B. LES STRUCTURES FASCINANTES.

L’application par Dupin des méthodes de lecture dont il est lui-même partisan révèle donc un décalage entre théorie et pratique, décalage qui ressortit à la nature de récit impossible propre au texte policier. Pour mieux comprendre les implications profondes de ce décalage, et peut-être pour percer le secret qu’il dissimule (tout en le signalant au lecteur critique attentif), il paraît logique de se demander quel serait le résultat d’une lecture structuraliste conforme aux préceptes de Dupin. En effet, si le détective n’applique pas sa propre méthode, c’est en raison de la non-coïncidence, dans le récit impossible, entre narration de l’enquête et histoire du crime (sauf à transformer la narration en « fragments d’histoire » à travers la découverte d’un nouvel indice) ; mais c’est aussi peut-être à cause de la présence, dans ces textes, de complexes récurrents, plus ou moins reconnus et reconnaissables par Dupin, et qu’une lecture appropriée ferait apparaître trop clairement à son goût. En dehors même de cette hypothèse, il reste que l’herméneutique de Dupin, si elle n’est pas appliquée dans l’investigation des divers crimes et délits relatés, constitue bel et bien une méthode de lecture critique applicable aux textes de Poe notamment, et si l’on veut étudier en détails cette herméneutique, on ne doit pas négliger cette piste.

Notre approche du texte poesque va désormais se déplacer vers le texte dans son intégralité, en tant qu’il est produit par l’instance d’écriture (Edgar Allan Poe) et nous quittons donc l’étude de l’énigme à proprement parler, énigme qui fait l’objet des investigations de Dupin. Bien sûr, la relation métaphorique entre l’énigme criminelle à résoudre et le texte qu’il s’agit de lire est forte et pertinente ; cependant il ne s’agit nullement d’une équation, car l’énigme est un référent du texte alors que le texte lui-même — qui englobe d’ailleurs cette énigme — représente une réalité verbale pure. Comment, donc, passer de l’une à l’autre, et quelle relation entre ces deux entités nous y autorise ? Nous allons voir que l’énigme, dont la solution s’avère si problématique pour le détective, en ce qu’elle révèle chez lui un hiatus entre théorie et pratique, cette énigme trouve son pendant dans le texte lui-même qui, de façon similaire, se caractérise par une tension irrésolue entre deux pôles symétriquement opposés. En quelque sorte, le récit impossible, qui rend la solution de l’énigme dans l’histoire indicible par Dupin, trouve sa formalisation textuelle dans une oeuvre qui en elle-même donne à lire un équilibre construit entre deux éléments contradictoires. Les prétentions opposées, les logiques contraires du récit et de l’histoire de l’énigme donnent donc naissance à un texte qui, dans sa lettre même, dans la trame qui le construit, cherche lui aussi à mettre en rapport des pôles opposés, non pas cette fois, il est vrai, sur le plan de la recherche d’un référent (la solution de l’énigme, la « vérité »), mais, comme nous allons le voir, au niveau de la figuration d’un espace imaginaire délimité par le texte.

Avant même de s’intéresser aux contes de ratiocination dans cette perspective, il peut s’avérer utile de faire référence à une autre étude, à tendance structuraliste, de Poe, mais qui concerne surtout les contes fantastiques. Cette étude pourra nous servir de comparaison lors de notre propre interprétation des textes. Il s’agit de Poe dans le champ du vertige, de Henri Justin, ouvrage déjà cité et qui offre l’avantage d’une vision globale de l’ensemble des contes de Poe, auxquels s’ajoute Eureka, tout en insistant sur l’évolution sensible de l’écrivain au cours de sa carrière. Nous avons déjà pu remarquer que H. Justin perçoit cette évolution de l’auteur dans le temps comme correspondant à une évolution des textes marquée par une confrontation de plus en plus directe, dans les contes fantastiques, entre narrateur et structure fascinante (voir supra, pp. 25-26).64 Cependant, cette évolution correspond aussi à une exploration et à une formalisation des différents fantasmes récurrents chez cet auteur, et c’est un des objectifs de l’étude de H. Justin que de définir ces fantasmes, ces situations chargées du désir (et de l’angoisse) du sujet, qu’il désigne par les termes de « structures fascinantes » (voir également supra p. 19). Ainsi, l’évolution de l’écriture poesque va de pair avec la création de structures formelles récurrentes dans lesquelles la lecture de H. Justin fait apparaître les fantasmes du sujet. Cette lecture peut être qualifiée de « structuraliste » au sens où elle se fonde sur les figures de l’espace imaginaire dessinées au fil des contes par le texte poesque lui-même dans son évolution et dans la formalisation qu’il donne à voir des structures fascinantes. Ces structures fascinantes se répartissent en quatre grands ensembles logiques et chronologiques, selon H. Justin. Tout d’abord, on distingue les contes à vocation parodique qui correspondent aux textes que Poe avait l’intention de publier sous la forme d’un recueil intitulé « Le Club de l’In-Folio ». Ce recueil ne vit malheureusement jamais le jour du vivant de Poe. Chacun des onzes contes qui le composent, accompagnés d’un prologue, parodie un auteur en vogue de l’époque, car chaque texte est censé avoir été écrit par un narrateur distinct, et ces narrateurs ont bien sûr tous les défauts de leurs modèles réels.65 Henri Justin note déjà dans cette étude la structuration d’un rapport entre centre et périphérie, car il rapproche ces écrits parodiques de la situation difficile vécue par Poe sur le plan professionnel :

