3.7.3.6. Les C.E.M.E.A.

"‘L'histoire de la naissance des Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active’", raconte Gisèle de Failly (Bordat, 1976, p.19), l'une des fondatrices du mouvement, "‘est aussi l'histoire d'une époque, celle de 1936, époque de création et de renouvellement’." C'est l'instauration des congés payés par le Front Populaire qui fait éclore de nombreux groupes culturels et sportifs, dans le cadre desquels la jeunesse prend conscience de sa force, de son dynamisme, mais aussi des obstacles qui s'opposent à son besoin de liberté et de culture. Mais, dans les fédérations de scoutisme, comme dans les associations touristiques et culturelles, les auberges de jeunesse, les associations de camping, les mouvements de jeunesse, les cadres manquent. Ce sont essentiellement des enseignants, pour la plupart acquis aux idées de l'Education Nouvelle. Mais, à travers les difficultés rencontrées avec l'administration par ceux qui, comme Freinet par exemple, cherchent à la mettre en oeuvre, ils se rendent compte de la difficulté de se lancer dans des voies nouvelles à l'intérieur même du cadre institutionnel. C'est pourquoi ils font plutôt le choix de tenter de mettre en pratique leurs convictions pédagogiques, par le biais des Centres de Vacances, qui leur apparaissent comme un terrain plus susceptible de permettre cette éducation populaire qu'ils appellent de leurs voeux.

Gisèle de Failly, ancienne élève de Wallon, alors collaboratrice de l'association "L'hygiène par l'exemple", se rend rapidement compte du manque de formation des cadres des Centres de Vacances de son association. C'est de sa rencontre avec André Lefèvre, commissaire national des Eclaireurs de France, branche laïque du scoutisme, que naît, avec la caution des ministres du Front Populaire Jean Zay, Léo Lagrange ou Henri Sellier, le projet de stages de formation des personnels d'encadrement des centres de vacances, dans ce qui s'appelle depuis les Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active. Il faut se souvenir qu'à cette époque, la notion même de "stage", empruntée à l'industrie, est encore complètement inconnue dans le milieu éducatif, et est donc à mettre à l'actif des C.E.M.E.A. Cette innovation va provoquer un renversement complet du rapport au savoir des enseignants, car, comme l'écrit Bernard Veck, ‘"pour un enseignant, ce qui tombe, entre sa profession et son activité en colonie de vacances ou en stage, c'est la mauvaise conscience d'apparaître, lui réputé sachant sinon savant, dans la position de celui qui ne sait pas."’ (Bordat, 1976, p.122).

Très rapidement, l'activité des C.E.M.E.A., toujours "situés pédagogiquement à gauche", dépassera largement l'encadrement des centres de vacances. "Nous avons essentiellement choisi la voie indirecte pour peser sur l'école," écrit Denis Bordat, "celle des activités post- et péri-scolaires, mais, qu'on ne s'y trompe pas, l'école est en cause dans nos préoccupations..." (Bordat, 1976, p.108). En 1943, s'ouvre la première formation d'éducateurs spécialisés. En 1944, les C.E.M.E.A. font partie des organismes qui créeront les Francs et Franches Camarades, appelés ensuite les Francas, mouvement dont le but est de donner aux enfants des loisirs attrayants et éducatifs. Après la guerre, le mouvement prend de l'extension, grâce à sa reconnaissance par l'Education Nationale, qui lui fournit des maîtres "mis à disposition", c'est-à-dire détachés de leur poste. Il participe alors au projet des classes nouvelles de Gustave Monod, en créant l'école de Boulogne. La formation des instructeurs C.E.M.E.A. prend une nouvelle dimension, lorsqu'ils sont amenés, à partir de 1955, à encadrer les "Rencontres Internationales de Jeunes", créées autour du festival d'Avignon, par Jean Vilar et Henri Laborde, délégué général du mouvement depuis 1944.

Parmi les instructeurs du mouvement, on compte environ 80 % d'enseignants ; il n'est donc pas surprenant qu'en 1970, se crée le secteur "enseignement" des C.E.M.E.A. Celui-ci va pouvoir se développer rapidement, puisque vont peu après être votées les lois sur la formation continue de 1971. Le mouvement organise donc dès le début des années 70, des stages de formation continue destinés aux enseignants, et intitulés "Stages d'Entrainement aux Méthodes d'Education Nouvelle". Puisque la nécessité de la formation des enseignants est maintenant reconnue, on travaillera directement sur la pratique de la classe, avec des instructeurs toujours animés des mêmes convictions, et qui vont ainsi contribuer à la pénétration, de manière indirecte, des idées de l'Education Nouvelle dans l'institution. A cause de leur expérience ancienne, les C.E.M.E.A. ont un rôle à jouer en matière de formation des enseignants. Francine Best, militante de ce mouvement, a tenté d'insuffler l'esprit C.E.M.E.A. dans la formation des professeurs d'Ecole Normale. Elle écrit : "‘Il faudrait que l'influence pédagogique des Centres d'Entraînement puisse s'étendre, pour bénéficier au plus grand nombre d'enseignants, d'éducateurs, donc au plus grand nombre d'enfants’." (Bordat, 1976, p.145). C'est ce qu'elle tentera de faire au moment de la mise en place des M.A.F.P.E.N.