4.2.2. Sept Critères D'analyse D'une Formation

4.2.2.1. Une Formation "autonome"

Il fait remarquer tout d'abord que l'une des spécificités de la formation des enseignants est que, dans l'immense majorité des cas, l'organisme de formation est également l'employeur, alors que dans la plupart des autres secteurs, on tend vers une plus grande séparation entre ces deux domaines. Il n'existe donc qu'un seul type de formation pour les enseignants, ce qui crée une situation de monopole. Cette situation de repli sur lui-même en fait un système peu ouvert aux changements. Perrenoud constate que ‘"la formation des maîtres n'a de chances de devenir une force de changement de l'école que si elle acquiert davantage d'autonomie par rapport au système, si elle s'identifie davantage aux besoins des usagers et des praticiens qu'à ceux du pouvoir qui gouverne l'école."’ Il montre qu'il est impossible que la formation conquière elle-même cette autonomie, mais que, par contre, il est probable que le système aura, à long terme, intérêt à la lui octroyer. Dans quel sens est-on allé, lors de la mise en place des M.A.F.P.E.N. ?

Si on examine les choix qui ont été faits, un certain nombre vont dans le sens de cette autonomie. Les Missions, jusqu'en 1986, ne sont dépendantes d'aucune structure, ni d'une Direction ministérielle précise, ni du Recteur, ni de l'Inspection ; par conséquent, elles ont une grande liberté d'organisation et d'innovation. De plus et surtout, la participation des universitaires est explicitement souhaitée dans les textes ministériels, ainsi que celle des associations extérieures. Tout cela va dans le sens d'un affranchissement par rapport au système, qu'on ne peut observer dans aucun autre secteur de la formation des enseignants.

Cependant, il est clair que cette autonomie ne peut être que relative, puisque la formation reste à l'intérieur du système. De plus, nous avons vu que, contre la volonté des décideurs, les corps d'inspection ont tenté de maintenir le monopole qu'ils possédaient sur la formation. Nous avons vu également que les mouvements pédagogiques n'ont pas pu conquérir la place qu'ils auraient pu avoir, compte tenu de leur expérience en formation et du potentiel d'innovation qu'ils représentaient. Il nous a d'ailleurs paru significatif que le responsable de l'expérience pilote de l'académie de Lyon en 81-82, ou le premier chef de la M.A.F.P.E.N. de Lyon, ne nous parlent pas spontanément de ces mouvements et même, lorsqu'ils sont sollicités, ne leur accordent que très peu d'importance. A l'intérieur de l'institution, on connaissait peu l'action des mouvements pédagogiques, comme en témoigne par exemple une intervention du directeur du C.R.D.P. de Lyon, qui a soulevé un tollé général en demandant une fiche signalétique pour chaque mouvement (C.R.D.P., 1982). Dans le P.A.F. 82-83 de l'académie de Lyon, on constate que les mouvements pédagogiques font partie de la commission "Action Culturelle", ce qui montre qu'on les jugeait incompétents en matière de pédagogie proprement dite, puisqu'on les cantonnait dans un secteur un peu annexe. C'est en tout cas ce qu'ont ressenti à l'époque les militants de ces mouvements : "Le rôle des mouvements était prévu par les textes," dira un militant des Francas82, ‘"mais certains mouvements faisaient des propositions qui ensuite n'étaient pas retenues. (...) Avant la M.A.F.P.E.N., les Francas organisaient des interventions dans les établissements. (...) A la M.A.F.P.E.N., on a proposé des stages sur l'aménagement de l'espace, mais en fin de compte, les Francas n'ont pas animé de stages. A un moment, on nous a demandé de nous associer aux stages disciplinaires, mais cela ne s'est pas réalisé. Il n'y avait pas de véritable volonté d'intégrer les mouvements pédagogiques, sans doute parce qu'ils sont trop dérangeants..."’ Ou encore cette militante des C.E.M.E.A. : ‘"Il y avait donc un mélange de grand enthousiasme, et aussi le sentiment d'être oubliés’ 83 ." En somme, l'autonomie laissée aux M.A.F.P.E.N. par les concepteurs, si elle a considérablement bousculé certaines habitudes, n'a peut-être pas pu être utilisée au maximum, à cause de la lourdeur bien connue du système.

A travers cette question de l'autonomie de la formation, on voit resurgir les différences entre les objectifs des partenaires, comme cela s'est déjà produit en 71, au moment du vote des lois Delors sur la formation continue. Ici, on trouve trois partenaires principaux en présence : l'Etat, qui est aussi l'employeur dans ce cas particulier, les "cadres" de l'Education Nationale, dont les pratiques s'opposent quelquefois aux objectifs fixés par l'Etat, et les syndicats d'enseignants, qui défendent les intérêts des personnels. En schématisant, on peut dire que les personnels attendaient de la formation continue des bénéfices personnels, l'Etat-employeur une amélioration du service public d'enseignement, et l'Etat-nation des retombées sur l'économie et sur l'emploi en particulier mais on peut également dire que les cadres de l'Education nationale se satisfaisaient du maintien du statu quo dans lequel ils trouvaient leur compte. Les intérêts de l'Etat et des cadres se rejoignaient donc pour limiter l'autonomie octroyée à la formation. Il est cependant indéniable que la manière dont les M.A.F.P.E.N. ont été mises en place leur confère une autonomie plus grande que celle des autres organismes de formation d'enseignants, en particulier au niveau de la formation initiale. Dans ce domaine de l'autonomie, nous serions tentée de conclure cependant que les textes sont sans doute allés aussi loin qu'il était possible de le faire à ce moment-là, mais que, comme cela se produit souvent, les possibilités offertes par ces textes n'ont sans doute pas toutes été exploitées au maximum.

Notes
82.

Entretien MC, du 20/06/94

83.

Entretien MG, du 16/06/94.