Des Projets D'établissement "signifiants"

Un autre domaine nous semble représenter un chantier important, c'est celui du projet d'établissement, que la loi de 1989, nous l'avons vu, a rendu obligatoire dans chaque établissement scolaire. Qu'en est-il réellement de ces projets ? Comme le constate un ouvrage récent sur les projets d'établissement des collèges, ‘"tout le monde s'accorde pour dire : "Les projets d'établissement ? Ce n'est que du papier". (...) Autrement dit, le document écrit, voté par le Conseil d'administration ne vaudrait que par son inconsistance du point de vue des actions réellement menées dans le collège. Et il est vrai que rien ne prouve le contraire."’ (Devineau, 1998, p.7). Il semble bien que, dans beaucoup de cas, on en soit encore au stade du "projet mosaïque", c'est-à-dire du projet constitué par l'assemblage de Projets d'Action Educative proposés de manière dispersée, par des petits groupes d'enseignants, voire par des enseignants isolés. Il relève alors de l'habileté du chef d'établissement de trouver une cohérence à tout cela, ce qu'il fait généralement en se référant aux objectifs généraux définis nationalement ou académiquement. Ces objectifs sont heureusement tellement généraux qu'il est aisé de leur faire couvrir l'ensemble des P.A.E. de l'établissement, même lorsqu'il n'y a aucun lien entre eux. Mais ces projets sont-ils vraiment "signifiants" ? On peut se demander si leur existence n'est pas un leurre.

Un certain nombre d'hypothèses sont faites sur la lenteur dont fait preuve la notion de projet d'établissement pour s'imposer. Il y a dix ans, Jean-Pierre Obin et Anita Weber avançaient déjà que ‘"seuls des projets d'établissement "insignifiants" peuvent voir le jour en l'absence d'une politique et d'objectifs nationaux constituant un cadre directif."’ (Obin et Weber, 1987, p.56). La remarque nous semble encore valable aujourd'hui. Pour sortir des "projets-mosaïques" et aller vers des projets vraiment "signifiants", peut-être faudrait-il que ce cadre soit précisé de manière plus forte.

D'autres explications sont avancées sur les difficultés que rencontre le projet d'établissement à s'imposer. Il serait ‘"trop hétérogène à la culture française, individualiste et élitiste’ 236 ." Il aurait une connotation "religieuse", car il apparaîtrait comme un emprunt fait aux pratiques de l'enseignement catholique. Il ferait les frais de la crise de l'organisation scolaire qui, selon Jean-Pierre Obin, serait due à l'opposition entre les deux parties du système que constituent la hiérarchie bureaucratique pyramidale d'une part et l'organisation horizontale des établissements d'autre part. (Obin, 1993).

Toutefois, ‘"on rencontre l'idée, tout aussi généralement admise, de la nécessité du projet d'établissement et des bienfaits évidents sur la réussite scolaire des élèves, et là encore, rien ne prouve le contraire,"’ écrit encore Sophie Devineau (1998, p.7). en supposant que cette hypothèse soit vérifiée, il reste à améliorer le mode d'élaboration de ces projets dans les établissements. Il nous semble que les enseignants n'ont pas toujours conscience de l'enjeu qu'il représente pour leur propre enseignement, et donc de l'influence qu'il a sur la qualité de l'apprentissage des élèves. On sait l'importance du rôle du chef d'établissement dans ce domaine237, surtout en ce qui concerne sa capacité à impliquer réellement les enseignants dans l'élaboration collective du projet. C'est donc sans doute cette capacité qu'il convient de développer, si on souhaite que les projets d'établissement deviennent davantage "signifiants".

Notes
236.

Entretien PR, du 18/04/96.

237.

On peut citer à ce propos les travaux sur les "établissements efficaces", par exemple ceux de Monica Gather-Thurler (1994).