4.7. Le Perfectionnement Des Intervenants-Conseils

Le responsable de ce dispositif présente ainsi la nécessité de ce perfectionnement : ‘"La formation ne se réduit pas à des problèmes strictement pédagogiques : les formateurs ne sont pas seulement des spécialistes de savoirs appris et de techniques où ils sont entraînés ; ils doivent encore être en mesure d'analyser et d'identifier les conditions sociales et humaines de leur activité, afin de la mieux élaborer et de lui donner des significations plus claires et plus complètes’ 195 ." L'orientation donnée à cette formation se démarque d'emblée des deux formations de formateurs qui se sont déroulées dans la période précédente. La formation "pédagogique" des formateurs est donc considérée comme acquise, et le perfectionnement proposé consistera ‘"à développer une réflexion sur leurs propres pratiques"’. Pour le responsable de cette formation, cette réflexion devra permettre aux intervenants-conseil d'acquérir cinq compétences, que nous allons maintenant examiner.

Tout d'abord, cette réflexion devra permettre aux formateurs de pouvoir ‘"approfondir leur compréhension du fonctionnement des établissements scolaires et des processus qui s'y développent."’ Ce premier axe situe d'emblée la formation proposée dans le cadre de l'action que ces formateurs auront à mener dans les établissements, dont ils devront connaître le fonctionnement, pas seulement de manière théorique à partir des textes qui le régissent, mais surtout en profondeur.

Ensuite, la réflexion sur les pratiques devrait permettre aux formateurs de ‘"clarifier les options qu'ils prennent dans la conduite de leur action en fonction de leur rôle, leur statut et leur position, à réfléchir à l'utilisation de la formation dans l'éducation nationale et la vie professionnelle."’ On souligne ici la nécessité pour les formateurs, de prendre en compte le lien existant entre la manière d'organiser la formation et ses répercutions sur le fonctionnement de l'institution toute entière.

Un troisième aspect de cette réflexion sur les pratiques consistera à ‘"expliciter les fondements théoriques qu'ils donnent à leurs actions"’ . Le perfectionnement proposé s'attachera donc à relier les actions des formateurs sur le terrain à des théories scientifiquement fondées, afin de donner des éléments permettant d'analyser ces actions et de les situer par rapport aux théories existantes.

Le quatrième effet attendu de la réflexion sur les pratiques sera de ‘"se perfectionner dans l'étude des besoins de formation et la mesure des effets de la formation"’ . On attend donc à la fois une meilleure appréhension en amont des actions, en mettant l'accent sur l'analyse des besoins, et aussi en aval, par l'évaluation des effets produits par la formation.

En dernier lieu, la réflexion des formateurs sur leurs pratiques a également pour objectif de leur permettre de ‘"s'entraîner à introduire de la recherche dans les actions de rénovation ou d'innovation menées dans les établissements’ . On voit apparaître ici une dimension qui n'est probablement pas étrangère avec le fait que, lors de la période précédente, on a tenté de mettre en place une Aide à la Recherche de Terrain. Il s'agit également ici de faire évoluer les actions de rénovation et d'innovation sur lesquelles les formateurs travailleront dans les établissements, vers des démarches de recherche.

En ce qui concerne les méthodes utilisées, il est bien évident que la réflexion ne peut que s'appuyer sur ‘"l'étude de situations concrètes rencontrées par les formateurs dans le cadre de leurs actions"’ , puisqu'il s'agit précisément de conduire une réflexion sur ces pratiques. Les caractéristiques de ce perfectionnement des intervenants-conseils situent donc cette formation comme une "analyse de pratiques professionnelles". Il nous semble que cette conception de la formation des formateurs repose sur l'hypothèse que mettre en place une analyse très poussée de leurs pratiques professionnelles rendra les enseignants capables non seulement de faire évoluer leurs propres pratiques pédagogiques, mais surtout le fonctionnement de l'institution. En effet, en favorisant ce travail d'analyse avec des individus occupant une position stratégique, c'est toute l'institution qu'on espère faire bouger, par l'instauration d'un travail au sein de l'établissement, considéré dès lors comme une entité à part entière.

Nous avons rencontré précédemment des tentatives pour introduire dans l'éducation nationale, ce que les psychosociologues appellent l'intervention psychosociologique, par exemple les accompagnements d'équipes pédagogiques proposés par les professeurs d'E.N.N.A., dans les premiers catalogues de formation. Mais ces tentatives étaient restées relativement marginales, et avaient une portée limitée à quelques équipes pédagogiques. En revanche, ce perfectionnement des formateurs représente l'introduction, de manière officielle, de la conception psychosociologique de la formation, au sein de la M.A.F.P.E.N. de Lyon. Les intervenants-conseils étaient tous invités à participer à ces séances. Or les intervenants-conseils étaient les seuls habilités, nous l'avons vu, pour intervenir dans les établissements. L'influence de ce choix fait par la M.A.F.P.E.N. de Lyon est donc importante puisque, à partir de 1986, des interventions-conseils auront lieu dans la plupart des établissements de l'académie.