‘[...] Les Contes du Club de l’In-Folio nous offrent la manifestation d’un drame personnel et déjà l’exploration d’un univers imaginaire. Poe laisse monter l’obscur en lui, et regarde.
On comprendra que l’expression “le retour du refoulé” est à prendre et à ne pas prendre au sens freudien. Le refoulé, c’est d’abord Edgar Allan Poe lui-même, qui lutte pour faire surface sur la scène littéraire sans perdre contact avec son centre de vulnérabilité intime, sans perdre l’âme ; et pour cela prend le parti d’un volume orienté comme un champ de forces entre son centre mortel et sa périphérie triomphante. La structure d’un tel espace pourrait bien être la structure impossible de l’inconscient — et non pas au sens d’un refoulé clairement repérable par analyse et totalement récupérable, mais véritablement au sens de ce qui reste transconscientiel par nature et conditionne la possibilité même du refoulement : le Silence, l’espace total, le désir, l’idée de Dieu. (p. 84)’

Ainsi, dans ces contes parodiques, Edgar A. Poe met en regard une instance centrale, marquée par un échec relatif de la création, avec d’autres instances (représentées notamment par les divers narrateurs), situées comme « périphériques » dans l’espace imaginaire circonscrit par ces textes, et dont l’apparente puissance textuelle contraste avec le « centre ». Tout ceci prend la forme d’une dynamique : « Sans quitter le centre d’impuissance et de frustration, Poe l’irradie en puissance textuelle. Et la puissance, il la centre sur une intimité douloureuse jouissant de son triomphe secret. » (op.cit., p. 95).

Un deuxième ensemble de textes correspond à ce que H. Justin appelle ‘« les contes d’impuissance et de désir »’. Ces contes peuvent être rapprochés de ceux du « Club de l’In-Folio » à travers une formalisation, celle de la « série des chambres », c’est-à-dire un travail sur un espace imaginaire reconnaissable par son unité thématique (voir H. Justin, p. 159). Dans cet espace se dessinent des figures caractéristiques, notamment dans Ligeia. Ici, la chambre préparée avec soin par le narrateur pour accueillir le corps sans vie de Rowena, sa deuxième épouse, devient également le théâtre d’une relation symétrique entre centre et circonférence. Cette chambre (décrite dans le conte pp. 660-661) est, selon H. Justin, partagée entre deux chaos ; celui de la circonférence, d’abord, animé d’une vie artificielle :

‘Les lourdes tapisseries d’or, aux vastes plis roulant sous l’effet d’un vent artificiel, animent les motifs arabesques comme autant de nids de flammes noires où projeter les fantasmes de désir et de crainte : les figurations du chaos sont maintenant entièrement recomposées par l’art et intériorisées. (p. 169).’

A l’opposé, le centre de la chambre, occupé par un brûle-parfums imposant, lui aussi symbole de chaos, d’émanations multiples et presque animées.66 Cette analyse permet à H. Justin de lire dans la série des chambres une « symétrie contradictorielle » entre centre et circonférence :

‘La perfection de la chambre de “Ligeia” tient à ce que ces remarquables reproductions d’un chaos sont ramenées à l’unité d’un seul brûle-parfums, [...] structurant l’espace imaginaire de la chambre entre deux chaos enfin totalement symétriques et opératoires. (p. 171)’ ‘Au point où nous en sommes, la figure essentielle dessine une correspondance statique ou un échange dynamique entre une périphérie et un centre. Elle informait déjà l’ensemble des Contes du Club de l’In-Folio puisque “Disraeli” semblait diriger toute l’opération et donc occuper un extérieur très en vue, tandis que “l’impuissant”, au centre des contes, doublait les textes de silence, leur donnait leur sens caché, avec l’aide active du diable — et finalement signait le volume “Edgar A. Poe,” bouclant la boucle des deux polarités. Elle domine aussi “Ligeia” dont le sujet le plus général (lisible au seul niveau du “texte”) est le dessin du champ psychique total, la recherche d’une figuration de “l’âme.” En ce sens précis, ces chambres sont métatextuelles, et “Ligeia” peut être appelée une métafiction. (p. 174)’

Une troisième série de contes constitue selon H. Justin les « contes de chute et de regard ». Ici, la symétrie établie entre deux pôles contraires prend la forme d’un « fil » tendu dans la géométrie imaginaire du texte entre un regard situé à l’extérieur, et un point de chute (jamais atteint) défini comme le centre imaginaire du cosmos. C’est la conclusion à laquelle conduit l’étude de A Descent into the Maelström, conte où la lune joue le rôle d’un oeil qui illumine la chute du narrateur dans l’abîme, vers le centre et les profondeurs de la terre.

