L'histoire du mouvement Freinet est bien connue, nous ne la rappellerons26 que très brièvement. Au retour de la guerre de 14-18, où il avait été gravement blessé, Freinet recherche comment promouvoir cette éducation "populaire" qui était déjà, nous l'avons vu, au centre des préoccupations de la Ligue de l'Enseignement. Mais Freinet récuse l'héritage du "patriotisme revanchard", qui marque encore fortement le corps des instituteurs. Il fait partie de ces instituteurs d'avant-garde, dont beaucoup sont communistes, qui conçoivent l'éducation populaire non plus comme une préparation à la guerre, mais comme une éducation à la paix. Ils considèrent l'éducation comme l'agent essentiel de l'avènement de la société plus juste et plus égalitaire qu'ils appellent de leurs voeux. Freinet écrit dans la revue L'Ecole Emancipée, organe de liaison des instituteurs sympathisants de la C.G.T., à une époque où les fonctionnaires, nous l'avons vu, n'ont pas encore le droit d'être syndiqués. Après la scission d'avec la C.G.T., il militera à la Fédération Unitaire de l'Enseignement (C.G.T.U.), qui regroupe des socialistes, des communistes et des anarchistes. Au lendemain de la guerre, les échanges entre pédagogues européens sont nombreux autour de la revue Ecole Emancipée. Ainsi, outre l'héritage laïque revu et corrigé, plusieurs autres sources ont alimenté la pédagogie de Freinet :
la pédagogie libertaire d'avant la guerre de 14, (Paul Robin, Francisco Ferrer, Sébastien Faure, ...), dont les réalisations ont été souvent pourchassées et réprimées un peu partout en Europe, mais aussi les écoles expérimentales de Hambourg, qu'il considère d'un oeil relativement critique.
l'Education Nouvelle, bien sûr, qui, comme nous venons de le voir, s'appuyait à l'époque sur les données de la psychologie. Freinet appréciait beaucoup les expériences menées par les militants de ce courant, mais il s'en est assez vite séparé, car les écoles nouvelles existantes étaient des établissements privés, bénéficiant de conditions de fonctionnement exceptionnelles, extrêmement éloignées de la situation misérable de l'école publique française des années 20.
la pédagogie socialiste des bolcheviks (Blonskij, Chatsy, Pistrak,...), pratiquée à l'Ecole du Travail, jusqu'à son écrasement par le stalinisme, dans les années 30. C'est à eux qu'il empruntera un bon nombre des idées qui constituent les bases de sa pédagogie : le journal mural, le journal scolaire, le plan de travail, les échanges interscolaires, l'exploitation des centres d'intérêt issus de la vie quotidienne, etc...
le mouvement coopératif, auquel, comme nous venons de le voir, Freinet adhérait. Il situera toujours son enseignement dans un projet politique de type coopératif, qui est la base même sur laquelle repose toute sa pédagogie.
Cependant, il cherche à adapter ces idées à la réalité de l'école publique française. Toute sa pédagogie est basée sur l'organisation de la classe en coopérative. Il y pratique les promenade scolaires et les textes libres, ce qui l'incite rapidement, on le sait, à introduire l'imprimerie et à organiser la correspondance scolaire. Peu à peu, les idées de Freinet gagnent du terrain parmi les enseignants, par l'intermédiaire de la C.E.L. (Coopérative de l'Enseignement Laïque), créée en 1927, et de sa revue, L'Imprimerie à l'école, devenue en 1932 L'Educateur Prolétarien. Dès 1927, se crée la Cinémathèque Coopérative, et, en 1932, commence la publication des B.T. Par ailleurs, on connaît les démêlés de Freinet, non seulement avec l'administration, bien sûr, mais aussi avec le P.C.F. dont il a été membre jusqu'en 1947, et même avec certains sympathisants, qui lui reprochent l'aspect commercial de la C.E.L. C'est pourquoi, en 1947, se crée, à côté de la C.E.L., un mouvement d'études et de recherches, l'I.C.E.M.
Or, malgré l'impact qu'avaient alors les idées de Freinet parmi les enseignants, elles ne pénètrent pas vraiment dans les projets de réforme de l'époque, comme le plan Langevin-Wallon. Le mouvement, probablement parce que ses idées sont trop dérangeantes, n'a jamais été reconnu par l'institution, qui ne lui a accordé que très tardivement des postes d'enseignants "mis à disposition".
Pendant les années qui ont précédé la mise en place des M.A.F.P.E.N., les militants ont continué à mettre en pratique les idées de Freinet, qui écrivait : "‘Le but essentiel de l'éducateur n'est point de remplir des têtes, mais de former des caractères. (...) Le mieux est donc de tendre à créer un type d'école où les élèves se forment organiquement par l'activité, de l'intérieur vers l'extérieur et non passivement par couches successives de culture livresque ; une école qui serait comme une famille, une communauté de travail où chaque membre trouverait l'occasion de s'épanouir en participant à une tâche commune et où l'individu rencontrerait aussi des limitations naturelles à l'expansion exagérée de sa personnalité, expansion qui ferait de lui un être inutilisable pour la société.’" (Freinet, 1933). Même si le mouvement n'a pas joué un rôle effectif, au moment de la mise en place des M.A.F.P.E.N., les idées qu'il représente étaient fortement présentes et ont, comme nous le verrons, influencé les innovations qui ont alors été lancées.
Les repéres historiques sont extraits de la revue Amis de Freinet et de son mouvement, 1987 à 1993.