5.1.5. Après les chocs pétroliers, l'accalmie ?

Les années 80 sont marquées par la chute des prix du pétrole et par l'affaiblissement de l'OPEP, incapable de maintenir le niveau des prix dans un marché devenu excédentaire, l'offre dépassant largement la demande.

Témoin de cette perte d'influence de l'OPEP sur le marché mondial du pétrole, son incapacité à faire respecter les quotas de production par ses membres. Le système des quotas de production pour les pays membres de l'OPEP fut une tentative pour stopper la tendance à la superproduction de brut. Cependant, cela ne parvint pas à redresser les prix pétroliers. Plusieurs facteurs sont à l'origine de cette défaillance de l'OPEP, incapable de stabiliser le marché pétrolier mondial ; le changement de comportement énergétique des pays industrialisés, l'apparition de nouveaux producteurs importants hors de la sphère d'influence de l'OPEP et la compétition acharnée entre les pays membres de l'organisation en sont les principaux.

Au demeurant, le non respect des quotas de production de la plupart des pays membres de l'OPEP, mena l'Arabie Saoudite à déclencher une guerre des prix à l'intérieur même de l'OPEP, à partir de 1985 ; ce qui aboutit à la crise des prix de l'année de 1986, quand le prix du pétrole chute de façon vertigineuse : de 28 US$ le baril en 1985 il tombe à 9,50 US$ au début de l'année 1986, son plus bas niveau depuis 1973.

Une baisse si radicale des prix incite la plupart des pays producteurs (y compris les États-Unis 20 ) à trouver un accord pour faire monter les cours du pétrole ; cela dès 1986.

Quoi qu'il en soit, cette stratégie fut payante car, dès décembre 1986, l'OPEP redéfinit de nouveaux quotas de production à ses membres et adopta le prix officiel autour de 18 US$ le baril. Ces mesures parvinrent à calmer le marché, en stabilisant les prix et la production, d'autant que les pays producteurs hors OPEP décidèrent de les soutenir de manière plus ou moins concertée.

Depuis l'année 1986, les prix pétroliers restent stables, mais l'équilibre demeure fragile.

‘<<L'incertitude provient de la dynamique classique du cartel, où, dès que les prix sont satisfaisants pour l'organisation, les pays membres trichent sur les quotas, amenant une baisse des prix, elle-même finissant par rendre plus évidents les intérêts communs des producteurs qui parviennent alors à reprendre le contrôle de la production ...>> (Jacquet et Nicolas, 1991 ;82).’

En effet, ce qui caractérise actuellement l'industrie mondiale du pétrole est l'équilibre entre, d'un côté, une OPEP affaiblie par le rétrécissement de la consommation mondiale de produits pétroliers et par l'expansion de la production mondiale de brut ; et de l'autre côté, des pays consommateurs qui après les traumatismes des chocs pétroliers de 1973 et 1979, ont observé avec satisfaction la chute des prix des années 80, mais restent bien conscients des risques que comporte le maintien des prix à des niveaux trop bas, comme en 1986.

En résumé, les intérêts des uns et des autres vont dans le sens d'un maintien des prix du pétrole à un prix ni trop élevé, afin d'éviter une récession économique, ni trop bas, susceptible de faire renaître la dépendance des pays industrialisés à l'égard des pays producteurs.

La menace de l'invasion du Koweït par l'Irak en 1990 a constitué une remise en question de cet équilibre ; ce qui explique la rapidité de la réponse militaire des pays occidentaux. Cela est explicitement reconnu par M James Schlesinger, ancien secrétaire américain à l'énergie dans l'administration Carter ; lors du XVème Congrès Mondial de l'Énergie, en 1992, il tient les propos suivants :