‘D’abord “le fond même,” le centre idéel est défini, nous l’avons vu, comme le point où se rassemblent et s’annulent “les grands murs de l’entonnoir” et une lecture en imagination peut y voir la pointe théorique, mathématique, irréalisable, d’un vortex. Se répondent alors parfaitement le regard transcendant de la lune et le centre nul du cosmos. Pouvoir tendre ce fil à double sens du point nul de l’abîme au vertigineux regard divin, ce serait atteindre “l’Eternité” — première expression d’une réalité dont nous comprendrons mieux la nature avec la lecture d’EUREKA. Ici le mot est emprunté au vocabulaire religieux traditionnel, comme toute cette image de la fragile passerelle, image qui pourrait sembler introduire une note trop pittoresque dans les sévères équilibres structuraux mais qui aussi nous invite à rapprocher ce conte des grandes constructions mythiques de l’humanité : tout le texte fait explicitement de son narrateur un “homo religiosus,” et nous allons bientôt remonter plus loin que le Coran pour comparer ce faisceau cosmique à l’axe du monde des peuples primitifs. Poe, je crois, nous conduit vers ces structures archaïques de la psyché. (pp. 236-237)’

En effet, cette géométrie imaginaire et cosmologique va se trouver précisée dans la quatrième et dernière partie de l’étude de H. Justin, qui concerne donc Eureka. Ce texte met en place le « centre/infini », c’est-à-dire une symétrie d’éléments antagonistes au niveau du cosmos. On reste donc bien, visiblement, dans ce même registre d’exploration du paradoxe, et dans ce travail de formalisation qui fait du vertige un champ textuel et psycho-cosmique dans lequel inscrire les figures de l’espace imaginaire.

Quel parti peut-on tirer de cette étude en ce qui concerne notre sujet, c’est-à-dire les contes de ratiocination, dans la perspective d’une définition du genre policier à ses débuts ? Nous pouvons tout d’abord remarquer que certaines structures de la géométrie imaginaire développée dans les contes fantastiques se retrouvent dans les contes de ratiocination. C’est une façon d’introduire une lecture structuraliste de ces contes, que nous allons développer par la suite ; c’est également la marque d’une continuité entre contes fantastiques et contes de ratiocination, continuité déjà remarquée dans notre étude narratologique. Ainsi, la résurrection de Ligeia à travers le cadavre de Rowena, résurrection hallucinée par le narrateur dans la chambre mortuaire de sa seconde épouse, prend la forme d’un fantasme qui est celui d’une réalisation par procuration de l’acte sexuel par le narrateur, le corps de Rowena lui servant de phallus imaginaire pour faire réapparaître Ligeia, sa première femme qu’il n’a jamais cessé d’aimer :

‘Toute cette longue scène où le narrateur s’évertue à ranimer Rowena à chaque signe du retour incertain de la vie m’avait toujours paru d’un grotesque gratuit. Le contexte alchimique n’était ici d’aucun secours. Je crains maintenant de savoir. Rowena a été achetée comme un objet, en vue d’une opération précise sinon consciente. L’enveloppe de la chambre est la représentation d’un fantasmatique utérus, et la cadavre de Rowena, inerte, raide et plombé, est un de ces “instruments” que nous avons déjà rencontrés dans “Bérénice” ou “Ps. Zénobie.” Or l’instrument va prendre vie, devenir organe, faire érection dans la chambre et émettre des “flots” de cheveux noirs. Les dimensions aveuglantes du symbole n’ont d’égal que l’audace de son détail et l’on se prend à douter.67

Ce fantasme correspond également à une dynamique établie entre la circonférence et le centre de la chambre, occupé par la dépouille de Rowena. Il semble indéniable que cette scène trouve son pendant dans The Murders in the Rue Morgue, lorsque le singe introduit le corps de Mlle L’Espanaye — la fille et non la mère — dans le conduit de la cheminée, ce qui constitue également un substitut d’acte sexuel. Certes, l’espace imaginaire n’est pas ici circonscrit avec la même précision que dans Ligeia, où la chambre fournit un cadre très spécifiquement déterminé par l’agencement des deux chaos effectué par le narrateur (voir Ligeia, pp. 660-661). Cependant, cette correspondance entre les deux scènes est bien le signe d’une présence du fantasme au coeur des contes de ratiocination, fantasme qui prend une forme très proche de celle que l’étude d’Henri Justin distingue dans la géométrie imaginaire de Ligeia.

Si le passage en question, dans Ligeia, se rapporte au fantasme du narrateur lui-même, il est plus difficile, peut-être, de déterminer précisément si la scène du crime reconstituée dans l’analepse explicative énoncée par Dupin reflète un fantasme propre au personnage ou s’il ne faut pas plutôt le rattacher a l’instance d’écriture, c’est-à-dire à Edgar Allan Poe lui-même, dans la mesure où les indices relevés par Dupin étayent bien l’interprétation de ce dernier, et dans la mesure, aussi, où le marin maltais confirme l’évasion du singe. Le fantasme auquel nous faisons référence relèverait donc plutôt, dans cette perspective, de l’instance d’écriture et non du narrateur, comme dans Ligeia, mais étant donné que ce fantasme est parlé par Dupin, narrateur (second) de l’analepse finale, il peut être perçu comme un rappel de la scène décrite dans le conte fantastique. Quoi qu’il en soit, cette description du crime par Dupin reste un élément marquant du conte, et constitue un point culminant du récit, que l’on peut rapprocher de l’autre scène qui, dans Ligeia, représente également un épisode essentiel du récit. La principale différence entre les deux scènes réside cependant dans le fait que, contrairement à la fausse résurrection de Rowena, le crime de The Murders in the Rue Morgue n’est aucunement mis en scène dans le texte policier : le lecteur n’assiste à aucune scène spectaculaire (contrairement à ce que nous pouvons lire dans Ligeia) et le crime est, au contraire, sobrement narré par le détective en des termes qui se veulent les plus neutres possibles. Il n’y a donc pas de mise en scène, ni de mise en texte, dans le récit de Dupin, c’est-à-dire qu’il n’y a de place pour aucune formalisation de l’histoire par un narrateur « froid et abstrait », à l’inverse de la « série des chambres » qui, dans les contes fantastiques, donnent une forme spécifique aux fantasmes des narrateurs. Dans cette mesure, nous pouvons dire que l’absence de formalisation de l’expérience fascinante, dans le récit de Dupin, constitue une faille de sa méthode « structuraliste » d’approche de l’énigme : la réalité du crime envahit le texte sans être médiatisée par la lettre du récit, ce qui révèle la présence directe d’un fantasme menaçant au coeur du texte, et dément ainsi le contrôle par le détective d’un réel qui reste inassimilable par son discours. Cette absence de formalisation correspond à une caractéristique forte des contes policiers ; elle rejoint l’impossibilité du récit, l’indicible de l’histoire par un texte qui prétend faire un usage purement utilitaire du langage, et qui donc ne donne à voir aucune figure textuelle élaborée dans un but de représentation dans et par le texte, mais qui propose, nous le verrons bientôt, d’autres richesses.

