3.1.3. Les E.N.N.A.

Outre les instituteurs, dont la formation continue est en place dans les Ecoles normales depuis une dizaine d'années, et les P.E.G.C., dont le "recyclage" a également commencé dans les années soixante-dix, une autre catégorie d'enseignants avait, dès cette époque, mené une réflexion pédagogique approfondie, ce sont les professeurs de l'enseignement technique professionnel.

La formation des enseignants de l'enseignement professionnel est alors, comme c'est encore le cas aujourd'hui d'ailleurs, assurée dans les E.N.N.A. "‘Avant Savary, il y avait eu un plan national de formation continue de tous les profs de l'enseignement professionnel. (...) Dans ce cadre, les profs d'E.N.N.A. avaient déjà fait de la formation continue,"’ dit un ancien professeur de psychopédagogie de l'E.N.N.A. de Lyon6.

De plus, on sait que le système scolaire est tel que les élèves qui n'ont pas réussi dans l'enseignement général, se retrouvent dans l'enseignement technique professionnel. Là, sont donc concentrés les élèves en échec scolaire, avec dans beaucoup de cas, des comportements difficiles. Très tôt, bien avant leurs collègues de lycée et même de collège, les enseignants de l'enseignement technique professionnel ont dû faire face à ces élèves en difficultés. Cela les a donc obligés, depuis longtemps, à s'interroger sur leur enseignement, sur leur pédagogie. Le ministère finançait les recherches dans ce domaine : ‘"Le ministère avait lancé le G.E.R.E.X. (Groupe d'Etudes et de Recherches Expérimentales). C'est l'E.N.N.A. de Toulouse qui avait fait un gros travail, peut-être un peu utopique, un peu délirant. Ils ont essayé de trouver des procédures pour les classes, avec un budget important je crois. Ils se réunissaient très régulièrement à Paris, par discipline. Je n'y ai pas participé, mais je sais qu'ils ont fait un gros travail de recherche pédagogique, de mise en commun d'expériences faites un peu partout,"’ (ibid.).

Nous étudierons particulièrement le cas d'un travail qui a été effectué par les professeurs de psychopédagogie de l'E.N.N.A. de Lyon, vers la fin des années soixante-dix. Dans un enregistement effectué à l'époque pour une émission radiophonique, l'un d'eux raconte : ‘"Le phénomène massif qui m'a frappé, à mon arrivée à l'E.N.N.A., dans les années soixante, c'est la découverte que les élèves de L.E.P. rejetaient profondément l'école, et cela d'une manière tellement intériorisée, qu'elle ne s'exprimait même pas verbalement ; on appelle cela l'anorexie scolaire ; cela se situe au niveau de l'inconscient."’ (Wiel, 1983). Ce professeur de psychopédagogie explique que la formation donnée aux futurs enseignants à l'E.N.N.A., ne lui paraissait pas capable de leur permettre de faire face à cette situation : ‘"Un jour, j'ai rencontré une prof d'histoire que j'avais eue en formation et qui a eu cette phrase cruelle : "Vous nous avez envoyés à la boucherie et vous ne nous avez rien dit !" J'ai pris conscience d'une mystification extraordinaire de l'E.N.N.A., qui formait les maîtres sur le plan de la didactique, sur le plan des techniques de travail en classe, mais qui ne prenait pas en compte ce phénomène de rejet des élèves, ce qui faisait que des enseignants étaient confrontés à des situations absolument impossibles, (...) auxquelles je défie quiconque de pouvoir faire face."’ (Wiel, 1983) Il va donc rechercher comment compléter la formation de ces enseignants, de manière à leur permettre de faire face à ces difficultés.

