4.2.3. De La déception vis-à-vis de la gauche

Le début des années 90 marque une nouvelle étape dans le mouvement syndical des petroleiros : aussi bien à Bahia qu'à Rio de Janeiro, les oppositions syndicales liées à la CUT et au PT prennent le contrôle des directions syndicales. Bien que je n'aie pu faire partie des listes gagnantes (je n'appartenais plus au syndicat de Bahia et à Rio je n'étais pas assez connu), j'avais un statut de responsable non-officiel au sein des deux syndicats. De ce fait, j'ai pu suivre de l'intérieur tout le processus de décomposition de la gauche syndicale parmi les travailleurs du pétrole.

Une fois arrivés au pouvoir, les militants, jusqu'alors amis inséparables, mèneront une lutte sans merci pour imposer leurs idées et leurs stratégies. A Bahia, cette lutte ira jusqu'à une scission irréconciliable au sein de la direction syndicale, ce qui entraînera l'organisation de nouvelles élections syndicales deux ans avant la date prévue.

Tout cela dans une conjoncture politique nationale assez mouvementée. Fin 1989 ont lieu les premières élections pour la présidence de la république depuis 1960, avant le coup d'État de 1964. Au deuxième tour de cette élection s'affronteront deux candidats assez atypiques dans le paysage politique brésilien, l'un était gouverneur d'un petit État du Nord-Est (Fernando Collor) et l'autre, l'ex-syndicaliste et président du Parti des Travailleurs, Lula.

Pour la première fois dans l'histoire du pays, un parti de gauche avait des chances réelles de remporter une élection présidentielle. De même, pour la première fois au Brésil, un ouvrier, mulâtre et issu de la région la plus pauvre du pays, arrivait au plus près des centres de décision du pouvoir central. Il faut avoir connaissance du caractère conservateur et discriminatoire de la société brésilienne vis-à-vis de ceux qui n'appartiennent pas à l'élite (les non-blancs et les pauvres), pour comprendre toute la portée symbolique de cet événement.

Lors de ces élections j'ai cru plus que jamais que des changements importants, dans la structure sociale du Brésil, étaient possibles.

Les résultats électoraux donnèrent la victoire, avec une faible avance, à Fernando Collor. Ce fut pour moi, et pour la gauche d'une manière générale, une déception difficile à surmonter.

Cependant, dans une conjoncture où les syndicats du pétrole commençaient à radicaliser leurs discours vis-à-vis du nouveau gouvernement et de la direction de l'entreprise, je ne pouvais pas prendre de la distance vis-à-vis du mouvement syndical ; le militantisme politique est un type d'action dont on a du mal à se débarrasser, même quand on doute de son efficacité pratique. J'étais lié au syndicalisme par un sentiment d'obligation : il fallait que je continue à me battre, ne serait-ce que pour être cohérent avec mon passé.

D'autant plus que les premiers mois du gouvernement Collor furent très difficiles pour le mouvement syndical. L'élection directe donnant au gouvernement une légitimité nouvelle, il entreprit de mettre en place des mesures économiques de rigueur, surtout en ce qui concernait les travailleurs des entreprises nationales, y compris PETROBRAS. Dans ce contexte, les militants, même les plus démobilisés et les plus déçus par les luttes intestines de la gauche, n'avaient pas beaucoup de choix : il ne leur restait que l'option du conflit.

C'est à ce moment de ma vie que l'option de quitter mon emploi à PETROBRAS et de venir vivre en France, au moins temporairement, s'est posée. Ce qui signifiait donner la priorité à ma vie personnelle, par rapport à mes engagements sociaux.

Je me demandais alors pourquoi ne pas tout miser sur ma vie personnelle, puisque je n'éprouvais plus de plaisir à faire partie d'une gauche qui, trop engagée dans ses querelles internes et dans une lutte fratricide pour le pouvoir des organisations nouvellement conquises, ne voyait plus les limites et les perspectives de son action ?

Pour moi cette option a pris la forme d'un départ vers un autre pays. Mais, ici encore, mon cas personnel n'était pas un cas isolé ; durant cette même période, d'autres militants allaient commencer à prendre leurs distances vis-à-vis du militantisme, orientant leurs énergies vers d'autres secteurs de leurs vies.