1.4. Le Malaise Des Années Soixante Ou La Fin De L'âge D'or

On sait que c'est dans les années soixante qu'on a "démocratisé le recrutement", comme dirait Antoine Prost (1992), c'est-à-dire que l'enseignement secondaire est devenu un enseignement de masse. On sait qu'un certain nombre de mesures ont contribué à cette massification comme, en 1956, la suppression de l'examen d'entrée en sixième, par Berthoin ; ou bien, en 1963, la création des C.E.S., avec leurs filières I, II et III, par Christian Fouchet ; ou encore la prolongation de la scolarité jusqu'à seize ans, décidée depuis 1959, et qui, assortie de la suppression des classes de fin d'études de l'enseignement primaire, va obliger à accueillir la quasi-totalité d'une classe d'âge dans le secondaire, à partir de 1967. Par suite, la sélection, qui se faisait auparavant à la fin de l'école primaire, davantage d'ailleurs par l'appartenance sociale que sur des critères purement scolaires, se trouvera reportée en fin de cinquième ou de troisième. Par ailleurs, à la même époque, l'augmentation du chômage change la nature des attentes de la société par rapport à l'école. Tous ces éléments, et bien d'autres encore, qui ont été maintes fois étudiés, se conjuguent pour que l'échec scolaire devienne un problème national aigu, au cours des années soixante.

Ce sont les instituteurs enseignant à l'école élémentaire et dans les "filières III" des C.E.S., les célèbres "classes de transition", ainsi que les P.E.G.C. enseignant dans les "filières II", qui vont se trouver les premiers affrontés à ce problème de l'échec scolaire. Face à cette situation inédite, ils vont d'ailleurs se trouver complètement démunis, leur formation ne les ayant pas du tout préparés à ce choc. Quant aux professeurs certifiés, enseignant dans les "filières I", ils vivent sans le savoir la fin de l'âge d'or.

La croyance en "l'auto-suffisance pédagogique des savoirs" est tellement bien intégrée par tous que les remèdes au malaise grandissant sont recherchés uniquement en fonction de cette logique, aussi bien d'ailleurs par les décideurs que par les enseignants eux-mêmes. Ainsi, du côté de l'institution, on met en place des "recyclages", essentiellement celui des P.E.G.C. Il est assuré dans les Centres de Formation P.E.G.C., par les "directeurs d'Etudes" qui étaient également chargés de la formation initiale des P.E.G.C. Ceux-ci avaient été recrutés en masse parmi les instituteurs, à partir des années cinquante, pour faire face à l'arrivée massive d'élèves dans le secondaire. Certains étaient titulaires du Brevet Supérieur, d'autres du baccalauréat. Un petit nombre d'entre eux avaient fait une ou deux années d'études universitaires après le baccalauréat. Cela permettait aux "vrais" professeurs de les accuser de tous les maux dont souffrait le second degré, à savoir la baisse du niveau et surtout l'extension de l'échec scolaire.

Outre ces "recyclages", un autre embryon de formation continue était quelquefois proposé lors de l'introduction de nouveaux programmes : l'exemple le plus célèbre est celui de l'introduction des "mathématiques modernes" en 1969-703. Le "recyclage", dans ce cas, fut assuré par les I.R.E.M., créés d'ailleurs pour accompagner cette réforme.

Seuls, les maîtres enseignants dans les classes "difficiles" bénéficiaient de formations plus "pédagogiques" comme, par exemple, les maîtres des "classes pratiques" de la filière III. A cette époque, parmi les formations en cours d'emploi dispensées dans le cadre de l'Education nationale, cette formation continue constitue une des rares expériences dans laquelle les pratiques pédagogiques des stagiaires étaient prises en compte, c'est-à-dire l'une des premières expériences d'alternance théorie-pratique en formation d'enseignants. Cela n'est certainement pas un hasard, puisque ces enseignants étaient d'anciens instituteurs, donc issus du système "enseignement primaire".

Mais ces quelques formations ne sont destinées qu'à des catégories particulières d'enseignants. La grosse masse des enseignants du secondaire n'est pas touchée. Néanmoins, ce qu'on appelait alors le "malaise des enseignants" grandit au fil des années. Certains d'entre eux tentent de l'expliquer par des causes extérieures : le manque de crédits, les classes surchargées, la démission des parents, etc... Il est encore très rare que la nécessité d'enseigner autrement, de s'adapter aux nouveaux publics, et surtout la nécessité de se former pour cela, soient envisagées comme réponses pertinentes à cette situation nouvelle. Mais n'anticipons pas, et voyons plutôt ce qu'on en pensait du côté de l'institution.

Notes
3.

On peut trouver plusieurs analyses concernant cette réforme dans BKOUCHE (1991)