1.5. Premiers Projets Sur La Formation Des Enseignants

Donc, jusque dans les années soixante, le thème de la formation des maîtres n'occupe guère le devant de la scène, les quelques essais tentés pour l'y placer n'ayant pas été "transformés". Un projet novateur avait été proposé par Jean Zay en 1937, mais n'a pas pu être réalisé pour cause de guerre. Il sera repris en grande partie en 1947, par le plan Langevin-Wallon, novateur dans bien des domaines. Celui-ci préconisait par exemple, un corps unique d'enseignants formés dans une structure unique, c'est-à-dire qu'il anticipait ce qui sera réalisé plus de quarante ans plus tard, par les I.U.F.M. Mais le plan Langevin-Wallon, sans doute trop en avance sur son temps, "tombe à plat", dit Antoine Prost (I.N.R.P., 1991 a, p.22). Si, jusque là, le débat sur la formation des enseignants est resté à l'arrière-plan, c'est probablement à cause de la priorité donnée aux problèmes d'ordre quantitatifs. En effet, l'objet essentiel des préoccupations est la réduction des effectifs des classes.

Le plan Langevin-Wallon ne sera exhumé qu'en 1964, par l'Ecole et la Nation, revue du Parti Communiste Français ; la même année, il donnera lieu à un grand colloque, au cours duquel la réforme de la formation des maîtres apparaît encore, aux yeux de tous, comme un idéal inaccessible et surtout lointain. Néanmoins, la redécouverte du plan Langevin-Wallon aura eu comme conséquence d'exhumer la question de la formation des maîtres, et de lui permettre de prendre peu à peu de l'importance, à partir de la fin des années soixante.

La réflexion sur la formation des enseignants était donc lancée et, écrit encore Antoine Prost, ‘"les choses vont commencer à changer progressivement à partir de 1966, sous une double influence : d'une part, des universitaires novateurs réunissent à Caen un colloque placé sous la présidence de Pierre Mendès-France. (...) Au même moment, il y a une certaine agitation dans les milieux syndicaux. (...) Au S.G.E.N., d'une part, (...) et au S.N.E.S., où la nouvelle majorité UEA décide de mettre en marche la réflexion, à la fois par conviction et par intérêt d'organisation. (...) Ils sont soutenus par le Parti Communiste, auquel un certain nombre d'entre d'eux appartiennent et qui a décidé de réoccuper la scène de l'éducation en demandant à un des plus prestigieux membres du comité central - Pierre Juquin, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure - de faire de vraies propositions de réforme de l'enseignement."’ (I.N.R.P., 1991 a, p.22).

Mais, c'est au colloque d'Amiens, en mars 1968, donc juste avant les événements de mai, qu'émerge véritablement le problème de la formation des maîtres. ‘"Le rapport de ce colloque est tout à fait intéressant, c'est vraiment là que les idées en matière de formation des maîtres prennent corps."’ écrit encore Antoine Prost (ibid., p.25). On peut être surpris par le temps qu'il a fallu pour passer des idées à leur réalisation effective. C'est souvent un lieu commun de dire qu'en matière d'éducation, les choses bougent extrêmement lentement..., mais là on peut vraiment mesurer la justesse de cette affirmation. En effet, si on examine les propositions du colloque d'Amiens (Best et all., 1968), elles reflètent bien l'esprit d'innovation qui caractérisait cette époque. ‘"Dans le contexte de 68," ’ ‘écrit Gilles Ferry,’ ‘ "le rêve du changement était chargé d'images radieuses : renversements des tabous, liberté de la parole, champ ouvert aux initiatives."’ (Ferry, 1983, p.10).

Parmi les propositions novatrices faites à ce colloque, citons quelques-unes de celles qui sont les plus proches de notre propos. Nous y trouvons d'abord l'idée que ‘"la formation devra comporter deux aspects : l'un de formation fondamentale, l'autre de formation professionnelle (...) faisant fond sur la pratique du métier, dans des conditons réelles, c'est-à-dire en situation de responsabilité,"’ (Best et all., 1968, p.137). On trouve déjà là une définition de la professionnalité des enseignants, thème de réflexion si important aujourd'hui.

Surtout, c'est à ce colloque qu'apparaît, pour la première fois, l'idée d'une formation continue, obligatoire et statutaire, pour les enseignants de tous niveaux y compris ceux du supérieur. Rappelons qu'à cette époque, le droit à la formation continue n'existait pas encore de manière officielle en France ; en effet, comme nous le verrons plus loin, il ne sera instauré que par les lois de 1971.

A ce colloque, apparaît également, pour la première fois, une notion à laquelle nous nous intéresserons particulièrement dans la suite de ce travail, celle d'équipe enseignante, ‘"brisant l'isolement dans lequel sont confinés de trop nombreux enseignants’", (ibid.). Enfin, on y retrouve l'idée, déjà ébauchée dans le plan Langevin-Wallon, de création dans chaque académie, d'un Centre Universitaire de Formation et de Recherche en Education, animant dans les départements des centres de formation continue (ibid, p.137). A la fin des années soixante, on a donc été très proche de la création de ces Instituts Universitaires de Pédagogie, que réclament alors le Parti Communiste, le S.N.E.S., le S.G.E.N., etc..., et auxquels le colloque d'Amiens apporte une caution beaucoup plus large. Mais il est probable que cette idée est encore prématurée puisque, malgré le travail de plusieurs commissions ministérielles, le projet de création de ces Instituts est alors abandonné, et il faudra attendre encore plus de vingt ans pour que ceux-ci soient effectivement créés.

De plus, les propositions du colloque d'Amiens témoignent du fait que c'est ‘"dans cette période, ’ ‘(que)’ ‘ l'établissement scolaire est apparu comme un point de passage obligé pour penser le système éducatif et agir sur lui."’ (Derouet, 1987, p.100). On voit donc apparaître déjà cette dimension établissement, qui sera au centre des débats qui se développeront dans les M.A.F.P.E.N., surtout, comme nous le verrons plus loin, autour des actions qu'elles mèneront pour accompagner l'opération "Rénovation des collèges".

Mais, n'anticipons pas. Pour l'instant, nous sommes encore dans la période "post-soixante-huitarde", période de remise en cause et de créativité, s'il en fût... L'enseignement secondaire, bien qu'étant un peu à l'écart du monde, va lui aussi subir quelques bouleversements, souvent avec un certain décalage dans le temps. Une "retombée" importante des évènements de mai 68 a été, comme nous allons le voir, la reconnaissance du droit à la formation continue pour tous les travailleurs.