0.2. Choix D'une Grille D'analyse

Comme nous l'avons montré précédemment, pour les concepteurs des M.A.F.P.E.N. d'une part, c'est-à-dire essentiellement pour les membres de la commission présidée par André De Peretti ; et pour les décideurs d'autre part, c'est-à-dire essentiellement le ministre Savary et le gouvernement de l'époque, tous attendaient de la création des M.A.F.P.E.N. qu'elle produise des changements dans l'éducation nationale. La stratégie qu'ils ont adoptée pour favoriser ces changements, a consisté à laisser aux acteurs locaux une très grande liberté de manoeuvre en matière de mise en oeuvre de la formation, ce qui leur a permis de faire fonctionner des dispositifs variés.

Nous nous proposons maintenant d'étudier quelques-uns de ces dispositifs, afin de déterminer comment, pour chacun d'eux, les formateurs entendaient promouvoir les changements attendus. Pour cela, nous nous appuierons sur les travaux de Michaël Huberman. En effet, au début des années quatre-vingts, en matière de diffusion des connaissances, ces travaux faisaient autorité. Comme on le sait, ce chercheur a cherché à diffuser à Genève et dans la francophonie, les résultats de travaux nord-américains portant sur les changements en éducation. Dès le début des années 80, les premiers chefs de M.A.F.P.E.N. avaient eu connaissance des modèles proposés par Mickaël Huberman, modèles qui leur ont inspiré, nous le verrons, la conception de certains des dispositifs mis en place. Résumons rapidement ces modèles.

Dans un texte de 1973, Huberman, reprenant une certain nombre d'ouvrages nord-américains, décrit trois modèles de stratégies capables de provoquer des changements en éducation. Le premier modèle, connu sous le nom de "modèle R. et D." (recherche et développement), ‘"considère le processus comme une suite rationnelle de phases, par lesquelles une innovation est inventée, ou découverte, mise au point, produite et diffusée, pour être utilisée"’. L'accent est mis sur ‘"la traduction de recherches fondamentales en connaissances appliquées."’ (Huberman, 1973, p.69). Il s'agit donc du modèle le plus répandu pour la diffusion des connaissances en éducation. Dans ce modèle, la difficulté principale se situe au niveau de l'adoption ; en effet, on présume généralement que ‘"l'intérêt éclairé du praticien conduira en fin de compte à l'adoption de l'innovation"’ (p.82), on a souvent pu constater que ce n'était pas toujours le cas. On peut néanmoins favoriser l'adoption de l'innovation par un processus de "participation dirigée".

Le deuxième modèle étudié par Huberman est le modèle dit "d'interaction sociale". Il insiste sur la circulation de messages d'une personne à une autre, et d'un système à un autre, soulignant ainsi l'importance des réseaux interpersonnels d'information, dans lesquels chaque membre s'approprie le message, par un processus de communication sociale avec ses collègues. Pour ce modèle, l'adoption de l'innovation se produit plus facilement à l'issue du processus. Cependant, le processus ne se met en route que si la personne rencontre un "guide" capable de favoriser la prise de conscience ; mais celui-ci se préoccupant peu des besoins réels de l'adoptant, on voit qu'il existe un danger de manipulation par ce guide.

En dernier lieu, il étudie le modèle de "résolution de problèmes", construit autour de l'utilisateur de l'innovation. Il part de l'hypothèse que l'utilisateur a un besoin bien déterminé et que l'innovation satisfait ce besoin. Pour Huberman, ce modèle de résolution de problèmes semble échapper aux difficultés des deux précédents modèles, car ‘"le changement dont l'utilisateur prend l'initiative est le plus solide." (p.90). Or, dans ce dernier modèle, "le diagnostic précède la définition de solutions, (...) le rôle d'assistance externe est non-directif et l'importance des ressources internes est reconnue."’ Pour comparer les différentes conceptions du processus de changement qui apparaissent à travers chacun de ces trois modèles, Huberman reprend (p.72) le schéma de Havelock suivant :

RECHERCHE ET DEVELOPPEMENT  RESOLUTION DE PROBLEMES INTERACTION SOCIALE
1- Invention :
Découverte de l'innovation
1 - Traduction
du besoin en problème
1 - Prise de conscience
de l'innovation
2 - Développement 
Elaboration des solutions
2 - Diagnostic
du problème
2 - Intérêt
manifesté pour l'innovation
3 - Production 
et conditionnement de l'innovation
3 - Recherche et localisation
des informations
3 - Evaluation
du bien-fondé de l'innovation
4 - Diffusion 
à un large public
4 – Adaptation
de l'innovation
4 - Essai
5 - Adoption 5 - Essai 5 - Adoption
pour utilisation permanente
6 - Evaluation
de la satisfaction du besoin

Pour chacun des dispositifs que nous allons maintenant étudier, nous rechercherons auquel de ces trois modèles il se référait. Très probablement, il aurait été possible de trouver des travaux plus actuels sur les différentes stratégies capables de produire des changements en éducation. Nous avons cependant choisi comme grille d'analyse les travaux de Michaël Huberman, en raison du retentissement qu'ils ont eu, au début des années quatre-vingts. C'est pour cette raison qu'il nous a semblé légitime de situer les dispositifs mis en place à cette époque, dans l'un des trois modèles décrits par Huberman. Précisons que, dans cette troisième partie, nous nous contenterons de passer au crible "hubermanien", les différents dispositifs, sans chercher à savoir si les changements escomptés se sont effectivement produits. Nous ébaucherons cette difficile étude des effets des dispositifs dans la dernière partie de ce travail.

Nous commencerons par l'étude du dispositif le plus important du point de vue quantitatif : les stages du P.A.F. Pour cela, nous nous appuierons uniquement sur les catalogues de stages : les P.A.F. En effet, comme nous l'avons déjà dit, malgré toutes les demandes que nous avons adressées à la M.A.F.P.E.N., nous n'avons pu retrouver aucune liste de formateurs, les archives des premières années de fonctionnement ayant, nous a-t-on dit, disparu, aussi bien à Lyon qu'à Grenoble d'ailleurs. Nous avons seulement pu nous adresser à des personnes dont les noms figuraient dans les P.A.F., et ensuite nous avons contacté d'autres personnes indiquées par les précédentes. Ainsi, de proche en proche, nous avons pu retrouver quelques documents conservés par certains et procéder à quelques entretiens. Tout cela est évidemment très partiel, mais c'est le seul moyen que nous avons trouvé pour recueillir quelques données sur cette période. En ce qui concerne les stages "disciplinaires" du P.A.F., non seulement nous avons retrouvé extrêmement peu de documents, mais de plus nous avons obtenu très peu de réponses à nos demandes, la plupart des formateurs disciplinaires que nous avons contactés, déclarant avoir détruit les documents de l'époque. Mais, il est tout-à-fait possible que nous n'ayons pas frappé aux bonnes portes... Malgré le peu de documents retrouvés, nous avons cependant décidé de faire une étude sommaire des stages du P.A.F., étant donné leur importance quantitative dans la période que nous étudions. Nous commencerons par les stages "disciplinaires".