3.4. La Formation Continue Des Enseignants D'e.P.S.

Contrairement à ce qui s'est passé, nous venons de le voir, pour la quasi totalité de l'enseignement secondaire, c'est dès la promulgation des lois de 71 sur la formation continue, que les enseignants d'E.P.S. s'organisent pour mettre en place une formation continue, spécifique à la discipline. Rappelons qu'à l'époque, l'E.P.S. ne dépendait pas encore du ministère de l'Education Nationale, mais de celui de la Jeunesse et des Sports. Or ce ministère, ou secrétariat d'Etat selon les époques, était de taille beaucoup plus réduite que celui de l'Education nationale. Son fonctionnement était par conséquent beaucoup plus souple et son temps de réaction beaucoup plus court. C'est certainement cette situation particulière de l'E.P.S. qui explique la rapidité de la réaction de cette discipline, aux lois de 1971 sur la formation continue.

D'autre part, il est probable que le statut particulier de l'E.P.S., au sein des disciplines scolaires, a joué un rôle important dans le dynamisme que les enseignants d'E.P.S. ont alors montré. En effet, dans l'enseignement secondaire, l'E.P.S. avait un statut à part, du fait qu'elle n'était pas une discipline universitaire traditionnelle, comme la philosophie, l'histoire ou la chimie par exemple. Cette non-reconnaissance a donc fait apparaître, chez les enseignants d'E.P.S., la nécessité de se construire une identité, nécessité que les autres disciplines n'ont pas éprouvée, puisqu'elles tiraient précisément leur légitimité de leur existence comme discipline universitaire. L'E.P.S. n'avait donc pas de savoirs académiques à "conserver" et à transmettre, mais au contraire des savoirs à construire. C'est donc par le biais d'une réflexion didactique et pédagogique approfondie qu'elle a cherché à être reconnue comme une discipline à part entière et d'importance égale aux autres. L'existence de cette réflexion a donc favorisé la mise en place précoce d'une formation continue structurée, formation qui a été suivie en masse par les enseignants de la discipline. Le succès de cette formation, suivie par la grande majorité des enseignants d'E.P.S., a très certainement joué un rôle important dans l'émergence précoce de la didactique de cette discipline.

Un élément important est à prendre en compte dans cette situation particulière, c'est l'existence d'un syndicat très puissant, le S.N.E.P. Les enseignants d'E.P.S. étaient extrêmement nombreux à faire partie de ce syndicat, le taux de syndicalisation de cette catégorie d'enseignants étant très fort. Il est indéniable que ce syndicat, par le biais de sa revue et des réunions qu'il tenait, a joué un rôle important dans l'instauration précoce d'une réflexion pédagogique, dans cette discipline. Parmi les enseignants d'E.P.S. en recherche d'une identité pour leur discipline, beaucoup ont trouvé dans le S.N.E.P., le lieu qui leur convenait pour forger cette identité.

C'est la rencontre entre des militants du S.N.E.P. et un certain nombre de responsables (Inspecteurs, etc...) du ministère de la Jeunesse et des Sports, qui a permis à cette formation continue de se mettre en place successivement dans toutes les académies, entre 1972 et 1974. L'immense majorité des enseignants d'E.P.S. y ont participé. Il est intéressant de noter que les enseignants d'E.P.S. ont obtenu, dans le courant des années soixante-dix, que leur formation continue puisse s'effectuer en partie sur le temps de travail, comme la loi de 71 le permettait. C'est d'ailleurs probablement une des raisons pour lesquelles leur participation à cette formation a été forte.

