun. Bien que l’appellation de « bibliothèque universitaire » ait été rétablie par le décret du 27 mars 1991 pour désigner l’ensemble formé par les bibliothèques intégrées, il s’agit bien d’une rupture avec une histoire plus que séculaire, puisque l’appellation rétablie ne désigne plus la même réalité. En ce sens, l’évolution commencée en 1855, avec la première tentative d’unification des bibliothèques des facultés, s’est terminée en 1985. 701

La loi du 26 janvier 1984 avait inclus, parmi les missions du service public de l’enseignement supérieur, celle de diffuser la culture et l’information scientifique et technique (art. 4). Cette mission pouvait être entendue comme s’appliquant particulièrement aux bibliothèques et aux services de documentation des universités. La loi avait aussi prévu que des services communs pouvaient être créés dans des conditions fixées par décret, notamment pour assurer l’organisation des bibliothèques et des centres de documentation (art. 25). En outre, la possibilité de création de services communs interuniversitaires résultait de la rédaction des articles 43 et 44 de la loi. Ces dispositions ont constitué le fondement de l’organisation des services communs de la documentation et des services interétablissements de coopération documentaire. 702

La principale innovation positive du décret du 4 juillet 1985 a consisté à placer le service commun de la documentation sous l’autorité du président de l’université (art.2). Cette mesure a eu pour conséquence de placer aussi le directeur du service commun de la documentation sous l’autorité directe du président de l’université (art. 9), et de confier à ce dernier, ou à son représentant, la présidence du conseil de la documentation qui a remplacé le conseil de la bibliothèque. Les risques de dyarchie qui étaient contenus dans les dispositions du décret du 23 décembre 1970 en raison de l’existence d’un président élu du conseil de la bibliothèque ont ainsi été écartés. Ces mesures ont une grande importance, puisque le régime de gestion centralisée des bibliothèques universitaires sous l’autorité du recteur, représentant de l’Etat, en vigueur jusqu’en 1970, et le régime de centralisation atténuée qui lui avait succédé de 1970 à 1985, ont été abolis. C’est donc en 1985 que les bibliothèques universitaires ont été transférées aux autorités universitaires et soumises à un régime de gestion décentralisée. 703

Selon l’analyse de H. Comte, ce transfert a eu pour conséquences des responsabilités accrues des universités en matière d’organisation des services, de financement et de fonctionnement.

Sur le plan de l’organisation des services, il revenait désormais à chaque université et à elle seule de créer son service commun de la documentation et d’en fixer les statuts en conformité avec les dispositions réglementaires en vigueur. Cette responsabilité s’étendait non seulement à l’ancienne bibliothèque universitaire, mais à l’ensemble des bibliothèques et des services de documentation de l’université. Cependant, le pouvoir de l’université restait limité en matière de création de sections documentaires, pour laquelle l’accord du ministre était nécessaire, et en matière d’intégration de bibliothèques, qui ne pouvait avoir lieu sans l’accord du conseil des composantes concernées. En ce qui concerne le financement des bibliothèques universitaires, la part des droits d’inscription versés par les étudiants et attribuée à la bibliothèque universitaire était déterminée librement par le conseil d’administration de l’établissement depuis 1982, sous réserve du respect d’un montant minimal. La subvention attribuée par l’Etat aux services communs de la documentation restait individualisée. Cependant, une part de cette subvention était déterminée dans le cadre du contrat d’établissement négocié entre l’Etat et chaque université, qui avait donc la possibilité de faire valoir ses priorités. Dans le domaine du fonctionnement, l’intégration à l’université se manifestait par différentes mesures : les attributions du président de l’université par rapport au conseil de la documentation et au directeur du service commun de la documentation ; le fait que la nomination du directeur fût subordonnée à un avis favorable du président de l’université (un avis simple des présidents d’universités contractantes suffisait dans le cas d’un service interétablissements de coopération documentaire) ; la nécessité d’une désignation explicite pour conférer au directeur du service commun de la documentation la qualité d’ordonnateur secondaire ; la présence au conseil de la documentation de représentants des personnels des bibliothèques associées, et les relations régulières qui devaient être établies entre le service commun de la documentation et les composantes de l’université par l’intermédiaire des interlocuteurs du service commun. A l’opposé de la conception qui avait fait des bibliothèques universitaires des services de l’Etat dans les universités, le décret et l’arrêté du 4 juillet 1985 avaient donc fait des services communs de la documentation des services mieux intégrés dans les universités. 704

On remarque cependant que cette intégration n’avait pas pour effet de remettre entièrement aux universités le pouvoir de décision dans tous les domaines. Outre les réserves déjà formulées, on observe que l’administration chargée des bibliothèques avait conservé le pouvoir de nommer le directeur du service commun de la documentation et de mettre fin à ses fonctions. Elle avait d’ailleurs pris soin de préciser par une circulaire sa conception des fonctions de direction dans les bibliothèques relevant de son autorité. Cette conception privilégiait la notion de mobilité. Bien que le décret du 4 juillet 1985 n’eût pas prévu de durée limitée pour l’exercice de fonctions de direction, la circulaire diffusée le 10 octobre 1985 considérait comme recommandable une durée de cinq ans, et insistait sur la possibilité que l’administration conservait de mettre fin aux fonctions d’un directeur. 705

