Comme nous venons de le voir, l'ensemble du projet "Modules de formation de formateurs" présente, dans l'esprit des concepteurs, une certaine cohérence. Cependant, il n'est pas certain que les responsables M.A.F.P.E.N. aient vraiment perçu cette cohérence. Cependant, comme l'a constaté une collaboratrice de Grenoble, ‘"le nombre de gens qui avaient participé aux modules était infime, mais ils ont eu une grande influence sur les idées. De toute façon, c'était des modules nationaux, on n'était pas très nombreux ; il y a avait un ou deux représentants par académie, dans chaque module. C'étaient surtout des gens qui se sont trouvés dans le dispositif M.A.F.P.E.N., à des points un peu stratégiques ; beaucoup se sont mobilisés sur la rénovation, qui était à l'époque le moteur des M.A.F.P.E.N. Mais ils se sont tous retrouvés ensuite à des postes de responsabilité, responsables de groupe-ressource, ou autre. Leur influence s'est donc faite sentir parce qu'ils occupaient des postes-pivots, dans des secteurs innovants’ 70 ." Pour certains, ces modules ont donc joué un rôle important.
Mais, dans l'ensemble, ces "modules" ont été par la suite fort contestés. Dans le bilan rédigé par la Conférence des Chefs de M.A.F.P.E.N. en 1990, on parle de "‘l'échec retentissant de la politique des "modules I.N.R.P.", à cause de sa mise en oeuvre prématurée.’" (Conférence, 1990, p.82). Un des responsables de la M.A.F.P.E.N. de Lyon fait aujourd'hui, une analyse plus nuancée : ‘"J'en ai suivi un. Personne ne savait ce qui allait s'y faire. C'était intéressant, mais il n'en est rien sorti. L'idée, c'était de promouvoir une organisation en réseau ; mais cela n'était pas mûr. A l'époque, personne ne savait faire cela. On nous disait qu'il ne fallait pas qu'il y ait de structures, qu'il fallait que les gens travaillent ensemble. Mais on arrivait tous de nos organisations hyper-structurées, hyper-bétonnées ’ 71 ..." Il n'est pas le seul à penser que certaines propositions faites à ce moment-là, quoique intéressantes, étaient sans doute trop novatrices pour remporter immédiatement l'adhésion.
Par exemple, le responsable du module 2 a également constaté ces résistances qu'il attribue à ‘"la société française dans son ensemble. La notion de projet d'établissement par exemple," ’ ‘précise-t-il,’ ‘ "est hétérogène à la culture française, et c'est pour cela que ça ne peut pas passer. Dans ce pays qui se prétend le pays des droits de l'Homme et qui est si fier d'être une démocratie, nous sommes en réalité peu démocrates. Individualisme et élitisme sont les bases de cette société’ 72 .". Pour lui, c'est le contenu des modules, donc le contenu du projet de Rénovation des collèges, que la société française n'était pas prête à accepter, car cela représentait une remise en cause trop radicale de ses valeurs fondamentales.
Aujourd'hui, les critiques faites envers les modules sont d'ailleurs essentiellement dirigées, non contre le contenu lui-même, mais plutôt contre la stratégie de la démultiplication. A ce sujet, écoutons celui qui fut, de 83 à 86, le chef de la M.I.F.E.R.P., c'est-à-dire de la mission qui devait coordonner le travail des M.A.F.P.E.N. au niveau national. Aujourd'hui, il juge73, avec le recul, que cette stratégie de démultiplication était peu adaptée à la situation car il en est résulté que les premiers formateurs arrivaient porteurs de la bonne parole. A Grenoble, ils ont été peu appréciés ; en somme, ils ne tenaient pas compte des pratiques existantes. Quant à l'un des premiers chefs de M.A.F.P.E.N., il affirme que ‘"cette logique de la démultiplication lancée par De Peretti, on sait aujourd'hui qu'elle est complètement inopérante." ’Il nuance cependant son propos ‘: "Elle a eu cependant le mérite de lancer une dynamique ; mais elle n'a eu aucune efficacité. Elle a montré qu'il ne fallait surtout pas faire cela. Je ne sais pas s'ils ’ ‘[les modules]’ ‘ ont été utiles, mais il y avait un aspect symbolique : on avait créé les M.A.F.P.E.N. et en même temps on mettait en place les modules, on avait donc fait quelque chose’ 74 ."
