2.4. Et Pour Les Enseignants ?

Nous venons de dire que, dès le début des années soixante-dix, l'Education Nationale a joué un rôle important dans la mise en application des lois sur la formation continue, pour les salariés du secteur privé. Mais qu'en a-t-il été pour ses propres salariés ? Pour les personnels de l'enseignement primaire, nous avons vu qu'un dispositif s'était mis en place dès le début des années soixante-dix ; mais en revanche, la vague de la formation continue n'atteindra que dix ans plus tard les personnels de l'enseignement secondaire. Si on considère la conception alors dominante du métier d'enseignant, conception que nous avons évoquée précédemment, on n'est pas surpris de constater que l'institutionnalisation de la formation continue se soit faite d'abord au bénéfice des instituteurs. Dès 1972, la "Déclaration d'orientation de la formation permanente des maîtres du premier degré", contenue dans la Circulaire ministérielle du 20 juin 1972, en pose les bases. Elle est suivie de textes qui, d'une part, ouvrent droit à un crédit de trente-six semaines de formation sur l'ensemble de la carrière, pour chaque instituteur, ce qui correspond à une année scolaire entière et, d'autre part, envisagent l'organisation de stages de recyclage, organisés par les Ecoles Normales, elles-mêmes récemment restructurées.

Mais si, dans le premier degré, les choses se sont mises en place assez vite, en revanche dans le secondaire, les lois de 71 ne sont suivies que de très peu d'effets, à l'intérieur de l'institution. Pourtant, quelques ouvrages publiés à cette époque et même antérieurs à cette époque, montrent l'existence d'une réflexion approfondie sur l'éducation et la formation. Mais cette réflexion se tenait, pour l'essentiel, dans des lieux situés en dehors de l'institution. Des voix s'élevaient pour remettre en cause la conception, alors très largement dominante, de l'enseignement comme simple transmission de connaissances. Citons, à titre d'exemple, un extrait du célèbre ouvrage de Jacques Ardoino, datant de 1963, considéré aujourd'hui comme un texte "fondateur" dans bien des domaines : ‘"L'éducation n'a pas seulement pour objet essentiel de transmettre des connaissances ; elle doit aussi former une personnalité morale et permettre aux aptitudes et facultés de l'individu d'atteindre une parfaite expression ; en un mot, elle doit mettre celui-ci en mesure de se réaliser pleinement."’ (Ardoino, 1963, p. 58). Cette remise en cause émanait pour l'essentiel du courant de la psychosociologie, alors en plein essor, et était relayée par les mouvements pédagogiques.

Grâce à ces ouvrages cherchant à promouvoir ces idées novatrices, ainsi qu'aux revues spécialisées et aux revendications syndicales, l'idée de formation continue des enseignants atteint peu à peu les décideurs politiques, tout au long des années soixante-dix. En 1974, se tient une Conférence de l'O.C.D.E. sur l'Education. Dans le rapport général de cette Conférence, on peut lire que l'O.C.D.E. ‘"place la nécessité impérative d'une formation continue des enseignants’", parmi les trois priorités qu'elle préconise, en matière de politique à mener vis-à-vis des enseignants (cité par Papadopoulos, 1994, p.86). En France même, l'idée fait également de timides apparitions jusque dans des textes quasiment officiels. Parmi ceux-ci, citons le rapport de Louis Joxe de 1972, qui part de "‘la nécessité d'intégrer, dans la formation des professeurs du second degré, les connaissances théoriques et pratiques, ainsi que la formation des aptitudes et des attitudes"’, ou encore le rapport du colloque de Paris de 1973 qui "‘reprend l'idée d'une formation double, à la fois scientifique et pédagogique, cette dernière étant également double, théorique et pratique." ’ (cité par Obin, 1995, p.102).

Néanmoins, le bilan de la décennie soixante-dix, en matière de formation continue dans le secondaire, est bien maigre, comme le constatera d'ailleurs dans son bilan de cette période, le rapport qui sera établi plus tard par la commission présidée par André De Peretti, à la demande du ministre Alain Savary. Ce rapport, que nous allons bien entendu étudier en détail dans la suite de ce travail, souligne en préambule le déséquilibre entre la situation des instituteurs et celle des professeurs, en matière de formation continue : "‘Les crédits de formation continue (...) ont surtout été utilisés depuis dix ans dans le cadre du premier degré. (...) Pour les enseignants du second degré, si on dénombre environ 100 000 enseignants de lycées et de collèges (sur un total d'au moins 300 000) ayant suivi des actions dites de formation continue, ils n'ont absorbé que le quart des crédits de formation continue du budget, ce qui représente 0,6 % de leur masse salariale. La modicité de ces montants financiers et des durées de formation donne à douter de l'impact des actions de formation continue concernant collèges et lycées. Il y a là un déséquilibre, ou plutôt un retard flagrant pour le second degré’." (Peretti, 1982, p.13)

Force est donc de constater que si, pour les instituteurs, le principe d'une formation continue sur le temps de travail est admis dès 1972, il n'en est pas de même pour les enseignants du secondaire, exception faite cependant des enseignants d'E.P.S. Comme nous le verrons, cette discipline met en place une formation continue bien avant la création des M.A.F.P.E.N. Mais, pour les enseignants des autres disciplines, tout au long des années soixante-dix, les formations, non seulement seront faites sur le temps de vacances, mais de plus, à quelques exceptions près dont nous reparlerons, elles seront payantes. C'est la raison pour laquelle peu d'enseignants du secondaire vont entreprendre une formation complémentaire, avant 1982. Parmi ceux qui le font, certains se tourneront vers des études de psychologie, ou bien, quand elles se mettront en place, de sciences de l'éducation. D'autres iront chercher cette formation au sein des associations de spécialistes de leur discipline, ou bien des mouvements pédagogiques, ou encore des associations de psychosociologues, qui sont depuis longtemps, comme nous l'avons déjà dit, des lieux de réflexion sur la pédagogie. D'autres encore la trouveront au sein d'organismes publics ou privés. Nous allons maintenant étudier de manière plus détaillée chacun de ces lieux, dans lesquels se faisaient des formations d'enseignants avant 1982, afin de tenter de repérer les différentes idéologies en présence, en cette fin des années soixante-dix.