4.2.4. Si loin, si proche

Mon arrivée en France m'a beaucoup bouleversé. Ce n'était pas tant les différences entre le Brésil et la France qui me bouleversaient. Le plus troublant était que par la confrontation à une réalité tellement différente de celle de mon pays d'origine, je commençais à porter un regard plus distancié vis-à-vis de mon propre pays ; ainsi que sur ma pratique passée. Ce qui me semblait auparavant naturel, m'apparaissait soudain dans toute sa dimension artificielle, dans toute son historicité.

C'est là le fameux effet miroir tant célébré par les Anthropologues qui, dans leur quête de l'autre, finissaient par se retrouver eux-mêmes.

Cette thèse est née d'une démarche similaire. Elle est née de la prise de distance avec ce qui me paraissait autrefois si proche, si naturel que je ne pouvais concevoir la possibilité d'une autre réalité.

Ce sentiment d'éloignement de moi-même, je ne l'ai jamais autant ressenti que lorsque je suis retourné à Bahia, pour compléter mon travail de terrain, en 1994. En rentrant, en revenant sur mon passé, en rencontrant mes anciens compagnons, dans un nouveau cadre (celui d'une recherche), j'avais l'impression d'être à la fois moi même et un autre. Je n'étais plus, il est certain, un "petroleiro", ni un militant de gauche (malgré les attentes de mes anciens compagnons) ; mais en même temps, je n'étais pas non plus un chercheur complètement extérieur à mon objet, car, d'une certaine façon, j'étais moi-même mon objet.

Ce fait est d'importance, car il dépasse les facilités d'ordre méthodologique que l'ambiguïté de mon statut m'a offertes (des facilités qui sont loin d'être négligeables, car j'ai eu accès à des informations et j'ai pu témoigner d'événements qu'un autre chercheur, un chercheur extérieur en tout cas, n'aurait que très difficilement pu obtenir).

Cela touche au coeur même du statut de la connaissance scientifique en sciences humaines. De quoi et, surtout, de qui parle-t-on quand on parle en tant que chercheur ? Quel statut a notre parole, vis-à-vis de celles de nos compagnons de voyage et de recherche, ceux que nous nommons parfois acteurs, parfois agents, parfois des deux termes à la fois ?