Néanmoins, il est vrai que cet exemple se limite à un passage assez bref de The Murders in the Rue Morgue, et que la structure fascinante décrite par H. Justin dans Ligeia recouvre un aspect plus important et dramatiquement mis en scène avec plus de relief. The Gold Bug, en revanche, nous offre une structuration de l’espace imaginaire plus proche de celle des contes fantastiques, notamment ceux que H. Justin qualifie de ‘« contes de chute et de regard »’. En effet, on trouve ici une symétrie entre un pôle du regard, illustré de façon assez morbide par l’orbite oculaire de la tête de mort à travers laquelle Jupiter lâche le scarabée, et un pôle de la chute, révélé par la découverte du trésor enfoui. Ce pôle de la chute est lui aussi lié à la mort puisque le Capitaine Kidd a tué et enterré avec le trésor ses comparses qui l’ont aidé à cacher le butin, ceci afin de ne pas courir le risque qu’ils trahissent le secret. Dans cet exemple se lit donc l’exploration, sur un mode scopique, de la mort conçue comme une chute, chute à travers le crâne vers une sépulture sommaire, comme se lisait, dans un registre moins tragique, le faisceau de lumière projeté par la lune sur la chute potentiellement mortelle, elle aussi,68 du marin de A Descent into the Maelström : dans les deux cas, le pôle de la mortalité trouve une certaine euphémisation dans le pôle opposé. Ce nouvel avatar de la relation entre centre et périphérie correspond chez le marin à une transfiguration bénéfique de sa chute, grâce à la mise en rapport d’un oeil lunaire face à l’abysse mortel. C’est ce qui va permettre au narrateur, semble-t-il, d’avoir la vie sauve, par le fait que cette illumination du gouffre marin le conduit à en explorer les parois, ce qui lui permet de trouver le moyen d’échapper à la mort :

‘“It may look like boasting—but what I tell you is truth—I began to reflect how magnificent a thing it was to die in such a manner, and how foolish it was in me to think of so paltry a consideration as my own individual life, in view of so wonderful a manifestation of God’s power. I do believe that I blushed with shame when this idea crossed my mind. After a little while I became possessed with the keenest curiosity about the whirl itself. I positively felt a wish to explore its depths, even at the sacrifice I was going to make; and my principal grief was that I should never be able to tell my old companions on shore about the mysteries I should see. (p. 135)’ ‘“The rays of the moon seemed to search the very bottom of the profound gulf [...].
“Looking about me upon the wide waste of liquid ebony on which we were thus borne, I perceived that our boat was not the only object in the embrace of the whirl. Both above and below us were visible fragments of vessels, large masses of building-timber and trunks of trees, with many smaller articles, such as pieces of house furniture, broken boxes, barrels and staves. I have already described the unnatural curiosity which had taken the place of my original terrors. It appeared to grow upon me as I drew nearer and nearer to my dreadful doom. (p. 137)’ ‘“It was not a new terror that thus affected me, but the dawn of a more exciting hope. This hope arose partly from memory, and partly from present observation. I called to mind the great variety of buoyant matter that strewed the coast of Lofoden, having been absorbed and then thrown forth by the Moskoe-ström. By far the greater number of the articles were shattered in the most extraordinary way—so chafed and roughened as to have the appearance of being stuck full of splinters—but then I distinctly recollected that there were some of them which were not disfigured at all. (p. 138)’

C’est l’observation, et cette curiosité anormale, qui va sauver le narrateur et donc, métaphoriquement, c’est son regard — et celui de la lune qui, par sa lumière, lui permet d’observer le gouffre — qui s’oppose à l’attraction de la chute et de la mort. De même, c’est bien le regard de Legrand, son esprit de déduction et d’observation, métaphorisé à travers l’orbite oculaire du crâne, qui va mettre à jour les squelettes des comparses du Capitaine Kidd, comme pour exorciser le malheur qui le frappe et qui, selon le narrateur, menacerait encore de le conduire à la folie :

‘He was of an ancient Huguenot family, and he had once been wealthy; but a series of misfortunes had reduced him to want. (p. 42)’ ‘By this time what little doubt I might have entertained of my poor friend’s sanity was put finally at rest. I had no alternative but to conclude him stricken with lunacy, and I became seriously anxious about getting him home. (p. 51)’

Le triomphe final de Legrand repose donc sur une relation d’opposition symétrique établie entre deux pôles contraires — c’est en fait le regard qu’il porte sur le secret et sur la mort enfouie avec le trésor qui permet à Legrand d’échapper à la folie qui, selon le narrateur, le guette, et au dénuement. L’espace imaginaire se structure ici encore dans une opposition entre centre et circonférence, entre chute et regard.