Les séances de ce perfectionnement se sont donc mises en place comme cela avait été prévu et se sont déroulées pendant environ deux ans. Il a concerné une vingtaine de formateurs‘. "On voyait les choses de manière très psychosocio, clinique,’ " confirme l'un des stagiaires. ‘"C'était toujours centré sur la stratégie à mettre en oeuvre, avec un retentissement institutionnel. (...) On souhaitait vraiment que l'intervention-conseil devienne une affaire d'institution’ 196 ." Le chef de M.A.F.P.E.N. était lui-même très attaché à la réussite de l'intervention-conseil, qu'il espérait voir adoptée au niveau national, comme en témoigne l'article qu'il a signé dans la revue Education permanente. (Bouvier, 1988) Il suivait donc de près l'évolution du dispositif de perfectionnement des formateurs.

Cependant, dans le rapport d'activité déjà cité sur le S.F.I.E.197, rendu au chef de mission en mars 1987, on note que ‘"les groupes de suivi et de perfectionnement semblent susciter quelques insatisfactions chez certains."’ (p.4). Cette insatisfaction n'a fait que croître par la suite, puisqu'au bout de deux ans de fonctionnement, les participants ont demandé le départ du responsable, départ qui a mis un terme au fonctionnement de ce dispositif‘. "Au terme de cette formation,"’ ‘ dit l'un des participants, ’ ‘"les choses s'étaient relativement exacerbées, parce qu'il n'admettait que très difficilement des écarts, des décalages, et que les conflits étaient patents, et qu'il était difficile de les gérer (...) Sur cette question du devenir du projet de l'intervention-conseil, de son inscription institutionnelle et de la pérennisation de cette fonction, toute hétérodoxie était difficilement supportable pour lui’ 198 ." Et ce participant parle d'une ‘"analyse de pratiques qui vire au psychodrame hebdomadaire."’

Le responsable de la formation analyse les choses autrement : ‘"Je crois qu'il y avait une résistance, je n'aime pas dire institutionnelle, mais pourtant elle est institutionnelle, parce que ce n'était pas seulement des individus, là. Pour beaucoup d'entre eux, on est d'ailleurs très copains, comme JB, c'est une résistance de l'organisation, de ses structures ; elle se sentait menacée, bien que j'aie essayé de n'être jamais menaçant, et même souvent j'étais en deça de l'analyse qui aurait pu être faite, par prudence’ 199 ." Pour lui donc, les individus résistaient parce que, se sentant membres de cette organisation dont ils étaient donc solidaires, ils se sentaient attaqués à travers les critiques qui pouvaient être faites à cette organisation. Il considère donc ce conflit comme le révélateur de la difficulté qu'il y avait à être à la fois formateur et enseignant. ‘"Pour le formateur, il reste toujours la référence au prof qu'il a été, parce qu'il n'a pas de statut ; le seul statut qu'il a, c'est celui de prof’ 200 ."

Ce conflit nous semble mettre en lumière une nouvelle fois une difficulté importante, sans doute même la plus importante, non seulement dans le domaine de la formation des formateurs, mais également dans celui de la formation des enseignants, difficulté qui est celle de la "double compétence" qui leur est nécessaire. En effet, ils doivent posséder à la fois des compétences académiques dans leur discipline, mais également des compétences dans le domaine des science humaines, psychologie, sociologie, psychosociologie. Ces deux types de compétences sont acquises séparement, et tout le problème est de savoir comment un individu peut réaliser la synthèse des compétences qu'il a acquises souvent de façon disparate. Lui faut-il réaliser cette synthèse par lui-même, ou bien est-ce le rôle de la formation que de lui permettre d'effectuer cette synthèse ? En tout état de cause, c'est bien cette double compétence qui était attendue des intervenants-conseils ; on pourrait même parler de compétences multiples. Il n'est pas certain que le perfectionnement proposé ait fait l'unanimité, quant à sa capacité à résoudre ce problème.

Quoi qu'il en soit, pendant ces deux années, l'intervention-conseil s'est installée à la M.A.F.P.E.N. de Lyon et a touché la majorité des établissements de l'académie. Il est certain que l'attachement du chef de mission à cette formule y a été pour beaucoup. Quant au perfectionnement des intervenants, il a bien entendu évolué grâce à des apports théoriques nouveaux, en particulier d'origine sociologique. Nous n'étudierons pas l'évolution ultérieure de ce dispositif puisque, comme nous l'avons déjà dit, nous avons choisi de limiter cette étude à la première période de la M.A.F.P.E.N.

Notes
195.

Cf annexe n°6 : Devarieux (1986)

196.

Entretien LJ, du 10/06/98.

197.

Cf annexe n°6 : S.F.I.E. (1987)

198.

Entretien LJ, du 10/06/98

199.

Entretien EV, du 26/06/97

200.

ibid.