3.7.3.1. La Ligue Française De L'enseignement 22

En effet, elle a été fondée en 1866, par l'instituteur et journaliste Jean Macé. Celui-ci, bien que fervent catholique, est adepte de Fourrier et milite pour l'instruction des classes populaires. Dans la période "sociale" du second empire, Napoléon III cherche à se concilier la petite bourgeoisie. Deux ans auparavant, il a légalisé le "droit de coalition", et la Ligue représente la première tentative d'organisation en faveur de "l'enseignement du peuple". Il faut préciser cependant que, comme l'écrit Geneviève Poujol, "‘la Ligue n'est pas née de l'école, et les instituteurs au moment de sa création en sont totalement absents. Elle est née de la réunion d'éléments de la petite bourgeoisie qui veulent s'imposer politiquement en promouvant l'instruction pour tous. Promouvoir l'instruction pour tous, c'est se rallier les suffrages de l'ensemble de la petite bourgeoisie et aussi, mais c'est moins certain, de la classe ouvrière."’ (Poujol, 1981; p.55).

L'école primaire est alors essentiellement régie par la loi Falloux, qui donne au clergé une part prédominante dans l'enseignement, et laisse même l'instruction publique aux mains des congrégations religieuses. La L.F.E. va prendre la tête du combat "laïque"23, contre l'église catholique et pour l'instruction obligatoire et gratuite du peuple, en lançant d'imposantes campagnes de signatures ; la première, en 1871-72, recueillera plus de 900 000 signatures. Elle tiendra son premier congrès en 1881 ; son action pendant cette période préparera le vote des lois Jules Ferry, qui, comme on le sait, instaurent, en 1881-82, l'obligation scolaire, la gratuité et la laïcité de l'enseignement. Ces lois préconisent également la création d'associations laïques, à laquelle la Ligue va ensuite s'employer, cherchant ainsi à occuper le terrain de l'extra-scolaire, car, à mesure que le nombre d'instituteurs augmente dans la Ligue, ceux-ci entendent régner en maître sur le terrain de l'école afin de s'affranchir des notables locaux.

Il faut également comprendre ce qu'étaient, aux origines, les objectifs du combat de la Ligue : elle ne cache pas son patriotisme revanchard. Dans l'école publique du dix-neuvième siècle, la patrie occupe la place que tient Dieu dans l'école confessionnelle : on l'adore et on la sert. C'est pourquoi la formation assurée par les instituteurs de l'époque a une allure bien militaire. En 1866, Jean Macé écrivait : "‘Pourquoi, puisque l'on parle de remanier notre système militaire, pourquoi, à côté de l'armée régulière, ne chercherions-nous pas à organiser la landwehr24 de l'enseignement ?"’ En 1882, il écrit encore : ‘"Notre propagande aujourd'hui consiste donc à organiser partout où nous le pourrons, l'instruction militaire de la jeunesse."’ La couverture des publications de la Ligue porte la devise : "Pour la Patrie, par le livre et par l'épée." Elle jouera un rôle primordial dans la création d'associations laïques para-militaires, comme les "bataillons scolaires", puis, plus tard, les "sociétés de tir et de gymnastique", dont elle favorisera l'éclosion pendant toute la fin du dix-neuvième siècle et le début du vingtième. Avec le concours des instituteurs, elle sera également la pionnière de l'éducation post-scolaire, de la promotion professionnelle et culturelle de l'ensemble des classes populaires, en cherchant à favoriser la création d'amicales d'anciens élèves, de sociétés de lecture, d'universités populaires, c'est-à-dire de structures destinées à gagner la "guerre scolaire" qui sévira durement jusqu'en 1914. Depuis sa création, la Ligue aura été à l'origine de vingt-mille sociétés sportives et de trente-trois-mille associations affiliées, regroupées dans plus de cent Fédérations des Oeuvres Laïques (Mourre, 1978, p.1590). On voit le rôle primordial que la Ligue a joué en matière d'éducation populaire, puisqu'elle a joué un rôle important dans l'émergence de l'idée de "formation permanente" des citoyens.

Bien que la guerre de 14 ait décimé les militants laïques, dans l'entre-deux-guerres, le combat de la Ligue va devenir uniquement anticonfessionnel, voire anticlérical. Elle centrera son activité sur le regroupement des forces laïques, au sein de multiples associations, qui vont constituer, avec la Franc-maçonnerie, la Ligue des droits de l'homme et la Libre Pensée, le vivier où la gauche puisera ses forces. La Ligue sera reconnue d'utilité publique en 1930. Elle va renforcer ses liens avec le S.N.I., le parti radical-socialiste, le parti socialiste, en les rassemblant au sein du Comité d'Entente et d'Action Laïque, créé en 1932. Avec lui, elle soutiendra la lutte du Front Populaire contre le fascisme ; puis, pendant la guerre, nombre de ses militants s'engageront dans la résistance. A la libération, la Ligue poursuit son combat laïque, avec d'autant plus de force que les gouvernements successifs apportent un certain soutien à l'école "privée". Plusieurs autres mouvements pédagogiques, comme l'O.C.C.E., les Francs et Franches Camarades, les C.E.M.E.A., la Fédération des Auberges de Jeunesse, etc... sont adhèrents à la Ligue. Dans les années cinquante-soixante, ce sont les activités péri-scolaires qui représenteront l'essentiel des activités de la Ligue. Elle continuera à défendre la laïcité au sein du C.N.A.L. (Comité National d'Action Laïque), où elle se trouve aux côtés du S.N.I., de la F.E.N. et de la F.C.P.E., les partis politiques, syndicats ouvriers, etc..., ayant été invités à se retirer.

Si on tient compte de cette longue histoire, on ne sera pas surpris de voir la Ligue, en 1955, élaborer un projet de réforme de l'enseignement, dans lequel apparaît, pour la première fois, l'expression "Education permanente", terme qui sera repris dans un texte officiel l'année suivante. Depuis 1967, la L.F.E. est devenue la L.F.E.E.P. (Ligue Française de l'Enseignement et de l'Education Permanente). On pensera peut-être que ses activités n'ont qu'un rapport assez lointain avec le sujet qui nous occupe ; néanmoins, elle occupe, directement et indirectement, une place importante dans l'histoire de la formation continue, en raison de l'influence profonde, dans le corps enseignant, de ses idées sur la laïcité, de son combat plus que séculaire pour l'éducation populaire, des multiples associations qu'elle a contribué à créer, mais surtout de son passé en matière d'éducation permanente. Nous étudierons maintenant les autres mouvements, ceux qui s'inscrivent dans la mouvance de ce qu'on appelle "l'Ecole nouvelle" ou "l'Education active".

Notes
22.

les Repères Historiques Sont Extraits De Grosso (1981).

23.

Ce terme est introduit pour la première fois en 1872.

24.

landwehr : armée territoriale.