2.3. Une Première Formation De Formateurs

2.3.1. Les Modules I.N.R.P. De Formation De Formateurs

La mise en place de cette formation de formateurs est annoncée officiellement par le ministre dans sa lettre aux Recteurs du 15 avril 1982. Elle devait commencer dès le mois de juin 82, mais la conception des modules ayant pris un peu de retard, elle commencera à se dérouler au début de l'année scolaire suivante seulement. Nous avons vu que ces modules avaient été conçus par des chercheurs appartenant aux différents départements de l'I.N.R.P. L'idée qui a présidé à leur conception était articulée autour de la volonté de démocratiser la réussite scolaire. Le support essentiel de cette démocratisation consistait dans le projet de Rénovation des collèges, qui n'était pas encore mis en oeuvre, mais dont les grands axes étaient connus. Les M.A.F.P.E.N. allaient avoir à mettre en oeuvre une formation continue apte à accompagner cette Rénovation. Les modules de formation de formateurs devaient donc constituer le support, permettant la mise en place de cette formation continue. A cet effet, chacun des modules était centré autour de l'un des grands thèmes proposés pour cette rénovation. Patrice Ranjard, responsable du module n°2, dit que ces modules ‘"avaient une cohérence très forte entre eux : c'était de créer les conditions pour que le départ des enseignants en stage ne soit pas un problème pour les établissements ; non pas parce que les enseignants seraient remplacés, mais parce qu'ils n'enseigneraient plus de la même façon, c'est-à-dire "un enseignant qui fait un cours dans une classe face à des élèves". Il y aurait quantité d'autres possibilités pour que les élèves apprennent. Le prof qui fait son cours, ce serait l'une des possibilités ; s'il n'est pas là, il y a des tas d'autres choses à faire’ 64 ." D'où, les intitulés des modules, qu'André de Peretti décrit ainsi :

‘"Les premiers modules proposés ont eu pour objet d'impulser des propositions de nature à étayer l'émergence des modalités nouvelles de formation :
  • Le module 1 vise en effet à donner aux enseignants des possibilités de départ vers des séminaires de formation, grâce à la mise au point d'emplois du temps souples, tels que des recherches depuis plusieurs années en ont dégagé les caractéristiques.

  • En établissant les conditions des projets de formation, individuels ou collectifs, le module 2 a pour objet de mettre en garde contre les dangers d'émiettement et d'insignifiance de formations jusque là souvent adoptées de façon aléatoire ou abstraite.

  • Le souci d'assurer de façon satisfaisante le remplacement des professeurs en stage inspire le développement des pratiques de conseil méthodologique et de formation à la documentation au bénéfice des élèves, proposé par le module 3, ou les dispositions de travail autonome, contenues dans le module 4.

  • Le module 5 rappelle l'importance qu'il faut accorder à l'analyse de leurs besoins par les intéressés eux-mêmes, au départ du processus de leur formation.

  • L'évolution de celles-ci et les problèmes d'orientation pour les jeunes obligeaient aussi à prévoir la diffusion de formes nouvelles d'évaluation par le module 7, apportant des conditions de succès à des pédagogies par objectifs, plus nettes et plus motivantes pour les élèves." (Peretti, 1983, p.215)

Ce texte permet de bien comprendre pourquoi les concepteurs des M.A.F.P.E.N. n'ont pas envisagé le remplacement des enseignants partant en formation : la mise en place de la rénovation des collèges, si elle s'était effectuée comme ils l'avaient prévue, aurait dû permettre une autre organisation des établissements, grâce à laquelle le problème du remplacement ne se serait pas posé.

Dans le document du module n°2, Patrice Ranjard raconte que ‘"le 7 avril 1982, André de Peretti présente à quelques collaborateurs65 le projet des huit modules. Nous ne sommes pas là pour discuter de la formule, ni du choix des huit thèmes, mais pour passer à l'action : il faut faire quelque chose avant les vacances."’ (I.N.R.P., 1982, p.51). La responsable du module 1, "Emploi du temps souple", était Aniko Husti, dont les recherches sur ce thème sont bien connues. C'est Patrice Ranjard qui a pris la responsabilité du module 2, "Méthodes facilitant l'élaboration de projets individuels et collectifs de formation". Il dit avoir choisi ce thème, parce que c'était le seul sur lequel, déclare-t-il, ‘"il n'y avait rien de fait, il était vide’ 66 ." Pour le module 3, "Conseil méthodologique et formation à la documentation", la responsable était Brigitte Chevallier. Quant au module 4, "Travail autonome", il était coordonné par Nelly Leselbaum. Les modules 5 et 7 étaient coordonnés par Raymond Bourdoncle et Françoise Cros. Chaque responsable était entouré d'une équipe d'une trentaine de personnes. Ces six modules seront complétés en 1983 par un septième, centré sur la "Pédagogie différenciée", puis par un huitième, intitulé "Elaboration négociée des programmes de formation et de stage".