Un autre exemple de cette formalisation spatiale propre aux contes de ratiocination comme aux contes fantastiques se trouve encore dans The Gold Bug. On se souvient que Legrand, pour déterminer l’endroit exact où se trouve l’arbre dans lequel un crâne humain est fixé à une branche, doit escalader un roc du nom de « bishop’s hostel » ou « Bessop’s Castle » (p. 67). Là, il va s’asseoir dans un siège « naturel » creusé par l’érosion dans la pierre69 afin d’utiliser un télescope (« a glass ») et diriger son regard comme indiqué dans le cryptogramme pour apercevoir enfin le crâne dissimulé dans le feuillage de l’arbre en question :

‘The ‘good glass’, I knew could have reference to nothing but a telescope; for the word ‘glass’ is rarely employed in any other sense by seamen. Now here, I at once saw, was a telescope to be used, and a definite point of view, admitting no variation, from which to use it. (p. 68)’ ‘What seems to me the chief ingenuity in this whole business, is the fact (for repeated experiment has convinced me it is a fact) that the circular opening in question is visible from no other attainable point of view than that afforded by the narrow ledge upon the face of the rock. (p. 69)’

Il faut ici remarquer plusieurs éléments qui peuvent se rapprocher des structures que l’étude d’Henri Justin nous a aidés à distinguer. Tout d’abord, l’oeil scrutateur de Legrand, ce regard porté sur la mort symbolisé par un crâne qui lui-même va servir d’instrument d’exploration d’une mort plus souterraine, cachée, enfouie avec le butin — tout ceci reprend bien sûr le thème du regard tel que H. Justin le présente et tel que nous l’avons analysé dans l’exemple précédent à propos du même conte (voir supra). Le fil tendu par Legrand entre ce « siège » diabolique et le crâne, symbole de la piraterie, peut cependant s’interpréter d’une autre manière. Ce n’est peut-être plus aux contes de chute et de regard que nous avons affaire ici, mais plutôt à une formalisation caractéristique de la « série des chambres » : en effet, nous sommes en présence de deux regards, celui de Legrand, dédoublé, multiplié par le télescope, et celui, virtuel, que porte le crâne sur les cadavres enfouis avec le trésor. Comme Ligeia mettait en scène deux chaos symétriques, situés l’un à la périphérie et l’autre au centre de la chambre, The Gold Bug nous donne à voir la relation de deux regards dont l’un se trouve à l’extérieur et l’autre au centre de l’espace géométrique imaginaire. Centre de l’intérêt de Legrand, le crâne est également au centre de l’ouverture par laquelle Legrand le distingue dans le feuillage de l’arbre :

‘[...] my attention was arrested by a circular rift or opening in the foliage of a large tree that overtopped its fellows in the distance. In the centre of this rift I perceived a white spot, but could not, at first, distinguish what it was. Adjusting the focus of the telescope, I again looked, and now made it out to be a human skull. (p. 68)’

Cette relation symétrique et pourtant contradictoire — Legrand cherche à découvrir le trésor pour « mieux vivre »70 alors que le crâne est sans conteste un symbole de mort — se retrouve dans l’opposition très imagée qui, sur un plan onomastique, caractérise le roc — « bishop’s hostel » — et le siège « naturel » creusé dans ce roc — « the devil’s seat ». Le diable invité dans la demeure d’un évêque, ou comment porter son regard sur la mort, telle semble bien être la situation de Legrand, à travers les diverses formes que prend dans The Gold Bug l’exploration à laquelle conduit la lecture du cryptogramme.

Que le « siège du diable » soit un symbole de mort, ou tout au moins de malheur, le nom même du lieu ne permet guère de le mettre en doute. C’est justement là que réside toute l’habileté de Legrand qui utilise ensuite le crâne, pour arriver à ses fins et conjurer le mauvais sort qui l’a réduit à la pauvreté. Mais il faut aussi remarquer une coïncidence troublante dans notre corpus, c’est-à-dire dans l’ensemble des contes de ratiocination. En effet, le bosquet où sont retrouvés les vêtements de la victime, et où celle-ci semble avoir été assassinée, dans The Mystery of Marie Roget,71 présente une ressemblance frappante avec « the devil’s seat » en ceci qu’il contient également un siège en pierre de formation naturelle :72

‘Before proceeding further, let us consider the supposed scene of the assassination, in the thicket at the Barrière du Roule. This thicket, although dense, was in the close vicinity of a public road. Within were three or four large stones, forming a kind of seat with a back and a footstool. (p. 196)’ ‘This thicket was a singular—an exceedingly singular one. It was unusually dense. Within its naturally walled enclosure were three extraordinary stones, forming a seat with a back and a footstool. And this thicket, so full of art, was in the immediate vicinity, within a few rods, of the dwelling of Madame Deluc, whose boys were in the habit of closely examining the shrubberies about them in search of the bark of sassafras. Would it be a rash wager—a wager of one thousand to one—that a day never passed over the heads of these boys without finding at least one of them ensconced in the umbrageous hall, and enthroned upon its natural throne? Those who would hesitate at such a wager, have either never been boys themselves, or have forgotten the boyish nature. (p. 198)’