On voit qu'aujourd'hui les opinions sont constrastées. Alors, comment analyser cette opération ? Exception faite du module n°2 qui, au dire de son responsable, ne s'appuyait sur aucun résultat de recherche, l'idée était de généraliser des expérimentations effectuées, sous l'égide de l'I.N.R.P., dans les années précédentes. Ces innovations étaient-elles généralisables telles quelles ? Nous avons vu que les textes mettant en place les M.A.F.P.E.N. ne précisent pas quel type d'enseignant on souhaitait former à travers ces nouvelles dispositions. Cependant, peut-être peut-on déceler les choix implicites qu'impliquait cette politique de la "démultiplication des "modules I.N.R.P." ? Pour tenter d'y parvenir, nous nous appuierons sur une analyse faite par l'O.C.D.E., en 1992, et citée par Philippe Perrenoud (1994, p.208). Cette analyse "‘met en évidence que deux modèles d'enseignants ont été adoptés par les pays membres : le modèle à compétence minimale et le modèle à professionnalisme ouvert’ ." L'O.C.D.E. constate que c'est le premier modèle qui est le plus répandu : il consiste à faire "‘livrer un programme scolaire imposé d'en haut, par un enseignant formé initialement par instillation d'un haut niveau de connaissance du sujet et de compétences didactico-pédagogiques, remises à jour régulièrement par des actions correctrices"’. Perrenoud constate que ce premier modèle ne suffit plus à faire face ni aux nouvelles conditions d'exercice du métier, ni aux nouvelles attentes de la société vis à vis de l'école. Par conséquent, c'est le deuxième modèle qu'il conviendrait d'installer progressivement. Celui-ci situe l'enseignant au centre du processus d'amélioration de la qualité de l'éducation. Pour cela, "‘il devra être capable de prendre lui-même les décisions sur ce qu'il y a lieu de faire et sur la manière d'en assurer la mise en oeuvre"’. Ce deuxième modèle implique un type de formation complètement différent du premier. Naturellement, la formation continue ne peut pas, à elle seule, assurer une formation selon ce deuxième modèle : elle dépend étroitement de la formation initiale. Cependant, elle peut certainement, soit favoriser une évolution dans ce sens, soit la ralentir.
Or, il nous semble que la stratégie de la démultiplication des "modules I.N.R.P." irait plutôt dans le sens du premier modèle : les concepteurs des modules devaient transmettre aux futurs formateurs les programmes qu'ils avaient mis au point. ‘"L'idée de la démultiplication, c'est typique d'une conception de la transmission’ 75 ," dit l'un des responsables de la M.A.F.P.E.N. de Lyon, qui sera chargé plus tard d'une formation de formateurs. Bien sûr, il ne s'agissait pas de la transmission de connaissances disciplinaires, mais plutôt "transversales", cependant on reste bien dans une conception "descendante" de la formation, sans perdre de vue toutefois que cette formation ne devait constituer qu'un complément pour des formateurs, ayant déjà reçu une formation.
Quoi qu'il en soit, lorsqu'on considère la liste des thèmes des "modules", la nécessité de les porter à la connaissance des formateurs M.A.F.P.E.N. apparaît avec évidence. Le contenu des thèmes de ces "modules" montre bien que la formation continue qui se mettait ainsi en place, allait devoir être au service d'une réforme - en l'occurrence la Rénovation des collèges - que le ministre voulait promouvoir. Pour lui, ‘"c'est à cette étape de la scolarité que la crise du système se manifeste de manière la plus aiguë, et qu'il fallait la traiter d'urgence."’ (Savary, 1987, p.56). La Rénovation des collèges était donc une de ses priorités pour aller vers la démocratisation de la réussite scolaire. Nous allons maintenant étudier le contenu de ce projet.
Entretien MC, du 11/07/96.
Entretien AB du 10/06/97.
Entretien PR du 18/04/96.
Entretien JO du 15/2/94.
Entretien AB, du 04/11/96.
Entretien ED, du 26/06/97.