2. Le temps.

En ce qui concerne le temps de la narration, autre domaine de l’énonciation, il faut remarquer queles narrateurs des contes de ratiocination relatent au passé une histoire qui s’est déjà déroulée. On a donc affaire à une narration ultérieure, ce qui représente un aspect somme toute peu original des contes, car la plupart des textes de fiction en prose fonctionnent sur ce mode. Il est en effet naturel de faire raconter une histoire par celui qui l’a déjà vécue ou qui en a déjà été le témoin, ce qui entraîne une narration au passé. Néanmoins, cet usage de la narration ultérieure prend plus d’importance si l’on se rappelle que les contes fantastiques ne s’y conforment pas toujours : dans notre analyse de MS . Found in a Bottle, le passage progressif à une narration simultanée correspond à la diminution, puis à la disparition de toute distance entre temps de la narration et temps de l’histoire, ce qui est le signe de l’aliénation du narrateur face à la structure fascinante. Par comparaison, l’utilisation de la narration ultérieure dans les contes de ratiocination est le gage d’un recul nécessaire pris par le narrateur envers l’histoire qu’il relate. Bien sûr, ce n’est pas Dupin, mais son ami le narrateur anonyme qui est ici concerné ; cependant deux observations s’imposent à cet égard. D’abord, Dupin se situe, comme on l’a vu, ni tout à fait dans le récit ni tout à fait dans l’histoire, du fait de la focalisation interne sur le narrateur, et sa position est donc spécifique sur ce point. En second lieu, et malgré leurs différences, les points communs observés entre Dupin et son ami — le narrateur peut même être considéré comme un double du détective — suffisent à justifier une lecture de la narration ultérieure où la distance temporelle prise avec l’histoire par l’énonciateur du récit ne fait que confirmer le statut de Dupin.44

Notes
44.

Le narrateur lui aussi, ne l’oublions pas, sait comme Dupin se démarquer de tout dogmatisme et de toute « myopie » intellectuelle. Ainsi, p . 218, après quelques remarques de Dupin sur l’étroitesse d’esprit des algébristes : « “I mean to say,” continued Dupin, while I merely laughed at his last observations [...] ».