1.3. L'enseignement Secondaire

Alors que la vocation de l'enseignement élémentaire est, depuis longtemps, d'accueillir les enfants de toutes les classes sociales, dans le secondaire en revanche, ce n'est pas encore l'enseignement de masse que nous connaissons aujourd'hui, puisqu'une sélection s'opère à l'entrée. L'objectif de l'enseignement secondaire n'est donc pas la réussite de tous, mais la formation de l'élite de la nation, à qui on transmet le savoir comme un objet précieux. Les membres de l'enseignement secondaire avaient un net sentiment de supériorité par rapport à leurs collègues du "primaire". La simple utilisation du terme "enseignement primaire", à la place de "premier degré de l'enseignement" nous semble d'ailleurs assez révélatrice de ce sentiment.

‘"Au début du siècle’ ‘, écrit Claude Lelièvre’ ‘, seuls les enseignants du primaire sont formés, dans une certaine mesure à leur futur métier. Les enseignants du secondaire ne reçoivent qu'une formation "académique", disciplinaire."’ (in Avanzini, 1996). Depuis l'origine, les professeurs du secondaire sont donc perçus, et se perçoivent eux-mêmes, comme ceux qui possèdent le savoir qu'on leur a transmis et qu'ils vont à leur tour transmettre ; et donc, depuis l'origine, domine la croyance, très forte, en ce qu'on pourrait appeler "l'auto-suffisance pédagogique des savoirs", c'est-à-dire la croyance, très forte, dans l'idée que "le savoir porte en lui-même les conditions de sa transmission". Il est communément admis que, plus le futur professeur aura accumulé de connaissances académiques, meilleur enseignant il sera. On devient professeur principalement parce qu'on aime une discipline. ‘"Traditionnellement, les professeurs de l'enseignement secondaire n'avaient que faire d'une formation professionnelle. Il était admis que le niveau culturel attesté par l'agrégation, et même par la licence, conférait la compétence pédagogique. L'approfondissement d'une discipline scientifique, littéraire ou artistique, était censé comporter un entraînement à l'observation, à l'analyse et au contrôle de soi (ce qu'on appelait réflexion et esprit critique), qui apparaissaient comme des atouts majeurs pour aborder les situations éducatives."’ (Ferry, 1983, p.38). Enseigner dans le secondaire ne peut donc pas s'apprendre autrement qu'à travers l'acquisition d'un savoir académique, le plus "pointu" possible, le reste était affaire de vocation. ‘"On retrouve encore largement, dans les discours, les traces d'une origine vocationnelle de la fonction enseignante", ’ ‘écrira plus tard Guy Jobert, et il précise :’ ‘ "Dans cette perspective, la capacité professionnelle est strictement liée aux potentialités propres de l'individu. Il y a ceux qui spontanément savent faire, et ceux qui n'y parviendront jamais." ’(Jobert, 1988, p.16)

Il est vrai que les professeurs du secondaire s'adressent à un public relativement homogène, conscient de constituer la future élite de la nation. Avec ce public choisi, ils peuvent reproduire sans problèmes les méthodes avec lesquelles ils ont été eux-mêmes enseignés. Ils n'ont d'ailleurs pas conscience d'employer des méthodes particulières : puisqu'on a toujours enseigné de cette façon, ils n'envisagent pas qu'il soit possible de faire autrement. Jusqu'en 1950, bon nombre d'enseignants étaient recrutés avec la licence, c'est-à-dire avec une formation uniquement théorique. Ensuite, le décret du 22 janvier 1952 stipule : ‘"Le concours pour l'obtention du C.A.P.E.S. comprend deux parties indépendantes : une partie théorique qui comporte des épreuves écrites et orales, et une partie pratique soutenue un an après le succès à la partie théorique. (...) Les candidats admis à la partie théorique seront affectés dans des Centres Pédagogiques Régionaux. (...) Ils seront confiés à des conseillers pédagogiques dans les classes desquels ils s'initieront aux fonctions d'enseignement."’ (Avanzini, 1996, p.30). Ce n'est qu'à partir de 1968 que les professeurs agrégés devront eux aussi effectuer un stage d'une année. Comme pour la formation des instituteurs, et probablement encore davantage, on est dans une logique de la formation par imitation d'un expert. Quant à la formation continue, dans cette conception, il est tout-à-fait logique qu'elle soit pratiquement inexistante. Comme nous le verrons, les lieux où une certaine réflexion est menée sur l'enseignement et la pédagogie, sont pour la plupart en marge de l'institution, et souvent en dehors. Quelques-uns de ces lieux offrent aux enseignants des sessions de formation "en cours de service". Les enseignants qui les suivaient, le faisaient non seulement sur leur temps libre, mais aussi entièrement à leurs frais. Autant dire qu'ils étaient peu nombreux.