Pour chaque module, le groupe de travail va élaborer un dossier qui contient les modalités d'organisation des stages inter-académiques destinés aux formateurs M.A.F.P.E.N. ‘"La transmission des dossiers un fois constitués a été faite pour des groupes d'une centaine de personnes : de trois à six formateurs par académie, désignés (plus ou moins correctement) par les Rectorats’ 67 ." C'est le 13 septembre 1982 que ces modules sont présentés aux Chefs de M.A.F.P.E.N., réunis à l'I.N.R.P. Il leur est alors demandé d'organiser des séminaires inter-académiques, qui seront animés par les concepteurs des différents modules, et d'assurer ensuite leur démultiplication à l'intérieur de l'académie. La question s'est donc posée de savoir qui proposer pour participer à ces séminaires. Dans sa lettre du 15 avril 82, le Ministre demandait aux Recteurs de ‘"procéder à un inventaire des personnels qui pourraient suivre avec profit des séminaires de formation prévus à la fin de l'année scolaire, au niveau national."’ D'après André de Peretti, les modules avaient été conçus pour apporter un complément de formation, sur les thèmes cités plus hauts, à des personnes qui auraient acquis auparavant une formation, dans le domaine de la formation d'adultes. En effet, les associations de psychosociologues dont nous avons parlé dans la première partie, avaient offert ce genre de formation, au cours des années précédentes. Un certain nombre d'enseignants en avaient bénéficié, puisque, dans les années soixante-dix, l'une de ces associations au moins, l'I.F.E.P.P., avait passé, nous l'avons dit, des conventions avec le ministère de l'Education nationale, ce qui avait permis à un certain nombre d'enseignants de suivre ces formations gratuitement. Mais, précise André de Peretti, la désignation des formateurs devant participer à ces modules s'est faite ‘"plus ou moins correctement"’ selon les Rectorats. Les personnes n'ont pas toujours été désignées comme cela avait été prévu. Par conséquent, ce qui devait être seulement un complément de formation, est devenu, pour beaucoup de participants, leur seule et unique formation de formateurs. Il n'est donc pas surprenant, dans ces conditions, que cette formation de formateurs soit apparue à certains comme une formation "au rabais."

D'autre part, il avait été prévu que ces modules fassent "tache d'huile". Pour cela, les formateurs ayant participé aux séminaires inter-académiques devaient ensuite rejoindre leurs académies respectives, pour former les autres formateurs M.A.F.P.E.N. C'est ce qu'on a appelé la stratégie de la "démultiplication", à propos de laquelle André de Peretti écrit : "‘Chaque module doit donc être conçu pour pouvoir être diffusé par une démultiplication rapide en progression géométrique de la transmission de ses contenus théoriques et pratiques, délimités mais denses par répercussion de groupe concepteur en équipes académiques, puis en formateurs occasionnels jusque dans les établissements, pour faire connaître et essayer des formules éprouvées correspondant à de nouvelles perspectives ou nécessités pédagogiques, méthodologiques et scientifiques." ’(Peretti, 1983, p.215).

Selon Patrice Ranjard, les Chefs de M.A.F.P.E.N. ont été assez surpris qu'on leur demande d'emblée de se charger de la mise en oeuvre de ces modules et de leur financement. "‘Nous, les responsables de modules, ’ ‘dit-il’ ‘, nous étions dans une situation très bizarre avec eux, parce que, à la fois ils étaient très contents qu'on les ait choisis pour cette fonction, mais aussi ils étaient furieux car ils savaient qu'ils allaient avoir à financer ces stages inter-académiques, alors qu'on ne leur avait pas demandé leur avis sur ces stages et qu'ils n'avaient rien eu à dire sur leur contenu’ 68 ." C'est sans doute pour cette raison que la démultiplication ne s'est pas toujours effectuée comme prévu. André de Peretti écrit, à ce propos : ‘"La démultiplication s'est faite parfois très bien, parfois suffisamment, parfois insuffisamment, comme dans le Nord par exemple, et de façon inégale selon les modules’ 69 ."

Notes
64.

Entretien PR, du 18/04/96.

65.

Il s'agit bien entendu de ses collaborateurs de l'INRP.

66.

Entretien PR, du 18/04/96.

67.

Courrier AP, du 22/07/94.

68.

Entretien du 18/04/96.

69.

Courrier du 22/07/94.