1.6. Une Conception Particulière De La Formation

Faut-il considérer l'ensemble de ce dispositif d'Aide à la Recherche de Terrain, comme une forme particulière de formation des enseignants ? En 1983, le chef de Mission et celui à qui il confie la responsabilité de ce dispositif, sont persuadés que les dispositifs de formation d'enseignants existants, qu'il s'agisse de stages d'apports de connaissances, ou d'échange d'expérience, ne sont pas efficaces, dans le sens qu'ils ne produisent pas de changements réels et durables des pratiques. Ils cherchent donc "autre chose". Il n'est pas surprenant qu'étant tous deux chercheurs en mathématiques, ils aient cherché cet "autre chose" dans le domaine qu'ils connaissaient le mieux : la recherche scientifique. Il nous semble que la mise en place de ce dispositif repose sur l'hypothèse que faire de la recherche est, en soi, formateur pour un enseignant, et doit donc lui permettre de faire progresser davantage ses élèves.

Comme nous venons de le voir, c'est aux recherches "de terrain" que s'intéresse ce dispositif. Voyons ce que recouvre ce terme. Lorsqu'on examine l'annuaire recensant les recherches pour l'année 84-85, on voit qu'il s'agit, dans la majorité des cas, de construction d'outils pédagogiques. Les universités, lieux de recherches plus théoriques, ne sont d'ailleurs pas très présentes, parmi les institutions encadrant ces recherches de terrain ; en effet, douze recherches seulement sur cent-six sont encadrées par une université. Bien entendu, celle-ci est l'organisme qui finance, qui prête son concours, mais à chaque fois l'essentiel se passe au sein de l'établissement scolaire, voire de la classe.

La plupart de ces recherches sont d'ailleurs plutôt des expérimentations, dans le sens que, pour les enseignants concernés, l'essentiel est de forger des outils pour leurs propres classes, afin d'augmenter l'efficacité de leur enseignement. Au départ, leur idée n'est donc pas de créer des "savoirs", fussent-ils des savoirs pratiques, et encore moins de les diffuser parmi leurs collègues, comme cela est le cas, lorsqu'il s'agit de recherches universitaires, dont l'ambition est plus "universelle". L'idée de base du dispositif d'Aide à la Recherche de Terrain de la M.A.F.P.E.N., était donc d'inciter les enseignants à dépasser le stade de l'expérimentation d'outils dans les classes. Pour y parvenir, il est proposé aux équipes de confronter leurs expérimentations à des apports scientifiques jugés pertinents, en procédant à un questionnement rigoureux de leur démarche. Il semble donc que, pour les responsables du dispositif, ce soit le travail nécessité par le passage de l'expérimentation d'outils à la constitution d'un objet de recherche, qui soit considéré comme étant formateur. C'est du moins ce qui apparaît à la lecture des bilans de Universités d'Eté.

Par la suite, certains auteurs ont émis des réserves par rapport à l'efficacité de la recherche, pour la formation des enseignants. Par exemple, Gérard Malglaive est catégorique : ‘"Pour moi, la recherche suppose impérativement un recul par rapport à l'objet ; on doit considérer l'objet comme un objet à étudier et non comme un objet sur lequel on intervient. Ce recul peut être momentané, mais faire les deux en même temps, ce n'est pas possible."’ Et sur la nécessité d'introduire de la recherche dans la formation donnée dans les I.U.F.M., il ajoute : ‘"Je trouve que cette référence à la recherche est un peu une litanie incantatoire et emblématique."’ (Malglaive, 1992, p.137).

Constatant effectivement que ‘"la logique de recherche, production de savoirs, n'est pas celle de la formation, appropriation de compétences"’, d'autres chercheurs ont montré au contraire que ces deux logiques peuvent néanmoins se rencontrer. Ils escomptent de cette rencontre trois effets dominants : l'un sur "l'autonomie de la personne, l'autre sur "l'expertise professionnelle", et le dernier sur "la rationalisation du savoir". (Altet, Fabre, 1994, p.90). On pourrait trouver bien d'autres écrits contradictoires, montrant que ce débat n'est pas encore tranché aujourd'hui.

Si, comme nous l'avons fait pour les dispositifs précédemment étudiés, nous cherchons à situer l'Aide à la Recherche de Terrain, parmi les trois modèles proposés par Huberman, nous sommes tentés de le rapprocher du modèle de "résolution de problèmes", puisque l'intention était d'aider des équipes à résoudre un problème mis en lumière par la pratique quotidienne de la classe. Cependant, quand nous avons étudié la manière dont les choses se sont passées, nous avons constaté qu'en réalité, l'objectif des responsables de ce dispositif était aussi de faire adopter par les équipes les méthodes de la recherche universitaire, avec le risque que la résolution du problème en vienne à occuper une place moins importante que l'acquisition d'une méthodologie de recherche et le respect de la rigueur scientifique. On en vient donc à rapprocher également ce dispositif du modèle "recherche et développement".

Après avoir étudié ce dispositif, basé sur la pratique de la recherche comme moyen de la formation, nous allons maintenant nous intéresser à une autre innovation de la M.A.F.P.E.N. de Lyon : le Réseau d'Entraide Pédagogique de l'Ain.