3.6. Sur la méthodologie

En dehors de ces observations initiales, quelques renseignements pratiques et méthodologiques se font nécessaires pour mieux situer le lecteur vis-à-vis de cette thèse.

Nous avons eu recours à trois types de méthodes concernant le recueil des données qui ont servi de base à l'écriture de cette thèse : l'observation participante, par une présence effective lors de plusieurs événements importants de l'histoire syndicale récente du groupe de travailleurs étudié ; l'appel à plusieurs documents produits par l'entreprise et par les syndicats, ainsi qu'à des articles parus dans la presse ; et, enfin, la réalisation d'entretiens non directifs avec des acteurs ayant joué des rôles importants dans l'action syndicale des "petroleiros ⁸ " de Bahia. De ce fait, cette thèse a été imprégnée de données d'origines diverses: écrites, orales et celles issues de l'observation directe du chercheur.

Étant donné que le chercheur fut aussi, durant un certain temps, un acteur engagé vis-à-vis du thème en question, il nous a semblé pertinent de discuter l'importance de l'observation participante, dans le cadre de cette thèse, dans un chapitre spécifique.

En ce qui concerne les sources écrites, d'importantes bases d'informations furent les archives des syndicats des travailleurs du pétrole de Bahia (des tracts et des journaux syndicaux de plusieurs époques, listes d'associés et d'employés des syndicats, etc.), des publications internes de l'entreprise (des tracts distribués durant les négociations collectives, rapports sur les relations sociales à l'intérieur de l'entreprise, données relatives à la main-d'oeuvre, etc.) et des journaux de la ville de Salvador de Bahia. Les données ainsi obtenues seront répertoriées, au long du texte qui suit, avec les indications sur les sources.

S'agissant d'une recherche marquée par la diachronie, ces documents ont été d'une importance majeure pour notre étude. Ils ont rendu possible, notamment, l'accès à la manière dont les acteurs interprétaient certains événements au moment même du déroulement des faits. Ils ont permis, aussi, la construction de séries statistiques sur certaines caractéristiques de PETROBRAS et de ses ouvriers dans l'Etat de Bahia, ce qui a rendu moins dramatique la relative pauvreté de données quantitatives sur cette question. De même, ces documents ont été très utiles comme points de repères vis-à-vis des informations recueillies auprès des acteurs par le biais d'entretiens.

Ainsi, le recours que nous avons eu aux sources écrites fut marqué par une volonté de reconstitution du passé, afin de mieux comprendre le présent.

Par rapport aux entretiens réalisés nous pensons important d'apporter quelques précisions supplémentaires. Nous avons réalisé des entretiens non directifs avec des responsables et militants syndicaux, ainsi qu'avec des responsables de l'entreprise et avec des travailleurs de la base (voir les grilles de ces entretiens dans les annexes). L'objectif de ces entretiens était de pouvoir connaître les représentations sociales dominantes parmi les petroleiros de Bahia, durant la période étudiée, ainsi que les principaux événements de leur histoire syndicale. Nous voulions également connaître l'évolution des conditions de travail et des pratiques de gestion mises en oeuvre par l'entreprise. En tout, furent réalisés 56 entretiens enregistrés et 4 non enregistrés – avec des ingénieurs haut placés dans la compagnie (8), des militants et des leaders syndicaux de plusieurs époques (41) et des travailleurs de la base (11). Ces entretiens ont eu une durée moyenne de une à deux heures (mais, il y en a eu quelques-uns de plus de 6 heures).

Après leur retranscription, ces entretiens ont été soumis à un travail d'analyse de contenu selon quatre axes principaux, à savoir: a) représentations sur l'entreprise dans le passé et dans le présent; b) représentations sur l'action des syndicats au cours du temps; c) évolution des conditions du travail et des pratiques gestionnaires de l'entreprise et d) évolution des conditions de vie et du prestige social des travailleurs du pétrole dans l'État de Bahia. Accessoirement, nous nous sommes servi de ces entretiens pour construire des histoires de vie de leaders et des militants considérés comme représentatifs du leadership chez ces travailleurs.

De plus, nous avons eu accès à des entretiens réalisés avec de hauts responsables de l'entreprise pétrolière, dans le cadre de l'accord entre PETROBRAS et la Fondation Getúlio Vargas (FGV) de Rio de Janeiro; ces entretiens (nous en avons consulté dix en tout) portent surtout sur la reconstitution, à partir de l'histoire orale, de l'évolution des pratiques entrepreneuriales de la compagnie du pétrole ⁹ . Ces interviews constituent donc un matériel important sur l'évolution des pratiques de gestion du travail mises en pratique par l'entreprise pétrolière au cours du temps.

Du fait que les entretiens constituent une importante source d'informations pour notre sujet, nous pensons important de discuter plus en détail la manière dont nous les avons utilisés dans notre travail.

Il y a deux façons de traiter la question de l'utilisation du passé (tel que le reconstruisent les acteurs eux-mêmes) dans les analyses: soit on considère que l'acteur dit toujours la vérité et on prend ce qu'il dit comme l'expression de sa vérité à lui; soit on prend en compte la possibilité que les acteurs ne disent pas toujours la vérité, et dans ce cas on considère leurs témoignages avec méfiance, comme une légitimation a posteriori de leurs pratiques passées.

Ici, nous avons voulu éviter les pièges que peuvent représenter ces deux manières de procéder. Ainsi, nous ne prétendons pas déterminer si ce que disent les acteurs est vrai ou non (du moins cela n'est pas notre but principal) ; mais voir quelle est l'influence sur les pratiques d'autres acteurs des discours tenus, sur le passé, par certains acteurs. Autrement dit, notre intérêt pour les témoignages (en tant que reconstruction du passé) se situe plutôt dans l'observation des usages sociaux (surtout politique) de ce passé.

En outre, l'observation de certains psychologues, selon laquelle les individus tendent à reconstruire leur passé ¹⁰ dans un sens qui leur soit favorable, s'intègre parfaitement à nos observations sur les entretiens réalisés. Dans ces entretiens, à de rares exceptions près, les interviewés se sont présentés comme s'ils étaient au centre des événements, confirmant ainsi le "complexe de supériorité" dont nous parle Élisabeth Lafter ¹¹ . L'être humain a d'énormes difficultés à se représenter le monde sans lui; il est ainsi difficile de relater des événements vécus sans se poser au premier plan de la scène.

Qu'est-ce que cela signifie ? Que tout travail de recherche basé sur des témoignages sera toujours un peu biaisé ? Oui et non. Dans la mesure où le travail du chercheur ne peut pas se passer des points de vue de ceux qu'il étudie, nous pouvons dire qu'une certaine distorsion est intrinsèque à ces sciences. Toutefois, ces sciences se trouvent dans une position privilégiée par rapport aux acteurs eux-mêmes, à savoir, elles ont la possibilité de comparer plusieurs points de vue et, ainsi, de prendre de la distance par rapport à eux. Dans ce sens, elles créent un "meta" point de vue, un point de vue différent, plus distancié de la question.

De la sorte, ce qui fait la différence entre les multiples versions données sur un événement, où chaque individu revendique avoir été le responsable, le protagoniste le plus important, etc., est la capacité de chacun de faire accepter sa version comme étant la plus légitime.

Notre travail a consisté à identifier quelles versions furent socialement importantes, et non à confirmer ou réfuter ces versions ; sauf quand nous disposions d'autres indices que les seuls témoignages divergeants, attestant de l'irréalisme de certains discours. Mais, même dans ces cas, notre intérêt majeur se situera dans l'observation de la capacité des acteurs de faire partager leurs discours et leurs visions de la réalité.