2.1.4.Quelques Difficultés Cependant

Si les enseignants ont accueilli favorablement les premières propositions faites par les M.A.F.P.E.N., en revanche du côté de certaines instances, elles ont rencontré quelques difficultés, par exemple du côté des Ecoles Normales. Les textes ministériels, qui souhaitaient que toute la formation continue des enseignants soit regroupée en un même lieu, prévoyaient donc que la formation continue des instituteurs rejoignent, dans les M.A.F.P.E.N., celle des autres enseignants. Mais, écrit le premier Chef de mission de Grenoble, ‘"au début, les réticences [des Inspecteurs d'Académie] vis-à-vis de la Mission, nouvel organisme, furent très vives."’ (Boutet, 1985, p.4). En fait, les plupart des Ecoles Normales ont refusé de "jouer le jeu" et de s'intégrer au nouveau dispositif. Comme nous l'avons vu, elles organisent la formation continue des instituteurs depuis déjà dix ans, et ‘elles’ ‘ "considérent que cette affaire est strictement de leur ressort."’ (ibid.). Les responsables ne voyaient sans doute pas l'intérêt de venir se fondre dans une structure qui d'ailleurs n'en était pas encore vraiment une. La M.A.F.P.E.N. tente cependant de proposer quelques stages réunissant des instituteurs et des professeurs de collège. Mais cela ne suffit pas pour éviter la séparation de fait de la formation continue des enseignants du primaire de celle des enseignants du secondaire, séparation que l'on peut encore, dans une certaine mesure, déplorer aujourd'hui. En effet, une fusion des deux systèmes de formation continue aurait peut-être contribué à rapprocher les deux ordres d'enseignement, ce qui n'aurait pu être que bénéfique, dans l'optique d'une meilleure connaissance mutuelle.

Outre la résistance des Ecoles Normales, les Chefs de M.A.F.P.E.N. se sont également heurtés à celle des corps d'Inspection. Pour lancer l'opération M.A.F.P.E.N., le ministre Savary réunit tous les partenaires, le 21 juin 82, dans un séminaire au cours duquel le doyen de l'Inspection Générale avait déclaré, selon le premier chef de Mission de Lyon, que celle-ci ‘"se mettait à la disposition des M.A.F.P.E.N.’ 43 ." Quant aux I.P.R., ils ont été, lors de cette même réunion, ‘"invités à collaborer et à obéir"’. Voilà qui était totalement inhabituel et qui mettait les Chefs de M.A.F.P.E.N. tout-à-fait en dehors de la tutelle des corps d'Inspection, alors que ceux-ci avaient précédemment le quasi-monopole de la formation des enseignants du secondaire. Se basant sur ses notes prises à la réunion du 21 juin 82, le premier chef de Mission de Grenoble écrit : ‘"Le fond du problème est que le ministère voulait que l'Université prenne en charge la formation de tous les personnels, aussi bien la formation initiale que la formation continue’ 44 ." C'est en effet, nous l'avons vu, ce qui ressort du rapport De Peretti et des textes ministériels, même si le ministère n'a pas fait le choix de créer immédiatement les Instituts Universitaires que le rapport préconisait. Le premier chef de Mission confirme cette orientation : ‘"Il y avait dans l'air la reprise par les Universités, des C.P.R., traditionnellement "aux mains" des I.P.R. et des I.G."’ En effet, on pensait que les Inspecteurs peuvent difficilement être à la fois "juge et partie". Il semble en effet difficile voire impossible de cumuler la fonction de formation avec celle d'évaluation qui est traditionnellement celle des Inspecteurs.

Les corps d'Inspection voyaient donc la formation continue leur échapper, au bénéfice des universitaires. Il n'est donc pas étonnant qu'ils aient fait de la résistance et aient cherché à défendre leur territoire. Le premier chef de la M.A.F.P.E.N. de Lyon se souvient que les déclarations de principe faites par les responsables, ‘"ne se sont pas traduites dans les faits au niveau des I.P.R. (...) Selon les disciplines, le poids des I.P.R. était variable ; mais dans l'ensemble ils se sont bien accrochés ! Dans les disciplines où il y avait des universitaires motivés, ils ne pouvaient pas placer leurs "favoris"’ 45."

