2.2. Le Collège Jean De Tournes, À Fontaines Sur Saône

2.2.1. La Mise En Place D'équipes Pédagogiques

Ce collège est situé dans une petite ville qui jouxte Lyon. Au début des années quatre-vingts, il scolarise une population dont la majorité vit en zone résidentielle. Il y a bien entendu des familles socialement plus défavorisées, mais à l'époque cela ne représente guère plus d'un quart des familles, selon une enseignante du collège. Une dynamique a commencé à se créer dans ce collège, avant même que le Rectorat ne lance l'opération Rénovation des collèges. Pendant l'année 1981-82, se produisent ‘des "perturbations dans le collège, dues aux élèves de C.P.P.N."’. Le chef d'établissement réunit alors en assemblée générale les parents d'élèves, les enseignants, les personnels de service, pour chercher ensemble une solution.

Cette volonté d'identifier les problèmes et d'accepter le constat qui est fait, n'était pas très fréquente à l'époque. Au contraire, dans les collèges de ce type dont la population n'est pas particulièrement difficile, ce genre de problème était le plus souvent ignoré, voire totalement nié, quand il n'était pas imputé à l'incompétence supposées des enseignants. ‘"Déjà, dire qu'on avait une difficulté, c'était nouveau,"’ ‘ dit un enseignant de l'équipe. ’ ‘"Avec les C.P.P.N., on ouvrait les portes des classes, pour bien montrer qu'on n'était pas mis en cause personnellement, mais qu'il y avait de réelles difficultés, qui nous dépassaient’ 220 ." L'attitude adoptée ici, accepter de considérer qu'il existe un réel problème, nous semble un prélable indispensable pour pouvoir commencer à rechercher des solutions. Pour une enseignante du collège, cette attitude vient essentiellement de la façon dont le chef d'établissement ‘les "a fait réagir sur le problème des C.P.P.N.’ 221 ", entraînant les différents partenaires dans la recherche de solutions.

Pour tenter de résoudre le problème, ‘"le conseil d'administration décide que la classe de C.P.P.N. sera prise en charge par une équipe de professeurs volontaires, se concertant ’ ‘sur leur temps de travail’ ‘, avec l'aide d'un psychopédagogue."’ (Collège Fontaines, 1993). Cette décision du conseil d'administration sera effectivement mise à exécution au cours de l'année scolaire 1982-83.

On voit que cette décision constitue une innovation, à double titre. La première innovation réside dans la décision du conseil d'administration de permettre aux enseignants concernés, de se concerter sur leur temps de travail. Cela n'était pas du tout courant à l'époque et ne l'est d'ailleurs toujours pas... Quant à la deuxième innovation, elle est constituée par le fait que le chef d'établissement propose l'aide d'un psychopédagogue pour accompagner le travail de l'équipe. Ayant eu connaissance des travaux effectués par les psychopédagogues de l'E.N.N.A., c'est à l'un d'eux qu'il fait appel, pour assurer cet accompagnement. L'un des enseignants, membre de cette "équipe C.P.P.N.", raconte : ‘"C'était la première fois qu'on bossait avec quelqu'un d'extérieur, qui suivait régulièrement ce qu'on faisait. Il venait une fois par semaine, et on faisait le point avec lui sur ce qu'on avait fait dans la semaine." ’ ‘Et il ajoute : ’ ‘"Ce qui m'avait frappé, c'est qu'il n'intervenait jamais sur le fond. Dans ma tête, dans ma représentation de l'époque, quelqu'un qui venait nous aider, c'était pour nous donner des conseils, pour faire un cours, pour nous enseigner quelque chose. Lui, il intervenait sous forme d'explicitation de ce qui se passait dans nos cours, à partir de ce que nous disions, une sorte de Balint quoi. Pour moi, cela avait vraiment été une découverte’ 222 ." On retrouve donc ici le type d'accompagnement d'équipe mis en place par les psychopédagogues de l'E.N.N.A., dès la fin des années soixante-dix, et dont nous avons parlé au début de ce travail. Ce sont eux, nous l'avons dit, qui ont introduit à la M.A.F.P.E.N. de Lyon, le travail d'analyse de pratiques de type Balint. Le travail que l'un d'eux a conduit avec l'équipe de C.P.P.N. de ce collège n'a d'ailleurs pas tardé à porter ses fruits, comme nous le verrons plus loin.

