3.3. Sur Le Syndicalisme au Brésil

Le syndicalisme est en même temps un phénomène politique et un phénomène institutionnel (Pizzorno, 1971). Au Brésil, le syndicalisme est né sous l'influence des immigrés européens arrivés au début du siècle, notamment les Italiens et les Espagnols. Ce syndicalisme se développe dans les industries naissantes de São Paulo sous la bannière de l'anarcho-syndicalisme et réussit, avant la première guerre mondiale, à organiser quelques grandes mobilisations de masse. Cependant, à partir des années 30 et de la mise en place d'une législation syndicale corporatiste, revendiquée par ses créateurs comme étant proche de la législation de l'Italie fasciste, il perd beaucoup de son élan initial, laissant la place libre au déploiement d'un syndicalisme bureaucratique et rattaché à l'Etat. Cette double spécificité (bureaucratisation et dépendance vis-à-vis de l'Etat) marquera toute l'évolution future du syndicalisme brésilien, traversant toutes les conjonctures depuis les années 30.

Ce n'est que vers la fin des années 70, lors des luttes pour la redémocratisation du pays, qu'une conception mettant en cause la structure syndicale corporative devient importante parmi les syndicalistes brésiliens. Partant d'une vision critique de l'attitude de la gauche brésilienne lors du pronunciamiento de 1964, cette nouvelle tendance prônera une plus grande autonomie des syndicats par rapport à l'Etat et, au niveau interne, une présence plus active des directions syndicales sur les lieux de travail des ouvriers. Cependant, malgré les grandes mobilisations qu'elle organisera au cours des années 80, elle sera incapable de changer la structure syndicale corporative, laquelle demeure inchangée à ce jour. Nous essayerons de montrer, concernant les travailleurs du pétrole, comment la permanence de la législation corporative a eu des retentissements dans les pratiques syndicales même des tendances syndicales les plus radicales.

De même, certaines études sur les mouvements sociaux brésiliens des années 80 (notamment Sader, 1988) ont montré comment la déception, provoquée par le coup d'Etat de 1964 et par les expériences de guérilla urbaine du début des années 70, a poussé une partie de la gauche vers des formes d'organisation plus souple et plus proche des problèmes concrets des gens. Dans le sillage de ces études, nous souhaitons traiter notre thème selon un point de vue qui privilégie les manières dont les acteurs ont interprété les grands événements de l'histoire brésilienne, ainsi que les idéologies et les idées politiques dominantes parmi les syndicalistes et militants syndicaux. Nous pensons que ce sont des éléments capables d'expliquer, ne serait-ce qu'en partie, les changements des stratégies syndicales d'une partie des ouvriers brésiliens au cours des années 80 et 90.

En outre, nous pensons qu'il est nécessaire, là aussi, de souligner les différences régionales du syndicalisme brésilien. Si ce sont les syndicats les plus puissants, installés dans la région la plus industrialisée du pays, qui réussissent à devenir connus et influents au niveau national, il n'en est pas moins vrai que dans chaque région et dans chaque État du Brésil, le syndicalisme conserve des couleurs locales, des couleurs propres. Il nous semble qu'il en fut ainsi pour le syndicalisme à Bahia.