4.1.2. Professionnalité Et Professionnalisation

Il est vrai que cet objectif de démocratisation implique une véritable redéfinition de la professionnalité des enseignants, puisqu'il change complètement les conditions d'exercice du métier. C'est le passage d'une période où l'enseignement du second degré était réservé à l'élite et où, de ce fait, les situations d'enseignement étaient relativement sans surprise, à une autre période où l'enseignant devra être capable de résoudre simultanément une multitude de problèmes complexes. De ce fait, les compétences nécessaires à l'enseignant changent. Précisons que nous utiliserons le terme "compétences" dans le sens que lui attribue Philippe Perrenoud, de ‘"savoir-faire de haut niveau, qui exigent l'intégration de multiples ressources cognitives dans le traitement de situations complexes."’ (Perrenoud, 1995 b, p.3).

Dans cette situation nouvelle, les enseignants vont avoir à mettre en pratique les idées qu'ils affichent, puisqu'ils se déclarent adversaires de la sélection, ils vont avoir à faire réussir tous les élèves, malgré les difficultés croissantes. Or, nous rappelle Jacky Beillerot, ‘"on a besoin de pédagogie dès lors qu'on postule que chacun peut et doit réussir. Si, a contrario, on proclame l'élitisme comme finalité ou si on se laisse aller vers les ordres sélectifs, la pédagogie est inutile. Ce serait même l'antipédagogie qui devrait dominer, puisque plus les obstacles seront grands, plus les mérites s'épanouiront. Ceci pour comprendre les résistances à la pédagogie."’ (Beillerot, 1988, p.18).

Mais il deviendra de plus de plus en plus difficile de mettre ces idées en pratique, car s'ils se déclarent adversaires de la sélection, ils n'envisagent pas de remise en cause de leur propre pédagogie. En effet, comme le constate Louis Legrand, dans son rapport sur les collèges, ‘"démocrates et progressistes affichés, la plupart des professeurs secondaires refusent la sélection. Mais la sélection, ouvertement condamnée et refusée, prend d'autres formes plus cachées. (...). Bref, sans aller jusqu'à réclamer le retour à la sélection ou aux filières, on cherche à ’ ‘conserver’ ‘ coûte que coûte, dans sa pureté intellectuelle, le système de l'enseignement disciplinaire en multipliant et en réclamant des structures parallèles jugées susceptibles - à juste titre - de le protéger de la "dégradation".’ (Legrand,1982, p.80).

Cependant, avant même la mise en place des M.A.F.P.E.N., cette nécessité de faire évoluer la professionnalité des enseignants commençait à se faire sentir parmi ceux qui avaient la charge de former des enseignants, dans la période précédente. Mais elle n'avait pas encore atteint la majorité des enseignants du secondaire, pour lesquels toute proposition de changement sonne comme un jugement négatif porté sur leur pratique. De plus, comme le constate André de Peretti, ‘"changer sa manière de faire, forgée empiriquement et donc difficilement, est ardu pour chaque enseignant, en raison de la contestation habituelle qui est faite à la notion de techniques dans les milieux scolaires, ou à l'idée de professionnalisme qui apparaît rendre vulnérables les enseignants vis-à-vis de l'opinion ou des autorités."’ (Peretti, 1993, p.250). Bien des années plus tard, cherchant à expliquer cette réticence persistante de beaucoup d'enseignants à engager véritablement la lutte contre l'échec scolaire, Philippe Perrenoud écrira : ‘"Il se peut que les classes moyennes qui ont assuré le "salut" de leur enfant par l'école, ne jugent pas utile d'élargir encore le cercle des élus".’ (Perrenoud, 1995 a, p.36).

Quelles qu'en soient les raisons, c'est à ce conservatisme que les textes de 1982 et 1983 vont se heurter, en affichant officiellement l'objectif de démocratisation, et surtout en prévoyant sa mise en oeuvre, par le biais de la formation continue, dont ils précisent bien cependant qu'elle devra intégrer à la fois ‘"un approfondissement des connaissances fondamentales, une meilleure connaissance des acquis de la recherche sur la didactique, une amélioration des compétences pédagogiques et de l'utilisation des techniques modernes de communication, et une information sur la vie de la communauté éducative."’ (Circulaire du 24/05/82, p.16). Comme on peut le constater, l'objectif de ces réformes n'était nullement de remplacer l'acquisition des connaissances fondamentales qui occupent toujours la première place, par une centration exclusive sur la pédagogie, comme certains ont voulu le faire croire. Mais au contraire, il s'agissait d'élargir véritablement la définition de la professionnalité de l'enseignant, en y intégrant d'autres dimensions indispensables. En somme, l'objectif était d'accroître la professionnalité de l'enseignant, et non de remplacer un type de la professionnalité par un autre.

A titre d'exemple, citons, parmi les choix faits à ce moment-là, celui de faire appel à des formateurs dit "de terrain", c'est-à-dire à la fois enseignants en poste et formateurs M.A.F.P.E.N. Jusqu'alors, les formateurs d'enseignants, qu'il soient professeurs d'Ecole Normale, de C.P.R., etc..., étaient relativement éloignés du "terrain", et même quelquefois ne l'avaient jamais connu vraiment. Là, on trouve la volonté, qui constitue une nouveauté, de faire en sorte que les formateurs restent au maximum en contact avec les élèves réels, tout en possédant un haut niveau de connaissances fondamentales dans leur discipline. Il nous semble que ce choix montre un souci de prise en compte des réalités de la pratique qui ne peut aller que dans le sens de l'accroissement de la professionnalité des enseignants. Nous montrerons dans la suite de ce travail que, de plus, la mise en place de dispositifs nouveaux de formation a permis d'avancer dans cette voie.