Si nous avons décrit ce travail fait avant l'existence de la M.A.F.P.E.N., c'est parce qu'il a été un point de départ et a joué un rôle important dans ce qui s'est ensuite mis en place au collège de Fontaines sur Saône. En effet, l'année suivante, selon une enseignante du collège, ‘"des gens qui n'étaient pas concernés par le projet C.P.P.N., ont eu envie aussi de faire quelque chose du même genre. On pourrait dire qu'il y a eu tache d'huile, dans le sens où le fait de voir qu'il se passait des choses positives dans cette classe de C.P.P.N., a conduit d'autres collègues à vouloir travailler avec les mêmes moyens que l'équipe de C.P.P.N. : se concerter, se fixer des objectifs’ 223 ." Trois équipes d'enseignants volontaires vont ainsi se constituer pour réfléchir sur la gestion de l'hétérogénéité des élèves en sixième, autour d'un projet intitulé "Vivre mieux et réussir sa sixième". Ces équipes seront également encadrées, pendant l'année 83-84, par deux psychopédagogues de l'E.N.N.A., mais cette fois dans le cadre d'un stage proposé dans le P.A.F. de 1983-84, sous le titre "Concertation pédagogique interdisciplinaire autour d'une classe", stage que nous avons étudié dans la troisième partie de ce travail. Il se constitue donc ainsi dans ce collège plusieurs équipes d'enseignants, accompagnées par des formateurs ayant une longue expérience de cet accompagnement.

Pendant cette même année scolaire, avait eu lieu la journée nationale de mars 83, au cours de laquelle les établissements devaient organiser une réflexion sur le projet de rénovation des collèges, à partir des propositions de la commission Legrand. Cette occasion donnée à l'ensemble des personnels des collèges, de se réunir, avec les parents d'élèves, pour envisager l'élaboration d'un projet de rénovation va trouver un écho favorable dans ce collège, où l'idée va faire son chemin. Tout au long de l'année suivante, la réflexion se poursuivra et aboutira à la création, au printemps 84, de commissions de travail constituées de parents, de professeurs, d'élèves et de représentants de l'admistration. Ces commissions vont se réunir pour ‘"mettre en forme un projet d'établissement, ayant pour objectif la réussite et l'autonomie des élèves, grâce à l'évaluation formative, l'élaboration d'un projet d'orientation personnel et la concertation entre professeurs’ 224 ."

Comme cela se faisait systématiquement nous l'avons dit, deux membres de la cellule d'appui de la M.A.F.P.E.N. vont alors venir dans l'établissement, pour proposer une aide à l'élaboration du projet et pour recenser les besoins en formation. ‘"Quand ils sont venus, on était tous réunis, tout l'établissement, on a fait des groupes de travail. Alors que l'élaboration du projet était portée par un groupe de personnes plus restreint, leur venue a été une façon de mettre tout le monde dans le coup, et d'envisager, avec l'ensemble des collègues, sur quoi on allait travailler précisément’ 225 ." L'intervention de la cellule d'appui a donc permis un élargissement du projet de rénovation à tout l'établissement. Il nous semble que c'est à partir de ce moment-là que ce projet de rénovation est devenu un projet d'établissement, puisque l'ensemble de l'établissement était concerné. On ne trouve pas trace, dans ce collège, d'un long travail d'aide à l'élaboration du projet lui-même, par la M.A.F.P.E.N., comme cela a été le cas dans d'autres établissements. On peut faire l'hypothèse que l'existence du travail d'équipe qui s'était installé progressivement pendant les deux années précédentes, n'a pas été étrangère au fait que le personnel de l'établissement ait pu élaborer ce projet d'établissement de manière autonome, avec relativement peu d'aide extérieure.

Néanmoins, le personnel de l'établissement décidera de ne pas demander immédiatement à ce que le collège entre officiellement en rénovation. ‘"On était déjà dans notre travail de mise en projet, mais on était méfiant dans le fait de rentrer dans l'institution, et donc on est entré en rénovation seulement en 85. (...) C'est assez curieux, il y a eu une certaine méfiance vis-à-vis du fait de devenir un collège en rénovation’ 226 ," dit un professeur et elle explique cette méfiance en disant : ‘"On se sentait plus libre en travaillant dans le collège."’ Ce professeur se montre aujourd'hui surprise de cette méfiance qu'elle éprouvait aussi elle-même à l'époque, d'autant plus que les nombreux P.E.G.C. exerçant alors dans ce collège auraient ainsi pu bénéficier plus tôt de la réduction d'horaire qui accompagnait l'entrée en rénovation.

Notes
220.

Entretien GG, du 29/10/97.

221.

Entretien CK, du 12/11/97.

222.

Entretien GG, du 29/10/97.

223.

Entretien CK, du 12/11/97.

224.

Entretien CK, du 16/11/97.

225.

ibid.

226.

ibid..