2.3. Une Autre Conception De La Formation

Rappelons que les trois formateurs qui ont constitué l'équipe Pédagogie générale initiale, avaient conduit eux-mêmes des expérimentations dans leurs classes, dont certaines avaient fait l'objet de thèse ou de rapports de recherches. De plus, souvent par l'intermédiaire de l'I.N.R.P., ils avaient eu connaissance de résultats d'expérimentations ayant eu lieu dans le domaine des "technologies de l'éducation". Ils connaissaient donc bien des domaines comme l'analyse par objectifs et l'évaluation, le travail autonome, le travail de groupe, l'animation de la classe, l'entretien d'aide à l'élève, le tutorat, etc... Il leur a paru indispensable de faire connaître à un maximum d'enseignants les résultats de ces expérimentations, car elles avaient, selon eux, prouvé leur efficacité, dans le domaine de la lutte contre l'échec scolaire. Le dispositif qu'ils ont mis en place révèle donc une conception de la formation des enseignants caractérisée par la volonté de faire connaître à ces derniers les résultats des recherches et expérimentations en "pédagogie générale", qui ont montré leur efficacité. Cette volonté correspond tout-à-fait à celle du ministre, puisque dans la circulaire du 19 avril 1983, on pouvait lire : ‘"Cette formation comprendra une réflexion sur les conditions et les méthodes de l'acquisition des savoirs et des savoir-faire, tenant compte des acquis de la recherche en pédagogie et en didactique des différentes disciplines. On veillera notamment à diffuser et à utiliser les résultats des recherches françaises et étrangères sur l'évaluation du travail des élèves et sur les stades de développement des enfants et des adolescents."’ (p.36). Il est donc bien demandé de s'appuyer sur les résultats des recherches et de les diffuser.

La circulaire ci-dessus met particulièrement l'accent sur "l'évaluation du travail des élèves". Or cet axe était effectivement l'un des quatre qui constituait le dispositif de formation en Pédagogie générale. Cependant, nous l'avons dit, celui-ci abordait également l'utilisation de techniques nouvelles d'enseignement, la prise en compte de la manière dont les élèves apprennent, la gestion des relations inter-personnelles dans la classe, etc..., etc...

Le dispositif se situe donc dans une conception du changement par la pédagogie, puisqu'il s'agit de faire adopter par les enseignants des attitudes, des méthodes, des techniques, qu'ils n'utilisaient pas auparavant. L'objectif explicite est l'aide à l'apprentissage, par différentes approches. On est bien dans la problématique de la lutte contre l'échec scolaire, et le moyen qu'on se donne pour cela est d'apporter aux enseignants des outils leur permettant de faire évoluer leurs pratiques pédagogiques. On parie donc sur l'évolution personnelle des enseignants, sur leur capacité à tirer parti des propositions faites dans les stages. L'amélioration serait apportée, non plus par une meilleure maîtrise de la discipline comme dans la majorité des stages disciplinaires, mais par l'adoption de pratiques pédagogiques nouvelles, déjà expérimentées dans des classes, et ayant donné satisfaction aux expérimentateurs.

Par ailleurs, dans cette conception, on fait également l'hypothèse que l'évolution de quelques personnes peut avoir un effet d'entraînement sur les autres personnes et ainsi entraîner, de proche en proche, un changement de tout le système. On peut rapprocher cette conception du modèle de stratégie de changement que Michaël Huberman appelle le "modèle d'interaction sociale". Dans ce modèle, nous l'avons vu plus haut, on pense que ‘"le moyen le plus efficace de diffuser des informations sur une innovation réside dans des contacts personnels, la clé de l'adoption est l'interaction sociale parmi les membres du groupe."’ (Huberman, 1973, p.84). C'est la "démultiplication de la formation", concept très en vogue au début des années quatre-vingts, mais qui va être très bientôt remis en cause, comme nous le verrons.

Remarquons que, bien que ces formations en pédagogie générale aient eu lieu sous forme de stages, comme les formations "disciplinaires", la relation qui s'établit dans ce cas entre le formateur et les formés n'est pas du même type, dans les deux cas. Les stages disciplinaires classiques reproduisent le modèle du cours d'université, dans lequel le formateur sait, et transmet son savoir aux formés, qui sont là pour le recevoir de lui : c'est la fameuse "pédagogie de la transmission", si souvent décrite et décriée, mais encore tellement présente aujourd'hui. Dans le dispositif Pédagogie générale, on est plutôt en présence d'une formation "en alternance". En effet, bien qu'il subsiste des moments où sont effectués des apports théoriques portant sur les techniques proposées, comme l'analyse par objectifs ou le travail autonome, on assiste également à une "alternance" entre les moments de stage et les moments de mise en application dans la classe. Pendant le stage, des moments sont prévus pour que les stagiaires puissent mettre au point entre eux des séquences de formation directement utilisables dans leurs propres classes, avec leurs propres élèves. Après le stage, à leur retour dans leurs classes, les stagiaires sont censés mettre en application les dispositifs élaborés en stage.

