CHAPITRE III
FONCTIONNEMENT ET JOUISSANCE DANS LE POLICIER :
VERS UN AU-DELÀ DU TEXTE

Le mystère de l'être, voici donc ce que cherchent à élucider les personnages de Dickens et de Collins, et ce d'une façon très particulière : par le regard, qui chez l'Autre agit comme un miroir et permet de se saisir soi-même dans ce que l'identité a de fugace et de permanent. Esther accède ainsi à la véritable identité, celle qui reconnaît, sans pouvoir la dévoiler, la part d'ombre et d'inconnaissable qui la fonde : ‘« I had for one moment an undefinable impression of myself as being something different from what I then was »’ (pp. 484-485). Il s'agit bien ici d'un type de relations où l'amour (souvent oedipien) de l'Autre révèle partiellement un inconnu qui, comme le matériau du rêve, touche le sujet au plus profond de son mystère, c'est-à-dire dans son être.

Il est difficile, cependant, de ne pas s'interroger sur la valeur de ces conclusions dans la perspective qui est la nôtre. Certes, elles mettent en valeur une structure singulière des relations interpersonnelles dans les deux romans, mais ces relations visent avant tout à réaliser une quête presque archétypale en littérature, c'est-à-dire la quête de soi comme individu. Des romans initiatiques à la tradition du Bildungsroman, c'est tout un pan de la notion de littérature qui se trouve exprimé ici, et l'on sent bien qu'une définition ausi peu spécifique des romans qui nous intéressent en tant que policiers n'est pas viable.

Afin de cerner de plus près notre objet, il faut avancer plus loin dans l'approche des deux oeuvres dans leur spécificité et leur littérarité. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que les analyses effectuées dans les deux premiers chapitres auront été vaines : au contraire, elles devront nous guider dans une exploration poussée des textes. Mais il faut s'éloigner un peu d'une étude narratologique trop précise (et donc peu représentative sur le plan générique) ou d'une étude psychocritique trop générale pour aborder le problème de manière adéquate ; en somme nous devons lire le texte à la fois dans son fonctionnement et avec un certain recul, dans la situation et les problèmes qu'il pose (impose ?) à son lecteur.