2.2.4. Les Effets Dans L'établissement

Nous avons vu que, dans ce collège, les actions de la M.A.F.P.E.N. ont été nombreuses et variées. Le travail effectué avec les psychopédagogues de l'E.N.N.A. a permis notamment aux enseignants d'améliorer la vie des classes. Par exemple, ils pratiquaient les ‘"séances petites tables" : quand il y avait un problème dans une classe, on réunissait tous les élèves ; tous les profs disponibles venaient ; les élèves se mettaient par petits groupes, et les profs passaient d'un groupe à l'autre ; il y avait une écoute réciproque et aussi on essayait de sortir une sorte de contrat profs-élèves’ 231 ." Ce travail, effectué au sein même du collège, a donc permis de mettre en place de nouvelles pratiques, comme par exemple la préparation du conseil de classe avec toute la classe, ou encore un travail sur les objectifs d'apprentissage. ‘"On avait institué une évaluation en pourcentage de réussite, pour l'évaluation en cours d'apprentissage : le conseil des profs fixait des objectifs aux élèves, pour la période à venir, à partir d'une liste-type d'objectifs ; les profs en discutaient. Les séances du jeudi permettaient aux élèves de discuter pour préparer leurs objectifs, et aussi de réfléchir à la manière d'atteindre ces objectifs. C'était des choses très simples. Et aussi, on suscitait la mutualisation, ils en discutaient entre eux’ 232 ." Voilà donc quelques effets, à la fois sur les enseignants et sur la vie des classes et donc des élèves, que nous avons pu repérer.

Outre ce travail qui a contribué à instaurer la concertation dans le collège, d'autres types de formation ont permis aux équipes de se consolider. Pour l'un des professeurs qui y a participé, ‘"les stages de Pédagogie Générale ont intéressé beaucoup de gens du collège, et cela a contribué à former l'équipe. Dans le stage que j'ai fait, on devait être huit ou dix profs du collège. A travers ce travail de stage, on a commencé à travailler sur nos pratiques. C'est cela qui était nouveau. Pour moi, je trouve que ces stages m'ont été extrêmement bénéfiques, parce que ce n'était pas seulement de la causerie, mais on repartait de nos propres démarches’ 233 ." Elle dit également : ‘"Cela m'a beaucoup appris ; maintenant je m'en sers encore dans mon travail."’ En leur permettant d'expérimenter dans leurs classes ce qui était proposé en stage, ce type de formation a suffisamment rassuré les enseignants pour qu'ils puissent commencer à mettre en place de nouveaux outils, outils d'évaluation, outils d'aide à l'apprentissage, etc...

Comme nous l'avons vu, ces expérimentations d'outils se sont ensuite transformées en recherches de terrain, lorsqu'on a cherché à perfectionner ces outils, à tenter de comprendre pourquoi ils ne donnaient pas toujours les résultats attendus. Là, il s'agissait encore de travailler en équipe, comme nous l'avons vu. Non seulement les professeurs y trouvent des bénéfices, mais des effets de ce travail ont pu être repérés : ‘"cela a été formateur à différents niveaux, à la fois dans ma façon de travailler avec les élèves, de les faire travailler, mais aussi dans ma façon de travailler avec les collègues. Le travail d'équipe, ce n'est pas inné. On a appris à mettre en commun un certain nombre d'observations, à se donner des objectifs ensemble, par rapport à ce qu'on faisait avec les élèves. On construisait des outils ensemble, on les utilisait, puis on revenait avec ce que cela avait permis, avec les limites qu'on avait senties, ou les difficultés que cela nous avait posées. Dans ce sens-là, ça a été formateur. Mais cela l'a été aussi dans le sens où on a fait beaucoup d'aller-retour entre la pratique et les théories. En fait, on découvrait certaines théories, qu'on avait découvertes en stage ; mais là on le faisait vraiment sur le terrain. Par exemple, se donner tel ou tel objectif d'apprentissage, arriver à formuler des question sur les élèves, arriver à savoir ce qu'on attendait précisément de l'élève quand on lui posait certaines questions, ou bien définir ce que l'élève devait être capable de faire à la fin de tel apprentissage. Et puis, je crois aussi que cela a été une vraie écoute des élèves, et moi j'ai beaucoup, beaucoup appris sur la démarche des élèves. Par exemple, on sait bien qu'en grammaire française, on réapprend tous les ans la même chose, et moi, cela m'a appris que chacun apprend non seulement à sa façon, mais aussi à son moment’ 234 ." Parmi les apports qui sont ici repérés par le professeur, on peut distinguer ceux qui sont dus à la démarche de recherche de terrain elle-même ; ils sont essentiellement constitués par ces aller-retour entre la théorie et la pratique qui sont décrits ici ; en ce sens, ce travail est formateur pour les enseignants qui le pratiquent. Mais elle décrit d'autres effets qui sont dus à la nature de l'objet de la recherche ; il s'agissait de trouver des outils pour aider les élèves à apprendre, et on s'est rendu compte que, pour cela, il était nécessaire de comprendre le mieux possible comment les élèves apprennent ; ce deuxième aspect a été un autre apport de ce travail de recherche pour les enseignants, et leur a permis de mieux aider les élèves dans leurs apprentissages.

L'évolution ultérieure du projet de ce collège montre également une volonté d'évaluation, puisqu'une commission d'évaluation a été créée peu de temps après la mise en oeuvre effective du projet. On se souvient que la plupart des professeurs de l'établissement ont suivi la formation en Pédagogie Générale, avec en particulier un stage sur l'analyse par objectifs et l'évaluation, au début de l'année scolaire 84-85. Il nous semble que la présence précoce dans ce collège de cette volonté d'évaluer le projet peut être considérée comme un des effets de ce stage, les enseignants ayant été sensibilisés à l'évaluation à cette occasion, et s'étant appropriés alors des outils d'évaluation.

Les différentes études que nous avons faites montrent que les actions de la M.A.F.P.E.N. ont contribué à introduire des changements dans les collèges, en particulier lorsqu'un projet d'établissement a pu être élaboré et mis en oeuvre. Cette constatation a également été faite par Jean-Pierre Obin et Anita Weber qui, effectuant en 1987 une synthèse des documents d'évaluation existants, pouvaient écrire : ‘"La plupart des observateurs s'accordent pour dire que des modifications réelles sont intervenues dans les collèges ayant élaboré un projet. Le climat, l'atmosphère des établissements semblent s'être généralement améliorés. (...). Des équipes pédagogiques se sont constituées et des pratiques de travail collectif se développent. On note une élévation du niveau de la réflexion individuelle et collective." En revanche, ils constatent, comme nous l'avons fait, que "les effets sur les résultats scolaires des élèves demeurent incertains. On ne peut encore parler d’élévation du niveau des élèves, " ’ ‘mais ils ajoutent néanmoins que’ ‘ "pour les plus faibles, on enregistre un net gain du point de vue de l'intégration."’ (Obin et Weber, 1987, p.60). Il semble donc indéniable que le travail fait par la M.A.F.P.E.N. auprès des établissements a contribué à produire des effets sur le fonctionnement de ceux-ci.

Pour tenter d'approcher d'une autre manière cette difficile évaluation des effets, nous allons maintenant étudier ce qui est aujourd'hui institutionnalisé, parmi les idées qui ont émergé pendant la période 82-87.

Notes
231.

Entretien CK, du 12/11/97.

232.

ibid.

233.

ibid.

234.

Entretien CK, du 03/12/97.