Par exemple, lors d'un stage de ce secteur, sur "analyse par objectif et évaluation", une des participantes dit que ‘"il y avait toujours une partie du stage où on était amené à travailler sur des choses concrètes de notre établissement’ 94 ." Elle relate par exemple que, pendant le stage, les stagiaires ont construit toute une séquence de français sur Pagnol, où ils avaient mis au point, ensemble et très précisément, non seulement ce qui allait être proposé aux élèves en fonction des objectifs poursuivis, mais également comment les éventuelles acquisitions seraient évaluées. Elle affirme que ce qui avait été prévu a ensuite réellement été mis en oeuvre par les stagiaires dans leurs classes. Enfin, lors du retour en stage, la manière dont s'est effectuée cette mise en application est analysée. On évoque les difficultés rencontrées, et on cherche comment les résoudre. Cela conduit à améliorer les outils proposés, et à les adapter à la spécificité de la classe dans laquelle a lieu l'expérimentation.

Dans cette conception, on cherche à mettre à la disposition des enseignants des outils qui leur permettront de changer leurs pratiques pédagogiques. On fait donc l'hypothèse qu'il est possible que des enseignants changent leurs pratiques pédagogiques habituelles, en utilisant, soit tels quels, soit après adaptation, les résultats de recherche effectuées par d'autres. Le dispositif parie sur l'efficacité de l'alternance entre, d'une part la période de stage, au cours de laquelle l'enseignant est libéré de son enseignement, ce qui doit lui permettre de prendre un certain recul par rapport aux contraintes de celui-ci et, d'autre part, le retour à la réalité de la classe, dans laquelle les réflexions effectuées au cours du stage pourront se concrétiser, dans la pratique quotidienne. Le dispositif s'appuie également sur le fait qu'il apporte une réponse aux demandes des enseignants qui sont extrêmement nombreuses dans cette direction. Il parie donc sur l'efficacité d'une formation répondant à une demande.

Le dispositif situe également la formation dans la durée, puisque, pour chacun des thèmes, une progressivité de la formation était proposée, sous forme de stages par "niveaux". Pour l'équipe Pédagogie générale, il faut plusieurs années pour que s'effectue l'évolution espérée, puisqu'il s'agit d'une transformation en profondeur. En effet, dans les stages du premier niveau, on reste un peu à la surface des choses, on suscite des questions, on sensibilise ; mais ensuite, on cherche à approfondir la réflexion, de manière à viser des changements allant jusqu'à une transformation en profondeur de la personne même de l'enseignant, comme le suggère le titre de l'ouvrage écrit par l'équipe (Moyne, et all., 1986). Or, il s'agit d'un des aspects qui sera le plus critiqué, par la suite, par les opposants à ce dispositif. Ceux-ci considéraient que ce système de "niveaux" instaurait une dépendance des formés vis-à-vis du formateur. "Il y avait tout un enchaînement de stages, niveau un, puis niveau deux, etc... Et là, il y avait une sorte d'ascendant des formateurs sur les formés qui me semblait un peu exagéré 95 ," dit le chef de mission de l'époque. D'autres responsables, critiques par rapport au travail de cette équipe, parlent de "gourous" à leur propos. Ces critiques soulignent le fait que, dans ce type de formation comme dans les autres, rien ne garantit que les changements escomptés se produiront effectivement. Et si un changement intervient, rien ne garantit qu'il s'inscrira dans la durée.

Pour conclure, tentons de situer ce dispositif par rapport aux différents courants qui traversaient le milieu de la formation dans la période antérieure. Il nous apparaît que ce dispositif est le résultat du croisement de plusieurs influences. Tout d'abord, il se situe, par le choix de ses objets, dans le droit fil de la recherche de terrain dite "spontanée", plus ou moins apparentée d'ailleurs au réseau I.N.R.P.-C.R.D.P. Mais il se situe également par le choix de ses méthodes, dans le courant de la psychosociologie.

Outre les stages proposés par la commission Pédagogie générale, figurent dans les premiers P.A.F. de Lyon, d'autres stages transversaux que nous allons étudier maintenant, ceux proposés par les mouvements pédagogiques.

Notes
94.

Entretien CK, du 05/11/97.

95.

Entretien JB, du 25/04/98.