1.2.4. Les Effets Sur Les Élèves

L'une des équipes a mis en place, pour chaque élève, des "fiches-navettes" qui répertorient les objectifs atteints ou non-atteints par l'élève. Or les enseignants constatent : ‘"On a une classe particulièrement rétive à tout ce qui est ordre, organisation, institution. (...) Je me suis dit : ces fiches, ils vont les perdre ; ils vont trouver que c'est quelque chose de contraignant. Eh bien, à la fin de l'année, pratiquement aucune fiche n'a été perdue. (...) Ils n'ont jamais leur cahier de textes, (...), ils rendent jamais leurs devoirs en même temps..., mais la fiche, ils l'ont tout le temps sur eux !" ’(n°1, p.6). Cette constatation nous semble donc indiquer que la mise en place de cet outil, élaboré dans le cadre de la recherche, a permis aux élèves concernés de devenir plus autonomes par rapport à leur travail scolaire.

Cette équipe qui a également mis en place des conseils de classe "éclatés", de manière à ce que chaque élève puisse y participer et pas seulement les délégués de classe, a pu ensuite constater : ‘"On a rencontré beaucoup plus les familles que nous ne les rencontrions avant."’ (n°1, p.4). Un autre effet de ce travail a donc pu être repéré : une plus grande implication des familles.

Cette même équipe fait également état d'autres effets de ces conseils de classe "éclatés". En effet, ils rapportent que le chef d'établissement ‘"a essayé de suivre, de reprendre les dossiers du passé et de suivre les élèves après, de voir ce qu'ils étaient devenus. (...) Son sentiment, c'est qu'il y avait moins de problèmes après, avec les élèves qui étaient passés par là, du point de vue de l'orientation."’ (n°1, p.12). Cependant, ils s'inquiètent également d'effets qu'ils qualifient de "pervers" : ‘"Se sentant protégés, compris, etc..., les élèves jouaient un peu aux enfants gâtés. (...) Les élèves se disent que, puisque c'est une classe expérimentale, ils passeront forcément. (...) Enfin, ils se font un peu des illusions (...) Comme si on allait les protéger jusqu'au bout, leur procurer une bonne sortie."’ (n°1, p.11).

Dans un deuxième établissement, la recherche a porté sur deux classes, dont une était constituée d'élèves en échec scolaire. Les enseignants disent : ‘"Les enfants qui étaient en échec scolaire nous ont étonnés, parce que ce sont eux qui ont travaillé avec le plus de régularité pendant toute l'année, y compris la fin de l'année, quand il y a une espèce de flottement dû à la fin de l'année (...) C'est vrai que la fin de l'année s'effiloche et les élèves de cette classe ont travaillé plus sérieusement jusqu'au bout." ’(n°2, p.10). Voilà, nous semble-t-il, un indicateur d'une remotivation de ces élèves en difficultés, due au travail de l'équipe.

Dans un autre établissement encore, les enseignants mettent en place un groupe de travail autonome, dans lequel ils encouragent l'entraide entre élèves. Ils constatent que ‘"beaucoup d'enfants qui ont participé à ce groupe de travail avaient récupéré quelque part une certaine confiance en eux-mêmes." ’(n°4, p.14). Evidemment, cette constatation peut être considérée comme subjective, mais elle est faite par l'équipe des enseignants et non par un seul.

Dans le dernier établissement, la recherche portait sur trois classes. Les enseignants ont pu se rendre compte de plusieurs façons, de l'impact du travail de l'équipe. Tout d'abord, ils ont constaté que, dans ces classes, certains élèves leur disaient : ‘"Ah oui, ça, on a appris à le faire en français" ; ou bien "Ah oui, on a appris à faire cela en anglais, on peut donc le faire en sciences.’ " (n°5, p.7). Une meilleure cohérence entre les enseignants est perçue par les élèves, et leur permet de faire le lien entre les différentes disciplines qu'on leur enseigne, ce qui les aide à trouver du sens à leur travail scolaire. D'autre part, ils disent également ‘:’ ‘ "Les conseillers d'éducation nous ont toujours dit que dans ces trois classes, il n'y a pratiquement pas d'absentéisme, beaucoup moins que dans les autres classes."’ (n°5, p.10). Ce fait constitue un autre indicateur non négligeable et qui de plus nous semble assez objectif, d'un effet du travail d'équipe sur ces trois classes.

Nous avons donc relevé, dans ces transcriptions d'entretiens, un certain nombre d'indicateurs montrant que des effets se sont produits. Bien que nous ne disposions d'aucune mesure quantitative de ces effets, il nous semble que, dans la plupart des cas, les indices prélevés par les enseignants permettent d'en montrer la réalité.

On a pu constater que les effets repérés aussi bien sur les enseignants que sur l'établissement, mais aussi sur les élèves, semblent en fait surtout résulter du travail d'équipe. Cela peut laisser penser qu'ils ne sont pas liés directement à l'objet même de la recherche, mais plutôt au fait que la recherche s'est faite en équipe. Nous ferons remarquer que, lorsque des enseignants travaillent en équipe, ils ne le font que pour chercher : chercher de nouveaux outils à mettre en place ; chercher comment améliorer le climat d'une classe ; chercher comment mieux aider les élèves ; chercher comment présenter telle ou telle notion ; etc... "Travail d'équipe" et "recherche" nous semblent donc intimement liés, même si le mot "recherche" ne désigne pas toujours un processus aussi rigoureux que les universitaires le souhaiteraient, ni surtout n'utilise pas le "jargon" auquel ceux-ci sont habitués. Le travail des équipes de terrain est principalement orienté vers l'efficacité des outils qu'elles expérimentent, et elles admettent difficilement d'avoir à s'imposer cette rigueur et surtout ce jargon, dont elles ne perçoivent pas toujours la nécessité. Même si le travail de l'équipe ne porte pas le titre officiel de "recherche", parce qu'il n'est pas forcément effectué de manière orthodoxe, il nous semble néanmoins que, dans une équipe, on ne peut pas faire autre chose que chercher, mais chercher en confrontant les points de vue. Les effets repérés plus haut sont imputés par les enseignants au fait qu'ils ont travaillé en équipe sur leurs recherches, et comme la M.A.F.P.E.N. a encadré ces recherches, nous pensons donc pouvoir dire que son action a contribué à ce que ces effets se produisent.

L'analyse de ces entretiens a montré, s'il en était encore besoin, combien il est difficile de cerner les effets d'une action sur les élèves, alors qu'il semble possible de repérer ceux qui concernent les enseignants. Voyons maintenant si l'institution elle-même a cherché à le faire. Pour cela, nous nous intéresserons aux travaux d'un groupe, mis en place en 86 à la M.A.F.P.E.N. de Lyon : le G.E.T.E.D. (Groupe d'ETude des Effets du Dispositif M.A.F.P.E.N.)