3.5.2. Les I.R.E.M.

Ils ont été créés pour accompagner la mise en place de la fameuse réforme dite des "mathématiques modernes". On se souvient que, dans les années soixante, les mathématiques étaient considérées comme la discipline "reine". C'est pourquoi on s'intéressait de très près à l'enseignement de cette discipline. Néanmoins, pour beaucoup de mathématiciens, l'objectif premier était de promouvoir l'enseignement de mathématiques "utiles". En 1967, par exemple, un colloque de la Commission Internationale pour l'Enseignement Mathématique, réunit à Utrecht, avait pour thème : "Comment enseigner la mathématique pour qu'elle soit utile ?"

L'intention, défendue par toutes les sommités mathématiques de l'époque, était louable. C'est sous l'impulsion de la très active association de spécialistes de cette discipline, l'A.P.M.E.P., que la réforme a été élaborée. On sait cependant que la manière dont elle a été mise en oeuvre n'a pas permis que l'objectif initial soit atteint. (Cf. Bkouche et all., 1991). En créant les premiers I.R.E.M. en 1968 et en leur donnant des moyens importants pour fonctionner, on espérait asseoir une réforme sur laquelle on avait fondé de grands espoirs.

Lorsque les M.A.F.P.E.N. seront créées en 1982, les I.R.E.M. auront donc une expérience assez conséquente puisque, après la création des trois premiers en 1968, vingt-deux autres ont suivi entre 1968 et 1974. Bientôt, les enseignants du secondaire qui participeront aux travaux des I.R.E.M. bénéficieront de décharges de service, ce qui constitue une "première" pour l'époque, dans l'enseignement secondaire. La dénomination même des I.R.E.M. montre que, non seulement leurs créateurs s'interrogent sur les mathématiques elles-mêmes, mais également sur l'enseignement de ces mathématiques. Comme nous le verrons plus loin, les idées issues de la psychosociologie américaine avaient pénétré dans l'enseignement supérieur, tout au long des années soixante. Pour des raisons que la psychanalyse expliquerait peut-être, les mathématiciens ont été particulièrement réceptifs à ces idées. De ce fait, le fonctionnement des I.R.E.M. marque une rupture avec la conception de la formation qui dominait à ce moment-là, à savoir rappelons-le, la formation par acquisition de connaissances académiques.

Néanmoins, les premières actions des I.R.E.M. se situeront dans la continuité de cette conception dominante, ce qui montre bien la prégnance de celle-ci. En effet, évoquant les débuts des I.R.E.M., Eric Lehmann (1980, p.16) raconte que, pour accompagner cette réforme, les I.R.E.M. commencent par mettre en place des séances de "recyclage", destinées à apporter aux enseignants un complément de connaissances sur ces fameuses "mathématiques modernes". Mais les participants perçoivent assez rapidement les limites de ce type de formation, qui est loin d'être suffisante pour répondre aux problèmes que pose l'enseignement des mathématiques, qu'elles soient "modernes" ou "anciennes" d'ailleurs. C'est donc sous la pression des participants, que se créent au sein des I.R.E.M., des groupes de recherche sur la manière d'enseigner les mathématiques. Ces groupes sont le plus souvent interdisciplinaires ; y travaillent ensemble des instituteurs, des professeurs d'Ecole Normale, des enseignants du secondaire et du supérieur de diverses disciplines, linguistes, informaticiens, psychologues, psychosociologues, etc... Un témoignage, émanant d'une participante de l'époque, (Leveillé, 1980, p.17) nous confirme que c'est cette manière de fonctionner qui constituait la véritable innovation : "‘C'est bien là, à mon avis, que se situait l'originalité des I.R.E.M. : la possibilité que l'on a eue de s'organiser pour effectuer le travail que nous désirions, la possibilité de se former les uns les autres, et non plus dans une relation de type maître-élève’." C'est en fonctionnant de cette manière que les participants ont eu l'occasion de prendre conscience à la fois de la valeur formative du travail en interdisciplinarité, mais également de la valeur formative du travail de recherche lui-même.

De plus, c'est au sein de ces groupes de recherche que va se développer la réflexion sur la didactique des mathématiques, qui sera une des premières à sortir des limbes, fournissant une partie non négligeable des concepts généraux de la didactique. ‘"La didactique a connu un fort développement à partir des années soixante-dix," ’ ‘écrit André Giordan, ’ ‘"le point de départ est, sans conteste, l'enseignement des mathématiques. La didactique des mathématiques est née de l'intérêt porté, dans les années soixante, aux moyens d'améliorer l'enseignement dans ce domaine, alors très prisé par la société et les politiques, mais peu performant."’ (in Avanzini, 1996, p.32). Pour toutes ces raisons, cette expérience constitue donc, sans aucun doute, un des premiers exemples, à l'intérieur même de l'Education nationale, de formation des enseignants différente de la formation académique classique.

Moins connus que les I.R.E.M., mais largement inspirés de ceux-ci, se créeront ensuite, dans certaines universités, des Instituts comme l'I.R.E.F. de Lyon pour le français, ou encore l'I.R.E.S.P. de Grenoble pour les sciences physiques, et bien d'autres encore. Ils tenteront de fonctionner sur le modèle des I.R.E.M., mais ils seront contraints de le faire avec des moyens matériels bien moindres. Néanmoins, une grande partie des universitaires qui interviendront dans les M.A.F.P.E.N. au moment de leur mise en place, seront issus de ces différents Instituts universitaires et services de formation.

Mais surtout, et cet élément nous semble particulièrement important, un certain nombre des premiers chefs de Mission nommés en 82, seront d'anciens directeurs d'I.R.E.M., ou d'I.R.E.S.P., etc... Cela résultait d'une volonté ministérielle de faire profiter les M.A.F.P.E.N. naissantes de l'expérience des I.R.E.M., qui leur apparaissait comme particulièrement positive. Nous verrons de quelle manière ce fait a influencé certains dispositifs de formation mis en place à ce moment-là.

Mais, à côté des universités, lieux de la recherche "officielle", existait un secteur où se faisait également de la recherche : l'I.N.R.P. et les C.R.D.P., que nous allons étudier maintenant.