CHAPITRE II
UNE LECTURE DU RÉCIT IMPOSSIBLE POESQUE

Notre réflexion nous a permis d’aborder une forme du récit impossible propre à Edgar Allan Poe, et que nous pouvons appliquer aux contes fantastiques comme aux contes de ratiocination. Cette définition peut se résumer de la façon suivante : il y a non-coïncidence entre l’histoire du crime et la narration de l’enquête qui vise à en rendre compte, ce qui amène l’enquêteur à inclure dans son raisonnement des éléments, des indices non présents dans les données de départ de l’énigme criminelle et qui constituent donc des découvertes. En ce qui concerne les contes fantastiques, les récits des différents narrateurs s’avèrent également inaptes à représenter, à intégrer totalement le fantasme qui motive la narration, malgré la présence de structures textuelles qui impliquent une certaine prise de distance avec l’histoire et une certaine mise en forme de la structure fascinante. Nous allons à présent concentrer notre étude sur les contes de ratiocination afin d’en analyser en détails les stratégies et les implications profondes. Pour cela, il faut aller plus loin dans l’approche de cette notion de récit impossible appliquée à Poe, et d’abord, remarquons que les deux modes d’écriture — le mode fantastique comme le mode « ratiocinant » — s’articulent autour de l’idée que l’histoire, marquée par le fantasme, reste toujours au-delà de la narration, et donc que celle-ci est confrontée à un indicible. Cette situation amène bien entendu les narrateurs — et, à travers eux, l’instance d’écriture, Poe — à recommencer toujours le même récit, à construire leur narration comme différentes variations sur un même thème. Ainsi, Dupin répète sans cesse l’énoncé de sa méthode d’investigation visant à cerner la structure fascinante qui échappe toujours à la narration, comme les narrateurs des contes fantastiques reviennent à l’envi sur les structures dans lesquelles ils tentent, sans jamais y parvenir, de formaliser le fantasme. La réécriture d’un conte comme MS. Found in a Bottle à travers A Descent into the Maelström est un exemple flagrant de cette quête narrative toujours recommencée.

Afin de répondre à la question de la spécificité des contes de ratiocination — c’est-à-dire afin de proposer une certaine définition de leur appartenance générique à une écriture « policière » —, nous allons analyser cet indicible qui motive une narration marquée par une quête récurrente. Quels sont les fantasmes révélés par la distance entre histoire et narration ? Comment les aborder, quelles sont les différentes modalités de la narration qui nous donnent, plus ou moins, accès à la structure fascinante ? En d’autres termes, que recouvre le récit impossible poesque dans les contes de ratiocination ?