‘"Le principe de base ’ ‘[de cette formation continue]’ ‘ est l'autogestion de la formation. Elle repose sur la sectorisation. Les besoins de formation sont définis par les enseignants eux-mêmes,"’ déclare le secrétaire général du S.N.E.P. (U.S., n°26, 13/05/82, p.18). L'E.P.S. était donc organisée en commissions de secteurs qui, à partir de 72, réfléchissaient sur les Instructions Officielles et sur la manière de les mettre en oeuvre. Les enseignants "de base" transmettaient leurs positions à ces commissions par l'intermédiaire de leurs délégués syndicaux qui y siégeaient. Par ce biais, le S.N.E.P. jouait un rôle important dans l'organisation de la formation. Remarquons que ce rôle était renforcé par un autre élément ; en effet, ‘"les responsables syndicaux étaient quasiment tous impliqués comme animateurs de district, comme enseignants à l'U.F.R.A.P.S., etc... ; et donc presque tous avaient une tâche dans la formation permanente’ 11 ." L'E.P.S. est donc la seule discipline dont la presque totalité des enseignants a bénéficié d'une formation continue, avant la création des M.A.F.P.E.N.

Très rapidement, la réflexion va s'orienter fortement sur la définition d'objectifs et l'évaluation, domaine dans lequel les enseignants d'E.P.S. vont prendre ainsi une avance considérable sur leurs collègues des autres disciplines. Dans les stages, les enseignants recherchaient ensemble des outils, permettant de résoudre les problèmes qui se posaient à eux, dans leur enseignement ; on peut donc parler d'une formation "mutuelle". On peut certainement affirmer aujourd'hui que la réflexion de ces années-là et la formation continue qu'elle a initiée, ont permis à cette discipline de passer de la pratique d'activités physiques et sportives, à une véritable éducation à travers la pratique de ces activités.

Donc, lorsque les M.A.F.P.E.N. se mettront en place, l'E.P.S. occupera une place à part parmi les disciplines. Selon les Chefs de Mission12 de l'époque, il a bien fallu tenir compte de cet état de fait, mais cela a représenté plus souvent des problèmes à résoudre qu'une aide ou un modèle. En effet, les enseignants d'E.P.S. avaient la possibilité de participer à une formation continue qui leur donnait satisfaction, dans laquelle ils étaient partie prenante, ils tenaient donc à ce qu'elle continue à fonctionner sur le même mode. Cela n'était pas toujours du goût des responsables M.A.F.P.E.N. "‘Ils étaient soucieux de garder leurs prérogatives. Ils étaient un peu en avance au niveau de la réflexion, c'est vrai. Mais ils avaient un jargon assez difficile à suivre. De plus, ils étaient très sûrs d'eux," ’dit le premier chef de la MAPFEN de Grenoble13. Une collaboratrice ajoute : "‘Ils avaient une approche très techniciste ; ils étaient déjà dans la pédagogie par objectifs’ 14 ." L'intégration de cette formation préexistante sera donc la source de conflits, aussi bien à Lyon, qu'à Grenoble.

Il reste que l'existence de cette formation continue a eu pour conséquence que, dans les établissements, les enseignants d'E.P.S. étaient en avance par rapport à la majorité de leurs collègues, dans le domaine de la réflexion pédagogique et didactique. Cela est particulièrement vrai dans le domaine de la pédagogie par objectifs, qu'ils contribueront souvent à introduire auprès de leur collègues des autres disciplines. C'est cette précocité et cette généralisation de la réflexion pédagogique et didactique, qui fait la spécificité de la formation continue des enseignants d'E.P.S.

L'ensemble de ces caractéristiques laisse apparaître une conception particulière de la formation continue. En effet, cette formation ne pouvait pas être conçue uniquement comme une transmission de savoirs, puisque ces savoirs étaient encore en voie de construction. Elle était au contraire basée sur la construction d'outils didactiques, destinés à apporter une réponse aux problèmes que les enseignants se posaient au jour le jour dans leurs classes. On peut donc considérer cette démarche comme étant proche de ce que l'on désigne généralement par le terme de recherche-action. Il s'agit donc d'un type de formation novateur à plus d'un titre.

Outre les lieux dont nous venons de parler, existent également d'autres lieux où se faisait de la formation d'enseignants. Ils sont également situés à l'intérieur de l'institution : ce sont les universités.

Notes
11.

Entretien JJ, du 25/05/98.

12.

Entretiens du 17/02/94 et du 26/03/96.

13.

Entretien du 23/03/96.

14.

ibid.