CHAPITRE I : LA GENESE

Les renseignements que nous possédons sur la vie et l’élaboration de l’oeuvre de Vauvenargues sont relativement pauvres. L’écrivain reste lui-même silencieux sur certaines étapes de son existence ce qui intrigue une critique désireuse d’en savoir plus sur l’expérience de l’homme afin d’expliquer le cheminement du moraliste et de son oeuvre. La courte vie de Vauvenargues a été marquée par des conflits, des déceptions et une ambition avortée ; mais, en 1857, avec la publication d’une partie de sa correspondance, nous découvrons un Vauvenargues familier du marquis de Mirabeau 2 et interlocuteur du déjà si célèbre Voltaire : une telle destinée incite à la mythification. L’oeuvre a été continuellement augmentée de textes inédits ou retranchés par l’auteur lui-même. Ces additions introduisent des divergences et des contradictions dans les idées de l’écrivain, révèlent plusieurs influences, et offrent un ensemble de textes de diverses formes mais toutes brèves et impersonnelles comme la maxime, le portrait ou le dialogue. Malgré cette apparente impersonnalité, conséquence du caractère fragmenté de l’oeuvre et des formes choisies par l’écrivain, de nombreuses réflexions du moraliste renvoient à des événements de la vie de l’homme. Nous sommes donc confrontés à une oeuvre inachevée qui semble révélatrice d’une vie souvent méconnue. Ces circonstances incitent les biographes à recourir à des hypothèses ou des recoupements entre la vie et l’oeuvre afin d’analyser l’expérience d’un homme dont l’intérêt est d’avoir voulu conseiller et diriger les autres hommes par ses réflexions morales. Ainsi après avoir étudié l’élaboration du mythe, tenté de mettre en évidence les rapports établis entre l’homme et l’oeuvre qui influencent l’interprétation de cette dernière, nous nous intéresserons à l’établissement des textes des éditions successives qui a suscité de nombreuses polémiques. En effet, si l’interprétation de l’oeuvre est fortement dépendante de l’idée que la critique se fait au sujet du moraliste, il semble que l’adjonction des inédits à l’édition initiale a été parfois assujettie à la construction de la personnalité de l’auteur et aux convictions des éditeurs.

Notes
2.

Le marquis de Mirabeau (1715-1789), auteur de l’Ami des hommes, est cousin de Vauvenargues. La partie de leur correspondance, publiée par D.L. Gilbert dans son édition des Oeuvres de Vauvenargues de 1857, s’étend du mois de juillet 1737 au 21 août 1740.