I-6 - Comment mesurer l’information ?

‘« C ’est une bien pauvre science’ , disait Lord Kelvin‘, celle qui n’est pas capable de s’exprimer dans des mesures ».’ La mesure a longtemps été l’apanage des sciences expérimentales, des sciences physiques en particulier. C’est seulement depuis un siècle qu’elle est pratiquée en sciences sociales. La mesure en sciences expérimentales se place dans une pensée positiviste, observer pour expliquer - induire - des lois universelles. Rappelons la théorie de Karl Popper sur la prohibitivité de la théorie scientifique. Ce dernier considère qu’une théorie scientifique fixe la réalisation de certains événements, et de ce fait, interdit la réalisation de certains autres. Elle reste valide tant qu’elle n’est pas réfutée, c’est à dire tant que ces événements interdits ne se produisent pas. Les tests scientifiques, les tests d’évaluation en particulier, sont alors conçus de manière à mettre en évidence l’erreur d’une théorie. En sciences sociales la mesure n’a pas du tout le même usage. En effet, la valeur de l’objet mesuré va dépendre en grande partie d’un jugement humain. Ce jugement est personnel donc non répétable. Supposons par exemple que l’information est ce qui est compris d’un texte par un lecteur. Phillips considère que le lecteur va réagir d’une manière ou d’une autre, pendant ou après la lecture, selon la quantité d’information perçue en suivant une structure cognitive individuelle. Il fait remarquer qu’il est possible de recenser l’ensemble des comportements observés. Ceci n’entraîne cependant pas que l’on peut inférer cette structure cognitive à partir d’actions répétées, comme on pourrait le faire pour une loi universelle.

La quantité d’information est une mesure qui se construit à partir de plusieurs paramètres, elle n’est pas directement observable. Nous devons trouver des moyens de la construire et d’en déterminer la validité30. Les définitions des objets sont posées en fonction de la manière selon laquelle on veut les exploiter. Prenons par exemple la position de Tague-Sutcliffe. Elle définit la quantité d’information en fonction de l’interaction document/utilisateur. ‘« Ce qui nous intéresse ce n’est pas de savoir comment un utilisateur va assigner une valeur informationnelle à un document et laquelle, mais de savoir si le fait d’assigner une valeur à un ensemble de documents est pertinent avec notre définition »’ [TAG95]. Pour vérifier que sa mesure est correcte, elle propose par exemple de comparer la valeur informationnelle attribuée par l’utilisateur avec l’utilisation qu’il a faite du document.

Il existe dans beaucoup de disciplines des sciences humaines un champ propre à des techniques d’analyse, de mesure, et d’évaluation, faites par des méthodes quantitatives. A titre d’exemple la scientométrie, la psychométrie et la sociométrie sont respectivement les méthodes quantitatives de mesure des sciences politiques, de la psychologie, et de la sociologie.

‘« Pendant très longtemps les Mathématiques pures (on parlait alors de Mathématiques) étaient dominés par l'école dite de « Nicolas Bourbaki » ’ 31 ‘. Les Mathématiques appliquées ont permis de résoudre en premier lieu des problèmes très liés aux sciences dures (Physique..) et aux Sciences de l’Ingénieur. Puis leur utilisation s’est répandue en Sciences Sociales et Humaines, en Economie, et en Psychologie. En Science de l'Information, leur utilisation est tout d’abord naïve par beaucoup de côtés et relève d'une approche très scientiste, semblable par bien des côtés à l'utilisation de ceux-ci en Sciences au début du siècle : la démarche très positiviste, recherche des lois. »’ [LAF98]. Pritchard32 définit en 1969 la bibliométrie comme ‘« l’application des mathématiques et méthodes statistiques aux livres et autres médias de communication’ ». Le terme actuel d’infométrie, qui regroupe la bibliométrie et la scientométrie, désigne l’analyse quantitative non seulement des flux d’information mais aussi des divers supports de communication (multimédia par exemple). Il a été pérennisé en 1987 à la conférence de la Société Internationale de scientométrie et d’infométrie.

‘« L. Egghe, organisateur de cette conférence, énumère les champs d'intérêts comme étant:

Tous ces thèmes ont, dans cette conférence, comme point commun d'être abordés de manière quantitative en utilisant l’outil Mathématique et Statistique.

Nous allons présenter plus précisément ces thèmes et voir comment ils s’inscrivent comme méthodes quantitatives en documentation.

Notes
30.

C’est une attitude plutôt constructiviste

31.

Ce livre était divisé en livres et chapitres et avait pour ambition de couvrir l'ensemble des Mathématiques. Il était dirigé par un collectif d'auteurs ; On pourrait le comparer à une encyclopédie très spécialisée ayant une forte unité. Il était édité chez Herman.

32.

PRITCHARD Alan - Statistical bibliography or bibliométrics ? in Journal of documentation - 25(4) - 1969 - pp 348-349

33.

Ou IR : Information Retrieval.