‘<<Ce que le peuple américain a retenu de la guerre du Golfe, c'est qu'il est bien plus facile d'aller botter les fesses des gens au Proche-Orient que de faire des sacrifices [en payant des prix plus élevés] pour limiter la dépendance de l'Amérique vis-à-vis du pétrole importé. Ceux qui me connaissent bien savent que jamais je n'oserais utiliser une expression comme celle que je viens d'employer si elle n'était pas utilisée aux niveaux les plus élevés du gouvernement.>> (cité par Nicolas Sarkis, in Le Monde Diplomatique, novembre 1994, page. 12). ’

Quoi qu'il en soit, les transformations de l'industrie pétrolière au cours de ce siècle ont été très importantes, changeant radicalement son visage. On est passé du contrôle absolu des Majors dans l'après-guerre à "une certaine communauté d'intérêts" entre grands pays producteurs et grands pays consommateurs à la fin des années 80 ; cela en passant par la première vague de création d'entreprises nationales entre les années 30 et 50 ; mais aussi en passant par la montée progressive du pouvoir des pays exportateurs dans les années 60, ou par les chocs pétroliers de 1973 et 1979 ; en passant encore par les nationalisations dans les pays producteurs entre 1975 et 1976 et par la perte du pouvoir de l'OPEP dans les années 80.

Ces changements ont agi dans le sens de la démystification du pétrole. En effet, compte tenu de l'inexistence d'un cartel d'entreprises contrôlant, de l'amont à l'aval, l'activité pétrolière mondiale et compte tenu de la diversification des zones productrices et de la disproportion entre une offre croissante et une demande en baisse, les enjeux à la fois géopolitiques et économiques du pétrole se sont affaiblis et sont devenus moins évidents.

Ce qui est, peut être, à l'origine des politiques et des débats parlementaires sur la privatisation de l'industrie pétrolière sous contrôle de l'État dans plusieurs pays. Mais si cela est vrai pour certains pays, il reste que le pétrole continue à être une matière première fondamentale pour les économies modernes, gardant encore une importance – économique et symbolique – rarement égalée pour d'autres matières premières.

‘<< Le pétrole est donc devenu, du fait de l'évolution de l'industrie et des techniques de commercialisation, une matière première presque comme les autres. (...) mais d'autre part, le pétrole reste une matière première stratégique, vitale pour les économies tant des pays développés que des pays en développement, tant des pays exportateurs que des pays importateurs. Les conditions physiques et économiques de sa production et de son approvisionnement continuent donc de concerner une dimension importante de la sécurité nationale, de la croissance et des équilibres économiques. Il est ainsi naturel que les gouvernements soient tentés d'intervenir, et soient profondément réticents à laisser le marché déterminer l'allocation des ressources et des prix. Le contenu des politiques énergétiques reste donc plus que jamais d'actualité>> (Jacquet et Nicolas, 1991 ; 83-84).’

Cette contradiction entre une certaine stabilité du marché et une importance toujours vitale pour l'économie fait de l'industrie pétrolière une branche soumise à une instabilité structurelle, où rien n'est joué d'avance ; où les seules lois du marché ne suffisent pas à expliquer ni les choix et les actions des principaux acteurs, ni le comportement des prix. Parfois, le moindre incident diplomatique suffit pour déstabiliser le marché pétrolier, faisant monter ou chuter le cours du brut en peu de temps. D'où l'importance géostratégique que les principaux pays du monde continuent d'accorder à ce produit.

Notes
20.

La position indéfinie des États-Unis vient du fait qu'ils sont, à la fois, les plus gros producteurs et les plus gros importateurs du pétrole. D'après Jaquet et Nicolas (1991 : 81), cela aurait poussé ce pays à ne pas laisser tomber le prix du brut à des niveaux trop bas : << les États-Unis, dont la culture nationale semble imperméable à la possibilité de taxer l'énergie sont particulièrement empêtrés dans le jeu contradictoire des divers groupes de pression, l'effondrement des prix transforme toute l'industrie du pétrole en industrie sinistrée, avec des retombées dévastatrices pour certains États, où la crise affecte alors, comme au Texas, l'ensemble de l'activité économique, bancaire et de l'immobilier>> (Jacquet et Nicolas, 1991 ;81).