En outre, les moyens attribués aux services communs de la documentation restaient contrôlés par l’administration, qui attribuait à ces services des subventions individualisées, fixait le montant minimum des droits d’inscription qui devaient leur être reversés et pourvoyait à leur dotation en emplois. Certaines mesures d’intégration financière plus poussée, du type de celles qui existaient en Grande-Bretagne, et qui avaient été proposées en termes prudents par un rapport officiel de 1982, n’avaient donc pas été réalisées. 706

Mais surtout, l’intégration dans les universités n’avait pas été conçue pour favoriser la prise en charge par ces dernières des tâches administratives effectuées dans les bibliothèques universitaires. Des fonctions comme la gestion du personnel et la comptabilité ont donc continué à être assurées à l’intérieur des services communs de la documentation. On voit par là que l’intégration dans les universités s’est surtout manifestée par un changement des autorités responsables, mais n’a eu que des effets assez limités sur les conditions réelles de fonctionnement des services de documentation. On peut pourtant penser que l’occasion de cette réforme à la fois documentaire et institutionnelle était favorable pour, simultanément, étendre les compétences documentaires des services de documentation et notamment développer la fonction scientifique toujours sacrifiée, et en contrepartie transférer aux universités des charges administratives sans rapport direct avec la finalité des bibliothèques. Il est probable que le poids du passé a conduit sur ce point a maintenir une organisation à bien des égards criticable, malgré certaines propositions contenues dans des rapports officiels du début des années 1980.707

Notes
701.

H. Comte, « La Réforme du système documentaire des universités », op. cit., p. 378 : « Ces textes... sont d’une portée considérable. Les bibliothèques universitaires (B.U.), institutions séculaires, disparaissent. Leur succèdent des services communs de documentation (S.C.D.) rassemblant l’ensemble des unités documentaires des universités et fonctionnant selon des règles nouvelles. » Ces analyses relativisent la portée de l’observation, formulée aux p. 378 et 379 de ce même article, selon laquelle les mesures prises en 1985 constituaient un retour aux conceptions qui avaient présidé à la création des bibliothèques universitaires en 1855 et 1879. Au demeurant, si les objectifs de ces mesures prises à plus d’un siècle de distance avaient été identiques, il aurait fallu expliquer en quoi leurs chances de réussite auraient été plus assurées en 1985 qu’en 1879.

702.

Une analyse des principales dispositions de la loi du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur a été publiée par J. Minot, Les Universités après la loi sur l’enseignement supérieur du 26 janvier 1984 en collaboration avec M. Connat, C. Edelbloute, D. Pallier et J.-F. Zahn (Paris, 1984). Le chapitre sur l’information scientifique et technique, rédigé par D. Pallier, concerne la « troisième mission » du service public de l’enseignement supérieur (diffusion de la culture et de l’information scientifique et technique). Op. cit., p. 131-145.

703.

Décret n° 85-694 du 4 juillet 1985 sur les services de la documentation des établissements d’enseignement supérieur relevant du ministère de l’éducation nationale, Journal officiel du 11 juillet 1985 ; arrêté du 4 juillet 1985 fixant les modalités de fonctionnement des conseils des services communs de la documentation des universités et des conseils des services interétablissements de coopération documentaire, ibid. L’article 1er de cet arrêté a confié la présidence du conseil de la documentation au président de l’université ou à un enseignant-chercheur membre du bureau de l’université.

704.

H. Comte, « La réforme du système documentaire des universités », op. cit., p. 385-387.

705.

« Fonctions de direction dans les bibliothèques et services relevant de la D.B.M.I.S.T. », Bulletin des bibliothèques de France, t. 30, n° 5, 1985, p. 440-441.

706.

« Si, sur ces bases, la fonction documentaire était réellement prise en compte dans toute son étendue, et réorganisée au sein de l’université, il n’y aurait pas d’obstacle à ce que, au terme d’une période transitoire, l’Etat alloue à l’université une dotation globale pour cette fonction. » Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981..., op. cit., p. 58. Le contexte permet de comprendre que cette dotation globale aurait été relative à la seule fonction de documentation, son caractère global résultant du fait qu’elle devait correspondre à la fois aux besoins de la « bibliothèque centrale de l’université » et à ceux des bibliothèques spécialisées.

707.

En 1980, le rapport des inspections générales avait proposé de transférer aux services administratifs des universités « outre l’entretien des locaux, la gestion de la dotation des emplois et des carrières, l’accomplissement des procédures d’acquisition et de renouvellement du matériel, l’engagement et la surveillance des travaux d’aménagement ». Rapport sur les bibliothèques et les centres de documentation des universités, op. cit., p. 146. En 1982, un autre rapport officiel avait affirmé que les bibliothèques universitaires constituaient « une structure ayant l’apparence d’un établissement dérogatoire au sein de l’université » parce qu’elles géraient elles-mêmes les dépenses relatives à l’entretien de leurs locaux. Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981..., op. cit., p. 57. On peut se demander en quoi la situation était fondamentalement différente lorsque des dépenses de caractère non-documentaire (matériel, fournitures, courrier, téléphone...) continuaient à être gérées à l’intérieur des services communs de la documentation. Il semble qu’en précisant que des personnels administratifs pouvaient être affectés dans les services communs de la documentation, le décret du 4 juillet 1985 ait en quelque sorte entériné cet usage, dont le caractère rationnel n’est cependant pas établi.