Voici donc de quoi confirmer notre idée selon laquelle le siège du diable est bel et bien associé à la mort, comme son pendant de The Mystery of Marie Roget. Mais plus encore, c’est un lieu où les enfants de la Barrière du Roule viennent régulièrement jouer, attirés de façon « naturelle » par l’aspect pittoresque du site. De là à penser que Legrand est lui aussi un enfant qui s’amuse à « déjouer » les intrigues cryptographiques, de façon à euphémiser certaines macabres découvertes, il n’y a qu’un pas. Que Legrand franchit peut-être lui-même lorsque, manière d’assujettir le pôle de la mortalité à son regard volontaire, il formule cette remarque et ce jeu de mot subtil :

‘But for my deep-seated impressions that treasure was here somewhere actually buried, we might have had all our labor in vain. (p. 69, nous soulignons)’

Non seulement Legrand prend le Capitaine Kidd à son propre jeu (voir le jeu de mot sur « kid », p. 61-62 : ‘« You may have heard of one Captain Kidd. I at once looked upon the figure of the animal as a kind of punning or hieroglyphical signature »’), mais encore il détourne le symbole du siège de la mort vers le jeu (de mots) et la récompense méritée des efforts déployés. Travail sur le symbole, sur la formalisation et sur le sens à lui attribuer ; assurément Legrand n’aura pas oeuvré en vain.

Il est temps désormais de récapituler nos conclusions dans une perspective plus générale sur l’apport que peut constituer, dans notre étude, la comparaison des figures imaginaires dégagées par Henri Justin et nos propres remarques concernant les contes de ratiocination. Cette comparaison a montré que les textes de Poe mettent en scène une relation dynamique entre deux pôles symétriquement opposés ; dans ce champ du vertige, dont on a vu qu’il concerne aussi bien les contes fantastiques que les contes de ratiocination, se dessinent des structures imaginaires qui visent le plus souvent à opérer une sorte d’euphémisation de l’angoisse présente au sein des structures fascinantes, grâce à une formalisation spécifique aux contes (contes d’impuissance et de désir, contes de chute et de regard, série des chambres). Ainsi, dans The Gold Bug, par exemple, l’aspect morbide de la découverte de Legrand (cadavres enfouis avec le trésor, crâne humain cloué à une branche d’arbre) est « contenu » dans une relation structurelle proche de celle des contes de chute et de regard, ce qui permet à Legrand d’explorer ce champ diégétique chargé d’angoisse en lui donnant un sens et une forme spécifique à travers l’interprétation du cryptogramme. Et cet aspect presque ludique de l’exploration se retrouve dans l’utilisation du terme « deep-seated », qui nous fait passer d’un crime « diabolique » commis par le Capitaine Kidd (« the devil’s seat ») à un jeu de mots (ou un jeu d’enfants, si l’on se souvient du lien fait avec The Mystery of Marie Roget), même si c’est bien la mort qui reste un mystère, et le sujet profond du texte, à son dénouement.73

Cependant, notre approche néglige encore de prendre en compte un élément déterminant et spécifique des contes policiers, qui est primordial si l’on veut bien comprendre le sens que Poe a voulu donner à ces textes. En effet, la particularité des contes policiers réside dans l’analepse finale dans laquelle Dupin donne l’explication et la solution de l’énigme. Or, cette explication est donnée par cet « armchair detective » dans un décor à travers lequel on peut déceler une certaine claustrophilie de Dupin, comme dans la majorité des passages qui décrivent la résidence du détective amateur et de son compagnon narrateur :

‘It was a freak of fancy in my friend (for what else shall I call it?) to be enamored of the night for her own sake; and into this bizarrerie, as into all his others, I quietly fell; giving myself up to his wild whims with a perfect abandon. The sable divinity would not herself dwell with us always; but we could counterfeit her presence. At the first dawn of the morning we closed all the massy shutters of our old building; lighted a couple of tapers which, strongly perfumed, threw out only the ghasliest and feeblest of rays. By the aid of these we then busied our souls in dreams—reading, writing or conversing, until warned by the clock of the advent of the true Darkness. Then we sallied forth into the streets, arm in arm, continuing the topics of the day, or roaming far and wide until a late hour, seeking, amid the wild lights and shadows of the populous city, that infinity of mental excitement which quiet observation can afford. (The Murders in the Rue Morgue, p. 144)’ ‘Engaged in researches which had absorbed our whole attention, it had been nearly a month since either of us had gone abroad, or received a visitor, or more than glanced at the leading political articles in one of the daily papers. (The Mystery of Marie Roget, p. 172)’ ‘We had been sitting in the dark, and Dupin now arose for the purpose of lighting a lamp, but sat down again, without doing so, upon G.’s saying that he had called to consult us, or rather to ask the opinion of my friend, about some official business which had occasioned a great deal of trouble.
“If it is any point requiring reflexion,” observed Dupin, as he forbore to enkindle the wick, “we shall examine it to better purpose in the dark.” (The Purloined Letter, p. 208)’ ‘In about a month afterward he paid us another visit, and found us occupied very nearly as before. (The Purloined Letter, p. 213)’

