1.2.2. Les Effets Sur Les Enseignants

Les effets positifs annoncés par les cinq équipes sont attribués unanimement à la pratique du travail d'équipe. Les descriptions du travail de recherche, faites par les différentes équipes interrogées, permettent de constater qu'elles procèdent toutes de la même façon : le travail de l'équipe est consacré à la création d'outils expérimentés en classe et améliorés ensuite au fil des réunions de l'équipe. Les équipes déclarent avoir apprécié l'aide que leur a apportée la M.A.F.P.E.N., qu'il s'agisse de l'accompagnement régulier de l'équipe par un formateur, ou qu'il s'agisse des universités d'été auxquelles elles ont participé.

Ainsi, toutes les équipes constatent que la présence de l'accompagnateur leur a permis d'être plus efficace. On signale même que ‘"au départ, les gens n'avaient pas tellement besoin de l'extérieur ; ils avaient l'impression qu'ils pouvaient gérer leur travail complètement, alors que maintenant..." ’(entretien n°5, p.20). Les enseignants ont donc pu mesurer l'efficacité de la présence d'un accompagnateur extérieur, pour le travail d'une équipe. Voilà donc déjà un premier effet qui nous semble positif.

Les enseignants interrogés attribuent à ce travail d'équipe, d'autres effets positifs, situés dans trois domaines distincts. Le premier est celui de la connaissance qu'ont les enseignants de la manière dont les élèves apprennent. ‘"On découvre maintenant à quel point on connaissait mal les élèves avant"’ , dit un enseignant (n°1; p.15). D'autres signalent un "renversement" dans leur connaissance de l'apprentissage, et précisent : ‘"Dans un premier temps, nous étions centrés sur nous-mêmes : nous, professeurs, nous allons vous dire comment on apprend une leçon (...), et dans un deuxième temps, c'est peut-être à l'élève à découvrir quelle est sa méthode."’ (n°3, p.6). L'un déclare avoir découvert ainsi la nécessité de mettre les élèves en activité, (n°3, p.6) ; un autre, l'utilité de faire apprendre un certain nombre de choses par coeur, alors qu'auparavant il trouvait cela rétrograde (n°3, p.10). Une équipe, après avoir mis au point des méthodes pour les élèves en difficultés, découvre ‘"que cette pédagogie mieux adaptée à des élèves en difficultés, est également mieux adaptée à des enfants qui marchent bien."’ (n°2, p.4).

Outre la meilleure connaissance des élèves qu'apporte le travail d'équipe, les enseignants signalent que celui-ci les a obligés à améliorer leur manière personnelle de travailler. A travers des actions menées avec l'équipe, certains éprouvent la nécessité d'être plus rigoureux, de ne rien laisser au hasard. En effet, lorsqu'ils n'ont pas suffisamment préparé une action avec l'équipe, ils constatent qu'elle a moins d'impact (n°5, p.20). Dans le même sens, un autre déclare avoir pris conscience de l'importance d'une bonne organisation matérielle (n°4, p.9). D'autre part, tous ressentent la nécessité d'évaluer le travail de l'équipe. ‘"On ressentait très fort le besoin d'évaluer notre travail, mais on ne se rendait pas compte quels étaient les bons indicateurs"’ (n°5, p.11), dit une équipe. Le travail d'équipe leur a également permis de reconnaître la nécessité d'expliciter toujours davantage leurs attentes par rapport aux élèves, (n°4, p.8), ainsi que leurs propres critères d'évaluation des élèves (n°1, p.8), qu'ils essaient ‘"d'harmoniser dans les différente disciplines."’ (n°1, p.5). Enfin, une autre équipe déclare avoir changé le fonctionnement du conseil de classe : ‘"Pour le conseil de classe, il y a une réunion préalable avec les professeurs qui préparent l'appréciation générale (...), et c'est la base de discussions avec les groupes ’ ‘[d'élèves]’ ‘. On peut modifier cette appréciation générale." ’(n°1, p.5).

