6.3.2. Industrialisation et urbanisation à Bahia

Malgré tout, l'arrivée du pétrole n'a pas signifié une complète transformation de la structure économique et sociale de l'État de Bahia. Cela pour plusieurs raisons. D'une part, parce que la production pétrolière, une fois passée la période de croissance accélérée des années 50, commence à croître plus lentement dans les années 60 ; par suite d'une raréfaction des nouveaux gisements pétroliers. En effet, dans la mesure où les nouvelles découvertes se faisaient plus rares, il y avait moins d'investissements nouveaux de PETROBRAS à Bahia. D'autre part, à la stabilisation des activités pétrolières, il faut ajouter le manque d'intégration de ces activités à l'ensemble de l'économie bahianaise ; malgré leur poids, elles n'ont pas eu l'effet multiplicateur qu'on pouvait en attendre dans les années 50.

Ce dernier aspect fut remarqué, déjà en 1970, par des techniciens de la Banque Interaméricaine pour le Développement (BID), dans un rapport sur l'économie de Bahia :

‘<< En vérité, l'activité pétrolière se développe de manière presque autarcique, avec une intégration limitée vis-à-vis de l'économie de l'État.>>. (cité in Azevedo, 1975 :85). ’

Ainsi, une fois passé le boom de l'exploration de pétrole et des agrandissements de la raffinerie de Mataripe, vers le milieu des années 60, l'industrie pétrolière ne pourra plus assurer à elle seule l'expansion de l'économie bahianaise. C'est le moment où d'autres industries commencent à arriver à Bahia, attirées par les avantages fiscaux que le gouvernement fédéral commence à mettre en place dans l'ensemble de la région Nord-Est.

Le fait que PETROBRAS était établie à Bahia, a certainement compté dans le choix d'installation des nouvelles industries ; mais, dorénavant, la dynamique économique régionale ne sera plus exclusivement dépendante des seules performances de l'industrie pétrolière. Cela, même si, sur le plan symbolique, le pétrole et la PETROBRAS resteront encore pendant longtemps la "grande" industrie à Bahia.

Toujours est-il qu’à partir des années 70 Bahia accélère son développement industriel de façon remarquable ; le secteur secondaire croît à des taux de 25 % par an entre 1970 et 1978. De même, le PIB de Bahia augmente de 233 % entre 1970 et 1980, tandis que le PIB industriel de l'État croît de 413 % dans la même période. En conséquence, le secteur industriel augmente sa part dans le PIB bahianais : il passe de 20 % de ce PIB en 1967 à 40 % en 1980 (Ferreira, 1985 :93).

Cette extraordinaire croissance eut pour cadre deux grands investissements, où la participation de l'Etat fédéral fut fondamentale. La première de ces initiatives fut l'ouverture du Centre Industriel d'Aratu à la fin des années 60, situé dans la région urbaine de Salvador. L'autre, fut l'implantation, à partir de la moitié des années 70, d'un Pôle Pétrochimique à Camaçari, ville également située dans la région urbaine de Salvador. Ces deux investissements, tout en profitant des bases industrielles lancées par PETROBRAS, vont donner un caractère plus consistant et plus diversifié à l'industrie dans l'État de Bahia.

Pour cela, d’autres facteurs que le pétrole, ont joué un rôle important. Le premier, par ordre chronologique, fut l’amélioration des réseaux routiers reliant Salvador au Sud du pays. La construction de la route Rio-Bahia va favoriser, dès les années 1950, l’intégration du marché bahianais au marché du Centre-Sud brésilien. Si dans un premier temps cette intégration porte un coup fatal aux anciennes industries bahianaises, elle favorise, dans le même temps, l’installation de nouvelles industries dans l'État ; celles-ci viendront, attirées par les avantages fiscaux que l’Etat fédéral commence à mettre en oeuvre dans la région Nord-Est, ainsi que par la possibilité, rendue effective grâce aux nouvelles conditions d'acheminement, d'exporter leur production vers le Sud et le Sud-Est du pays.

Il est nécessaire, toutefois, d'insister sur l’importance, dans ce processus, de la politique brésilienne d’incitation à la délocalisation industrielle. En effet, dès les années 50, la réduction des inégalités régionales du pays apparaît comme une des priorités de la planification économique de l’Etat. Sous l’influence des économistes de la CEPAL, les gouvernements successifs brésiliens adoptent plusieurs mesures pour intégrer la région Nord-Est au développement industriel du pays. Parmi ces mesures, il faut souligner la création de la Banque du Nord-Est en 1952 - sous le gouvernement Vargas - et, surtout, la création de la SUDENE (Superintendance pour le Développement du Nord-Est) en 1959 - dans le cadre du Plan du gouvernement Kubitschek.

En arrière-plan à ces mesures, il y avait la montée en force des idées prônant le développement basé sur la planification économique ; il y avait aussi la volonté, affichée par les politiciens populistes, d’amplifier la taille du marché intérieur brésilien par le biais de l’intégration des régions les plus démunies face à la logique d’expansion industrielle. Ceci dans un contexte où les idées nationalistes étaient devenues hégémoniques dans l’ensemble de la société brésilienne, rendant les gouvernements plus soucieux des conséquences politiques des disparités régionales. Ils craignaient, notamment, que les différences régionales ne donnent lieu à des revendications indépendantistes de certains États.