Les deux compagnons sont très casaniers, pour le moins, et ils font preuve d’une prédilection pour l’obscurité qui étonne le Préfet de Police. Cette particularité est bien sûr à relier à la prétention du détective à résoudre les énigmes criminelles sans même quitter sa demeure (voir notre premier chapitre, pp. 40-41). Mais ce repli sur soi, cet amour de la nuit, présentent surtout un contraste frappant avec les crimes sur lesquels ils enquêtent, et qui constituent pour eux les seules motivations de leurs rares sorties.74 La bonhomie et l’isolement des deux personnages dans l’obscurité résonnent bien curieusement si leur attitude est mise en regard avec la cruauté et la violence du singe dans la Rue morgue, ou avec le vaste décor du meurtre de Marie Roget.75 En somme, les contes policiers mettent en scène deux espaces contraires, celui de la réflexion, de la lecture et de l’explication — la demeure de Dupin et du narrateur — et l’espace criminel, beaucoup plus vaste et angoissant. Ces deux espaces sont mis en relation grâce au regard de Dupin, regard dissimulé par l’obscurité ou par d’autres biais : ‘« “Full of these ideas, I prepared myself with a pair of green spectacles, and called one fine morning, quite by accident, at the Ministerial Hotel. »’ (The Purloined Letter, p. 220). Dans ce contraste de deux espaces, c’est encore une fois l’intérieur (l’antre domestique de Dupin, plongé dans l’obscurité) et l’extérieur (le lieu du crime), le centre et la circonférence, qui sont mis en rapport à travers le regard du détective. La figuration imaginaire de l’explication finale du crime prend bien la forme qui est caractéristique du « champ du vertige » selon H. Justin, c’est-à-dire celle de deux pôles opposés et symétriques.

Or, cette « explication », qui est avant tout une relecture d’indices souvent mal interprétés au départ, peut elle aussi s’analyser comme une opération qui regroupe deux éléments contradictoires, du moins dans une figuration imaginaire. C’est ce que Roger Dadoun suggère dans un article consacré aux relations entre les études de Freud sur la cocaïne et le personnage de Sherlock Holmes. Selon lui, l’explication recherchée par Freud et Holmes procède à la fois de « l’enfoncement » dans les détails de l’intrigue et dans l’analyse des indices matériels, et de l’élévation à une perspective plus large, qui donne davantage de recul. Ainsi, l’explication fournie par le détective prend deux directions opposées, en ce qu’elle s’attache à la réalité de l’intrigue en même temps qu’elle s’en détache pour atteindre un point de vue plus général sur le crime :

‘La construction obtenue au terme de la recherche n’a pas seulement une fonction d’explication, qui est sa fonction avouée et manifeste, elle a aussi une fonction sublimante : en même temps qu’elle maintient un rapport rationnel avec le réel, qu’elle accomplit l’intégration des traces dans un système (résolution de l’énigme), elle détache d’une certaine façon l’esprit des traces qu’il a repérées et du système qu’il a construit, elle effectue une sorte de déliaison d’avec le réel [...], elle préserve ou elle introduit la dimension érotique et la jouissance à l’intérieur de la machinerie textuelle ex-altée. (pp. 74-75)76

Cette vision très originale des analepses explicatives typiques du genre policier peut nous aider à mieux comprendre la structure des contes de ratiocination, qui est bien celle d’un mouvement constant entre deux pôles. Ainsi, la démarche explicative de Dupin procède bien à la fois de l’analyse d’indices sur le terrain, voire directement de l’action opérée au domicile du coupable, comme dans The Purloined Letter, et de la réflexion sur le crime dans un environnement « claustrophile » ;77 ce sont ces deux pôles qui expliquent la jouissance dont parle R. Dadoun, jouissance d’une vision à la fois microscopique et macroscopique du monde, toute-puissance intellectuelle, en somme. Cette jouissance se lit parfois en filigrane lors du récit explicatif final de Dupin :

‘I have already spoken of his abstract manner at such times. His discourse was addressed to myself; but his voice, although by no means loud, had that intonation which is commonly employed in speaking to some one at a great distance. His eyes, vacant in expression, regarded only the wall. (The Murders in the Rue Morgue, p. 155)’

Ici encore apparaît la dialectique de la distance entre proximité et éloignement, concentration sur les indices, claustrophilie, et détachement du réel. Voici donc une manière de rendre compte de la formalisation imaginaire caractéristique des contes de ratiocination comme des contes fantastiques, et c’est sans doute là un point essentiel de l’approche du genre policier, tant l’aspect jouissif de la résolution de l’énigme constitue un élément générique, d’ailleurs lié au rôle et à la place du lecteur dans le roman policier.

Remarquons pour finir que si la symétrie spatiale contradictorielle représente une formalisation significative dans les contes policiers, la claustrophilie du détective peut recevoir une interprétation différente mais tout aussi recevable. En effet, il existe bien malgré tout une certaine ressemblance entre le lieu du crime et le lieu clos dans lequel le détective s’enferme pour réfléchir à l’enquête : l’appartement en apparence clos de The Murders in the Rue Morgue, l’appartement de la Reine, comme celui du Ministre D— dans The Purloined Letter, sont autant de lieux qui rappellent la demeure que le narrateur et son ami Dupin ne quittent que rarement. Le huis clos qui se joue entre ces deux personnages se retrouve donc, étrangement déformé, étrangement inquiétant aussi, sur le lieu du crime, comme si sur ce lieu se réalisaient secrètement des crimes auxquels ils ne sont pas tout à fait étrangers, cloîtrés qu’ils sont, eux aussi, dans leur propre demeure. Or, ne peut-on pas voir, dans l’horrible corps mutilé de Mlle L’Espanaye, enfoncé dans la cheminée du logement qu’elle partage avec sa mère, une réalisation extrême et déformée du désir claustrophile de Dupin ainsi que du narrateur ? Cela contribuerait à renforcer notre vision d’un détective habité par un fantasme qu’il s’obstine à ignorer, à nier, alors que ce fantasme le possède. L’inquiétante étrangeté dont parle Freud78 caractérise sans doute alors cette spécularité entre lieu de l’enquête et lieu du crime, dans la mesure où ce qui fait retour au lieu clos de la réflexion habité par Dupin, via le lieu de l’horreur et du crime commis par le singe, c’est bien le fantasme que le détective rejette, qu’il nie, et sur lequel il prétend exercer un contrôle total.

