Chapitre 4. Analyse Des Choix

4.1. Premiers Éléments D'analyse.

4.1.1. La "réaction Des Clercs" 80

Comme nous le conseille Philippe Perrenoud (1994 a, p.63-89), nous devons nous garder de tout attendre de la formation. Par conséquent, ce serait une illusion de penser que la formation des enseignants est le seul moyen d'avancer sur la voie de la démocratisation. Nous allons cependant tenter de déterminer si celle qui nous occupe avait quelques atouts pour espérer faire avancer les choses dans cette voie. Dans un premier temps, nous procèderons à quelques constatations, plutôt qu'à une véritable analyse. Pour cela, nous évoquerons les réactions qu'ont provoquées les réformes dont nous venons de parler. Dans sa thèse de doctorat, intitulée "La réaction des clercs", Patrice Ranjard en propose une interprétation, que nous reprendrons volontiers à notre compte.

A partir de 1983, paraissent plusieurs ouvrages, écrits par des intellectuels (les "clercs"), pas toujours enseignants d'ailleurs. Il s'agit de violents réquisitoires, pouvant aller jusqu'aux insultes grossières, en passant par les fausses informations et les procès d'intention. Les auteurs des réformes, en particulier de la Rénovation des collèges, y sont ni plus ni moins accusés de conduire l'enseignement à sa perte. A partir de l'étude détaillée des ouvrages81 qui ont eu le plus d'audience auprès du grand public, - leurs auteurs ont été invités par deux fois sur le plateau de l'émission de télévision "Apostrophe" - Patrice Ranjard commence par constater que ces réactions possédent plusieurs caractéristiques qui posent question. Tout d'abord, la violence de ces réactions semble disproportionnée avec le peu de changements réellement intervenus en 1984, lorsque paraissent les premiers ouvrages. Mais surtout, il constate que ces réactions proviennent de tous les horizons de la société, d'opposants de droite comme de sympathisants de gauche, d'enseignants comme de non-enseignants, de nostalgiques du "paradis perdu" comme de partisans du "changement à tout prix". Enfin, les réponses en provenance de ce qu'il appelle le "camp des pédagogues", sans doute désorientés par la violence de ces attaques, sont relativement timides. Ranjard propose comme explication à ces faits que le postulat de base des réformes vilipendées, selon lequel "tous les enfants peuvent réussir", entre en contradiction avec la conception de l'enseigner et de l'apprendre communément répandue non seulement dans le grand public, mais aussi chez beaucoup d'enseignants. Reprenant la théorie du socio-analyste Gérard Mendel, il montre que cette conception s'appuie sur l'existence du "phénomène-Autorité", c'est-à-dire ‘sur "le consensus social qui pérennise et exploite la dépendance biologique et affective du petit d'homme par rapport aux grands qui l'aiment au début de sa vie."’ (p.32)

Cette analyse de la "réaction des clercs" nous semble rejoindre celle que fait André de Peretti dans l'un de ses derniers ouvrages (1993). Pour cet auteur, ces violentes réactions peuvent être considérées comme la résurgence d'une très ancienne polémique. A l'"idéalisme centralisateur" à la Bossuet, élitiste, autoritaire, plutôt pessimiste, se référant aux notables, visant l'universel, cette polémique oppose le "réalisme égalitariste" à la Fénelon, régionaliste, relativiste, plutôt optimiste, respectant la personne globale. Pour André De Peretti, alors que les textes de 82-83 se situeraient plutôt dans le courant "égalitariste", la majorité des enseignants du secondaire seraient plutôt à classer parmi les "élitistes", bien qu'ils s'en défendent. Il était dont inévitable que cette polémique soit réactivée à cette occasion, et elle l'a été avec violence.

Nous tenterons plus loin de rechercher s'il est possible d'échapper à cette violence, pour avancer dans la voie de la démocratisation de manière plus sereine. Pour l'heure, ce qui nous intéresse dans la "Réaction des clercs", c'est ce qu'elle nous apprend de la manière dont les réformes Savary ont été perçues par l'opinion, et par les enseignants en particulier.

On nous objectera que la "Réaction des clercs" visait explicitement la Rénovation des collèges, et non les M.A.F.P.E.N. Néanmoins, comme nous l'avons vu précédemment, l'une des priorités assignées à l'action des M.A.F.P.E.N. à partir de 1983, était précisément la mise en oeuvre de la Rénovation des collèges. Par conséquent, on peut considérer que ces attaques étaient également dirigées indirectement contre cette formation continue. La thèse de Patrice Ranjard nous fournit donc un premier outil d'analyse de ces réformes ; elle montre que l'objectif de démocratisation de la réussite scolaire était suffisamment clair pour provoquer des réactions de toutes provenances. Ces réactions étaient dues au fait, et la thèse de Patrice Ranjard le montre bien, que la majorité du corps enseignant et du public possède une conception de l'éducation, souvent inconsciente d'ailleurs, qui privilégie l'enseigner plutôt que l'apprendre. Il s'agirait donc de réactions de défense, de la part de ceux qui sentaient leur position, voire leur pouvoir, menacés par ces réformes. Par exemple, une innovation comme celle d'envisager une formation continue par les "pairs", a probablement choqué le sens hiérarchique que beaucoup d'enseignants conservent, bien qu'ils s'en défendent. En somme, le corps enseignant serait d'accord pour démocratiser l'enseignement, à condition de pouvoir conserver ses privilèges et ses habitudes.

Notes
80.

formule Empruntée À Ranjard (1990).

81.

MILNER, MASCHINO, BARTHOLY, DESPIN, DE ROMILLY, etc...