3.7.3. Les Mouvements Pédagogiques

A la fin des années soixante-dix, la plupart de ces mouvements existent en France depuis bien longtemps. Bien qu'ils aient chacun une histoire singulière, ces mouvements ont une caractéristique commune ; ils remettent en cause l'enseignement traditionnel et recherchent des méthodes d'enseignement plus actives. De plus, ils situent, de manière plus ou moins explicite, leur réflexion sur l'école comme corollaire de leur projet de société. Certains existent depuis des dizaines d'années et la plupart ont joué un rôle indéniable dans la formation continue des enseignants, avant la mise en place des M.A.F.P.E.N., d'une part parce qu'ils ont été les premiers à organiser des stages, mais surtout parce qu'ils font partie des lieux où était menée une réflexion approfondie sur l'enseignement et la formation.

Les stages que ces mouvements proposent depuis longtemps déjà, ne se donnent donc pas pour objectif de compléter des connaissances disciplinaires, mais cela ne signifie pas forcément que les savoirs en aient été exclus. En effet, si, dans les descriptions qui ont pu en être faites, on retrouve l'idée que l'apport essentiel est "‘la remise en cause du statut d'enseigné"’, on peut lire aussi, dans le compte-rendu d'un participant ‘: "Bien sûr, nous avons reçu une certain nombre de connaissances et bénéficié aussi d'un important apport matériel. Tous ces apports n'engendraient pas la passivité, mais la réflexion, la critique et les questions. Apport de connaissances et passivité ne sont donc pas assimilables."’ (Cahiers pédagogiques21, n°189). Malgré la richesse des apports des mouvements, qui avaient déjà une longue expérience des stages, nous verrons que leur participation effective, lors de la mise en place des M.A.F.P.E.N., n'a peut-être pas eu l'importance qu'on aurait pu attendre et qui était d'ailleurs souhaitée par le ministre.

Cependant, même s'ils n'ont pas pris une part très importante, dans l'ensemble des formations mises en place après 82, ils ont néanmoins joué un rôle important, par leur existence même et l'ancienneté de leur réflexion dans le domaine pédagogique. En effet, comme le souligne Jean-Pierre Picard, "‘le mouvement pédagogique a sa raison d'être essentielle comme ouverture, comme un lieu sans cesse en recherche, en questionnement, avec de nouvelles interrogations’." (A.P.R.I.E.F., 1994, p.19). C'est cette spécificité des mouvements qui en a fait une source d'inspiration importante, pour les réformes du début des années 80. Par exemple, dans l'introduction de son rapport sur les collèges, Louis Legrand, (1982, p.9), énumérant ses sources d'inspiration, écrit que, "‘en premier lieu, ce sont les grandes orientations des mouvements d'éducation active, c'est-à-dire l'accent mis sur le développement harmonieux de l'individu, le respect de sa personne, la recherche de son équilibre physique, affectif et intellectuel, le développement de sa socialisation." Et il précise : "Ces tendances fondamentales expliquent le souci de faire prévaloir l'apprentissage sur l'enseignement, la promotion sur la sélection, l'autonomie sur le conditionnement, la coopération sur la compétition."’ Si les mouvements pédagogiques ont joué un rôle dans la mise en place de la formation continue des enseignants du secondaire, c'est sans doute surtout par l'idéologie qu'ils cherchaient à promouvoir depuis de longues années, idéologie qui se trouvait en contradiction avec la conception dominante dont nous avons parlé.

Rappelons d'autre part que les réformes du début des années 80 ne se sont pas faites sous la pression sociale, mais sont le résultat d'une politique volontariste de la gauche nouvellement arrivée au pouvoir et désireuse de mettre rapidement ses idées en pratique. Parmi les hommes politiques qui ont mis ces réformes en chantier, beaucoup avaient été militants de mouvements d'éducation populaire, et l'étaient souvent encore. En ce sens, la politique de l'éducation de cette époque est bien l'héritière de la tradition de l'éducation populaire, dans laquelle, écrit Geneviève Poujol, "‘il nous faut renoncer à voir la moindre trace d'un mouvement populaire qui aurait été porteur d'une quelconque revendication en matière d'éducation populaire, au sens où l'ont comprise les nouvelles couches de la bourgeoisie qui l'ont mise en oeuvre." ’(Poujol, 1981, p.8). A ce propos, il faut préciser que, si l'expression "Education populaire" est aujourd'hui souvent confondue avec "secteur socio-éducatif extra-scolaire", nous l'employons plutôt dans son sens littéral de "Education du peuple", c'est-à-dire "éducation pour tous", ce qui y inclut le secteur scolaire.

C'est pour toutes ces raisons qu'il nous a paru légitime de nous arrêter, peut-être un peu trop longuement, sur l'origine et la spécificité de chacun de ces mouvements. Tous n'ont pas, à partir de 1982, organisé de stages dans le cadre de la M.A.F.P.E.N. mais, comme nous venons de le montrer, leur influence sur l'évolution des idées sur l'enseignement nous a paru suffisamment importante, pour que nous nous arrêtions un moment sur l'histoire de chacun d'eux, car elle nous permet de mieux comprendre leurs spécificités respectives. Commençons par le plus ancien de ces mouvements.

Notes
21.

Dans ce numéro, on trouve plusieurs compte-rendus de stages, par des participants.