Notes
64.

Voir également H. Justin, p. 16 : « Ce tableau des contes nous désigne une première période où Edgar Poe a, par étapes rapides, mis en place le narrateur pour le pousser à un engagement de plus en plus direct avec une structure fascinante sommée de faire surface dans le texte. Nous verrons que, présente dès les premiers contes, en particulier sous les espèces de la chambre, la structure connaît une première épiphanie grandiose sous les yeux du marin norvégien. C’est aussi l’époque (1841) où l’auteur affirme son esthétique dans de grands textes critiques. A partir de là, il ne cessera de travailler à la formalisation de la structure, jusqu’à EUREKA. L’ensemble de ce “premier” mouvement créateur, de “Metzengerstein” à EUREKA (et où “premier,” on le voit, n’est pas à prendre dans le seul sens chronologique), est celui que couvre en fait cette étude.

Elle attend son pendant où serait suivi le mouvement inverse. Les personnages ne sont jamais nombreux dans les contes de Poe, mais nous allons aller vers leur raréfaction doublée d’une affirmation du seul espace, tandis que le second versant verrait une relative multiplication des personnages, un peuplement théâtral de l’espace. Par étapes ; et à partir du lieu central où toute dynamique du sujet est abolie dans un espace souverain. »

65.

Voir Poe dans le champ du vertige, p. 35, où sont répertoriés tous les auteur parodiés.

66.

Voir Ligeia, pp. 660-661 : « [...] there writhed in and out of them [the perforations of the censer], as if endued with a serpent vitality, a continual succession of parti-colored fires. »

67.

Poe dans le champ du vertige, pp. 152-153. Voir Ligeia, p. 665 : « [...] arising from the bed, tottering with feeble steps, with closed eyes, and with the manner of one bewildered in a dream, the thing that was enshrouded advanced boldly and palpably into the middle of the apartment. »

68.

Si le narrateur a échappé à la mort, son frère, lui, a péri dans cette chute vertigineuse. Voir p. 139 : « [...] it made three or four wild gyrations in rapid succession, and, bearing my loved brother with it, plunged headlong, at once and forever, into the chaos of the foam below. »

69.

Voir le cryptogramme p. 67 : « A good glass in the bishop’s hostel in the devil’s seat ».

70.

Voir p. 42 : « A series of misfortunes had reduced him to want. »

71.

The Mystery of Marie Roget fut publié entre novembre 1842 et février 1843, c’est-à-dire peu avant The Gold Bug, publié fin juin 1843.

72.

Voir The Gold Bug, p. 68 : « While I was busied in my reflection, my eyes fell upon a narrow ledge in the eastern face of the rock, perhaps a yard below the summit upon which I stood. This ledge projected about eighteen inches, and was not more than a foot wide, while a niche in the cliff just above it gave it a rude resemblance to one of the hollow-backed chairs used by our ancestors. I made no doubt that here was the ‘devil’s-seat’ alluded to in the MS, and now I seemed to grasp the full secret of the riddle. »

73.

Voir p. 69 : « This is a question I am no more able to answer than yourself ». Voir également supra pp. 73-74.

74.

Voir p. 153 : « The permission was obtained, and we proceeded at once to the Rue Morgue. »

75.

De même, la position sociale du criminel de The Purloined Letter, le Ministre D—, est à l’opposé de celle de Dupin, personnage désargenté issu pourtant d’une grande famille : « This young gentleman was of an excellent, indeed of an illustrious family, but, by a variety of untoward events, had been reduced to such poverty that the energy of his character succumbed beneath it, and he ceased to bestir himself in the world, or to care for the retrieval of his fortunes. » (The Murders in the Rue Morgue, p.143). Ce passage montre également que l’ambition du Ministre, qui le pousse à exercer un chantage sur la Reine pour assurer son avenir politique, est un trait de caractère que Dupin ne partage pas.

76.

« Un “sublime amour” de Sherlock Holmes et de Sigmund Freud », Littérature, numéro 49, février 1983, pp. 69-76.

77.

Il est à remarquer que cet élément claustrophile sera repris plus tard par Arthur Conan Doyle dans son personnage de Sherlock Holmes. Ainsi, dans The Hound of the Baskervilles (1902), Holmes s’enferme pour réfléchir à l’énigme qui vient de lui être soumise, et il passe la journée à fumer un tabac très fort dans une atmosphère de cloisonnement. Watson écrit alors : « I knew that seclusion and solitude were necessary for my friend in those hours of intense mental concentration. » (chapitre 3, p. 683). Mais cet enfermement est aussi pour Holmes le moyen de quitter Baker Street et de laisser vagabonder son esprit très loin, jusqu’aux lieux du crime :

‘[...] I have been to Devonshire.’

‘In spirit?’

‘Exactly.’ (p. 683)

On retrouve bien ici les deux pôles décrits par R . Dadoun. De même lit-on dans cette même oeuvre, au chapitre 3, page 684 : « “[...] I think we’ll shut up the window again, if you don’t mind. It is a singular thing, but I find that a concentrated atmosphere helps a concentration of thought. I have not pushed it to the length of getting into a box to think, but that is the logical outcome of my convictions [...] ».

78.

Sigmund Freud, « L’inquiétante étrangeté », in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1988, (pp. 209-263).