Il faut dire que l'organisation prévue pour les M.A.F.P.E.N., non seulement menaçait leur "territoire réservé", mais de plus, bousculait leurs habitudes. En effet, les textes préconisaient la mise en place de formations "par les pairs" ; il ne s'agissait donc plus d'une formation "venue d'en haut". On n'avait jamais vu cela dans l'Education nationale, il y avait de quoi choquer les corps d'Inspection, attachés au fonctionnement hiérarchisé de l'institution, dans tous les domaines, y compris celui de la formation des enseignants.

De plus, non seulement le ministère nommait à la tête des M.A.F.P.E.N. des universitaires, non seulement il préconisait une formation par les "pairs", mais, autre idée incongrue, il demandait également de faire appel à des associations, mouvements pédagogiques, etc... "‘Je sais que, ’ ‘relate alors le responsable de l'Action Culturelle au Rectorat de Lyon, également responsable de la commission "Action culturelle" de la M.A.F.P.E.N.,’ ‘ "lorsque j'ai fait venir les formateurs des mouvements pédagogiques, cela n'a pas été simple, quoi’ 46 ." Pour les I.P.R., mais aussi pour les Rectorats, les mouvements pédagogiques ne donnaient aucune garantie de sérieux, donc ils n'avaient pas leur mot à dire. Les I.P.R. pressentaient certainement que, ainsi que l'écrivait déjà Bernard Honoré en 1977, ‘"non seulement la formation remet en question ce qui est en place, mais elle tend à s'y substituer." Et n'ajoutait-il pas précisément : "Peut-être faut-il voir là une des raisons pour lesquelles de nombreux organismes créent leurs propres services de formation et évitent de laisser leurs agents suivre des stages extérieurs."’ (Honoré, 1977, p.28). L'institution Education nationale n'échappait pas à cette règle de la formation à l'intérieur de l'institution, et regardait avec méfiance tout ce qui venait de l'extérieur.

C'est probablement en raison de cette attitude que certains formateurs de l'époque, militants des mouvements pédagogiques et autres associations, disent avoir vécu ces débuts comme une période de conquête : ‘"Il y avait une volonté de faire collaborer tout le monde, mais les mouvements pédagogiques ont dû jouer des coudes pour se faire reconnaître et forcer un peu la main de l'Education nationale’ 47 ." Malgré leur enthousiasme, les résistances de l'Institution ont été si fortes, que la participation effective des mouvements pédagogiques, déjà difficile à imposer au début, a par la suite assez rapidement disparu.

Malgré ces difficultés, le sentiment qui domine largement à cette époque, au dire des formateurs, est incontestablement l'enthousiasme car, nous l'avons vu, les directives ministérielles étaient suffisamment générales pour laisser une grande liberté : "‘On avait des perspectives et des moyens ; on démarrait un certain nombre de choses. Cela donnait l'impression d'une grande ébullition’ 48." On avait l'impression qu'il allait être possible de changer les choses. Quelques années plus tard, les chefs de M.A.F.P.E.N., réunis en Conférence, confirmeront que "‘dans l'éducation nationale, la généralisation de la formation continue a été perçue dès le départ comme indissociable de l'idée de changement, de rupture." ’(Conférence, 1990, p.53). Mais les corps d'Inspection ne restent pas inactifs. Par exemple, l'Inspection Générale organise en octobre 1982, à la demande de la Direction des Collèges, un séminaire sur le projet d'établissement.

Notes
43.

Entretien JB, du 06/06/94.

44.

Courrier JB, du 23/05/96.

45.

Entretien JB, du 06/06/94.

46.

Entretien RC, du 7/7/94.

47.

Entretien MG, du 16/6/94.

48.

ibid.