De plus, l'image qu'avait ce professeur de la formation donnée par l'E.N.N.A. était celle d'un trop grand éloignement du terrain. C'est pourquoi lorsque, en 1976, plusieurs enseignants en exercice dans un L.E.P. font appel à lui, cela lui ‘"donne l'occasion de vivre une formation non coupée du terrain, en prise directe sur la réalité." ’Il accepte donc de réfléchir avec eux aux difficultés qu'ils rencontrent, de rechercher avec eux des solutions et de les expérimenter. Une équipe de professeurs du secteur professionnel se constitue, et se réunit régulièrement, accompagnée par le professeur de psychopédagogie. Celui-ci déclare qu'il apprenait en même temps que l'équipe, qu'ils étaient tous en recherche de solutions, mais que, pour lui, la participation à cette expérience présentait également l'intérêt de lui apporter des résultats qu'il pourrait ensuite exploiter avec ses élèves de l'E.N.N.A.. ‘"J'ai eu alors l'impression d'avoir un discours crédible". ’En 1978, ce travail sera d'ailleurs reconnu par le Rectorat, et étendu aux professeurs d'enseignement général des L.E.P.

Ce travail a donc été centré sur la constitution d'une équipe pédagogique, autour d'une classe. Pour le professeur de psychopédagogie, ‘"la concertation pédagogique réalise le souhait initial des L.E.P., qui est de passer d'un lieu d'enseignement à un lieu de formation. Et quelle est la différence ? C'est que l'enseignement est centré sur les savoirs, sur la spécialité, alors que la formation est un acte global." ’Et il précise en quoi le L.E.P. est un lieu qui permet ce passage : ‘"C'est une institution spécifique ; son rôle premier est d'être un lieu de formation professionnelle et générale. Il s'agit de ne pas dissocier les interventions de l'enseignement général, de la formation professionnelle proprement dite, au sein des ateliers."’ (Wiel, 1983)

Précisons comment est apparue la nécessité du travail en équipe pédagogique. En début d'année, le travail essentiel des enseignants est de chercher à remotiver les élèves. Pour cela, ils font un bilan-évaluation, pour lequel les élèves doivent se concerter avec l'équipe des enseignants, pour analyser leur formation et faire des propositions. Mais, cette concertation en vue du bilan-évaluation doit être faite avec l'ensemble des enseignants, c'est pourquoi cela passe par la constitution d'une équipe. ‘"Ce que j'ai découvert ici, c'est qu'il fallait plusieurs années pour que des enseignants isolés, juxtaposés par une organisation bureaucratique, puissent devenir une équipe, parce qu'il y a un certain nombre d'obstacles à dépasser et de difficultés à maîtriser. Mais il faut bien voir que ce n'est pas le travail en équipe qui change tout : le travail en équipe n'est qu'un moyen pour que les élèves puissent analyser leur formation, et une formation qui n'est pas analysée, c'est du conditionnement."’ (Wiel, 1983). C'est donc cette spécificité de l'enseignement en L.E.P. qui peut expliquer pourquoi les enseignants y ont conduit, bien plus tôt que leurs collègues des collèges et lycées d'enseignement général, des concertations pédagogiques.

Lorsque, en 1982, les M.A.F.P.E.N. mettront en place la formation continue, le problème de l'échec scolaire aura largement gagné l'enseignement secondaire général, entraînant comme nous le verrons, une demande de formation spécifique, de la part des enseignants. Or, au moment de la mise en place des M.A.F.P.E.N, il leur sera vivement conseillé de faire appel aux formateurs des E.N.N.A., dont on connaissait l'expérience, en particulier dans l'enseignement aux élèves en difficultés. Cela se fera dans l'académie de Lyon, puisqu'il y existait une E.N.N.A. La M.A.F.P.E.N. sollicitera essentiellement les professeurs de psychopédagogie qui feront alors bénéficier les enseignants de l'enseignement secondaire général, des méthodes qu'ils utilisent dans la formation de l'enseignement technique professionnel. De plus, outre l'apport de leur expérience dans le domaine de la formation, ils seront appelés à jouer un rôle important dans le domaine de la formation des formateurs.

Nous venons d'étudier plusieurs lieux situés tous à l'intérieur de l'institution, et dans lesquels se faisaient de la formation continue d'enseignants, dans les années soixante-dix. Nous nous intéresserons maintenant à un lieu qui bénéficie d'un statut particulier : le C.E.F.I.S.E.M.

Notes
6.

Entretien ED, du 12/12/97.