Enfin, le troisième domaine dans lequel les enseignants déclarent avoir appris, grâce à la recherche effectuée en équipe, est celui de la connaissance des autres enseignants. ‘"C'est qu'on a appris à se connaître, non pas en tant qu'individus, mais en tant que professionnels d'une discipline. (...) Pour moi, ça a été vraiment très, très positif d'apprendre à connaître le travail des autres disciplines."’ (n°5, p.6). Certains constatent qu'un nouveau type d'interactions s'instaure entre les membres de l'équipe : ‘"Un prof de physique pouvant donner une idée à un prof de français, il y a trois ans, c'était inconcevable."’ (n°5, p.25). Tous les entretiens montrent donc que le travail en équipe autour d'un projet de recherche est en lui-même formatif. ‘"Ce qui me paraît important, c'est cet aspect-là... Il y a une collaboration, une mise en commun d'un certain nombre de données... Chaque prof apporte ses idées, ses observations, positives ou négatives."’ (n°5, p.15). La collaboration peut aller encore plus loin : ‘"Maintenant on prépare des cours en commun ; de multidisciplinaire, c'est devenu plus interdisciplinaire, c'est-à-dire que, dans cette option, il y a souvent trois ou quatre profs qui sont présents. On va aux cours des autres, on est à la fois enseignant et enseigné."’ (n°1, p.14). Le travail en équipe de recherche de terrain semble tellement important qu'ils concluent : ‘"A la limite, nous, nous pensons que ce que nous faisons comme travail d'équipe, c'est ce qu'on devrait faire ; ça devrait être institutionnalisé."’ (n°1 , p.15).

Les effets sur les enseignants, dans les trois domaines que nous venons de repérer, nous semblent montrer clairement que le travail d'équipe les a aidés à devenir de meilleurs professionnels de l'enseignement. Constatons également que cette énumération d'effets laisse apparaître clairement que ce ne sont pas les résultats des recherches qui sont les plus instructifs - il en est d'ailleurs assez peu question dans les entretiens - mais bien le travail de recherche lui-même. Le produit de la recherche importe moins que le processus lui-même, car c'est lui qui est formatif.

Cependant les enseignants interrogés signalent également des difficultés, qui ne sont pas forcément celles qu'on aurait pu attendre. Par exemple, les équipes ne disent pas que le travail en équipe leur fait perdre du temps ; ils attribuent d'ailleurs ce fait à la présence de l'accompagnateur : ‘"Au lieu de multiplier les réunions, ce qui éloignait pas mal de gens (...), on a fait des réunions beaucoup moins fréquentes, mais beaucoup plus efficaces.(...) Les gens avaient l'impression qu'on investissait beaucoup de temps pour peu d'efficacité (...), or maintenant, c'est un petit peu le contraire."’ (n°5, p.4-5). En revanche, plusieurs équipes trouvent que la M.A.F.P.E.N. les sollicite trop, soit pour des réunions, soit pour fournir des compte-rendus, dont elles ne voient d'ailleurs pas l'intérêt, car elles pensent que ce qu'elles font ne peut pas servir à d'autres, n'est pas généralisable. Elles ne considérent pas la rédaction de ces compte-rendus ou ces réunions, comme des occasions de faire le point, il ne semble pas d'ailleurs que la M.A.F.P.E.N. leur ait présenté les choses de cette façon.

Toujours au sujet de ces réunions, certains sont critiques ‘: "On n'a pas compris la formulation de l'ordre du jour de cette réunion de l'A.R.T. (...) On s'est senti en décalage avec un discours théorique qui nous échappait."’ (n°5, p.10). Nous avons vu que les responsables souhaitaient que les équipes passent du stade de l'expérimentation à celui de la recherche, par adoption d'une méthodologie rigoureuse. Or les réflexions citées ici révèlent un certain décalage entre cette volonté des responsables et les équipes. Pour ces dernières, l'important était de trouver des outils intéressants pour la pratique quotidienne, et elles ne comprenaient pas toujours, on vient de le voir, le sens de l'exigence de rigueur des responsables.

Outre les effets du travail en équipe de terrain sur les enseignants, dont nous venons de parler, nous avons recherché si ce travail avait également eu des effets sur l'établissement.