CHAPITRE I
RÉCIT ET IDENTITÉ - ÉTUDE NARRATOLOGIQUE

Wilkie Collins, comme Charles Dickens, si l'on compte ce dernier parmi les auteurs « policiers », ont écrit leurs deux oeuvres les plus marquantes durant ce que Julian Symons150 appelle l’ « Interregnum », c'est-à-dire durant la période stratégique qui va d'Edgar Poe (The Murders in the Rue Morgue, 1841) à Conan Doyle (A Study in Scarlet, 1887). Selon Symons151, les auteurs anglais de cette période étaient à la recherche d'un type stable de détective, comme celui que Doyle allait créer avec l'infaillible Sherlock Holmes. Cela allait les pousser à explorer certains thèmes repris plus tard par les auteurs modernes, comme celui du détective-coupable. Ainsi, selon Jean-Pierre Naugrette : ‘« Again, for lack of type or pattern, Collins by-passes the standard Doylian detective and announces more modern detective fictions. »’ 152

Cette modernité « par anticipation » reste aujourd'hui bien sensible dans ces deux oeuvres, et c'est elle qui rend leur narration si singulière. Encore faut-il la mettre en lumière dans le cadre des conventions du récit policier : c'est ce que nous allons tenter de faire à travers une étude narratologique comparée centrée sur la construction du secret et son expression dans le récit.153

Notes
150.

Julian SYMONS, Bloody Murder: from the detective story to the crime novel, London, Pan, 1992.

151.

Repris par Jean-Pierre NAUGRETTE, W. COLLINS: The Moonstone, Paris, Didier Erudition CNED, 1995. Voir pp. 57-58.

152.

NAUGRETTE, ibid., p. 59.

153.

Cette étude se fonde elle aussi sur l'ouvrage de Gérard GENETTE, « Discours du récit », in Figures III, Paris, Seuil, 1972.