C’est ce qui ressort du discours de celui qui a été à l'initiative de la SUDENE et un des partisans les plus engagés pour la planification étatique au Brésil, l’économiste Celso Furtado :

‘<< L’inégalité économique atteignant un certain degré tend à s’institutionnaliser. (...) Si un tel phénomène venait à se produire au Brésil, pays de grande extension territoriale, la formation de groupes régionaux géographiques pourrait menacer la plus grande conquête de notre passé : l’unité nationale.>> (in : Furtado, Celso. A Operação Nordeste, Rio de Janeiro, ISEB, 1959, cité par Oliveira, 1985 : 135). ’

Dans cette même logique, le gouvernement met en place un dispositif juridique 76 permettant à toute entreprise voulant s'installer dans la région Nord-Est du pays 77 de bénéficier d’importantes réductions d’impôts et de conditions de financement assez favorables. Cela va entraîner l’afflux d’une quantité conséquente d’investissements dans la région, notamment industriels.

Dans son étude sur l’influence des investissements subventionnés à Bahia, conçus dans un cadre visant le développement de l’industrie, Azevedo (1975 : 111) cite des données qui témoignent de la croissance du taux de profit des industries installées dans la région Nord-Est.

Ainsi, en 1967, alors que le taux moyen de remboursement des investissements industriels se situait autour de 13 % par an pour l’ensemble du pays, dans la région Nord-Est ce taux était de 22 % par an, soit presque le double du taux national. Cela malgré les désavantages relatifs du Nord-Est vis-à-vis du Centre-Sud du pays : éloignement des marchés consommateurs, offre d’infrastructures insuffisante, marché du travail inadapté, etc.

Quoi qu'il en soit, l’ensemble de ces mesures gouvernementales a réussi à attirer un certain nombre d’entreprises vers la région. Ce qui ramena les taux de croissance du PIB de la région Nord-Est à des taux proches des taux de croissance de l’économie brésilienne, renversant ainsi une tendance presque séculaire. Selon des données avancées par Almeida et allii (1993 : 3 et 4), le PIB brésilien croît de 327 % entre 1965 et 1990, tandis que le PIB du Nord-Est croît de 318 % durant la même période. La proximité entre ces deux taux de croissance économique est encore plus perceptible si l’on compare les taux de croissance annuelle dans ce même laps de temps : 6% en moyenne pour l’ensemble national et 5,9 % pour la région Nord-Est.

TAUX DE CROISSANCE ANNUELLE DU PIB(%)
PÉRIODES BRÉSIL NORD-EST
1959-1967 5,07 5,74
1967-1973 11,20 7,09
1973-1980 7,04 9,02
1980-1983 2,34 3,85
1983-1986 6,94 10,98
1987-1990 0,80 1,10
Source : Almeida et allii, 1993 :14.

L’évaluation de cette politique de développement régional a donné lieu à un débat économique très riche sur les effets de la planification étatique.

D’un côté, certains mettent en avant la dénaturation du projet originel de la SUDENE par les gouvernements issus du coup d’Etat de 1964. Selon eux, la conséquence fut la reproduction, dans le Nord-Est, du même modèle inégalitaire et oligopolisé déjà dominant dans le Sud-Est. De plus, ce sont les industries à haute technologie et appartenant à de grands groupes entrepreneuriaux, nationaux ou étrangers, qui ont été attirées vers la région ; de ce fait, leur influence sur l’emploi ou sur le niveau de la cohésion interne des économies régionales a été très faible au vu du volume d’investissements et des apports financiers de l’Etat. Autrement dit, pour les tenants de ces idées, dont l’économiste marxiste Francisco de Oliveira est devenu un porte parole, les mesures d’aide à l’industrialisation du Nord-Est, mises en place par les gouvernements brésiliens après 1964, étaient un leurre ; loin de promouvoir un véritable développement de la région, elles n’ont eu comme véritable conséquence que l’augmentation des taux de profit des grands groupes qui venaient s’y installer. Les aides gouvernementales sont donc interprétées ici comme un moyen de favoriser le "grand capital", avec peu de retombées au niveau des économies régionales du pays.

A l’opposé, d’autres économistes, sans nier le fait que ce sont surtout les grandes entreprises qui ont pu bénéficier des mesures d’aides de l’Etat, attirent l’attention sur les influences indirectes que la présence d’industries modernes pouvaient avoir sur la région. Albert Hirschman 78 , par exemple, soulignera le côté novateur des investissements industriels à haute technologie dans la région ; ainsi, l’industrialisation subventionnée dans le Nord-Est brésilien, tout en étant un élément d’accumulation de capital pour les grands entrepreneurs, allait entraîner des changements dans la structure de classe et dans les rapports de force dans les Etats de la région 79 .

Sans vouloir trancher entre ces deux visions dichotomiques, développées au moment même de la mise en application des politiques gouvernementales, les analyses qui se développent aujourd’hui, tendent à mettre en évidence la portée locale de ces mesures ; si au niveau de l’ensemble régional, les effets des projets ont été loin d’entraîner une dynamique propre, pouvant supplanter les vieilles structures économiques et sociales héritées du passé colonial, au niveau de certaines micro-régions néanmoins, les changements sociaux provoqués par l’arrivée des industries ont été loin d’être négligeables. C'est la conséquence d'une forte concentration industrielle autour des grandes villes de la région, notamment Salvador, Recife et Fortaleza.

à première vue, sur ce point, ces auteurs seraient davantage proches des idées d’Hirschman ; cependant ils s’efforcent de démontrer que non seulement les effets entraînés par l’industrie dans le Nord-Est ont été limités, mais que de plus ils ont été très concentrés dans certaines grandes villes.

Les données avancées par Rocha et Soares (1993 : 18), par exemple, montrent que les seuls Etats de Bahia, Ceará et Pernambuco ont accueilli beaucoup plus que 50 %, voire 60 ou 70 % selon les années, de tous les investissements aidés par le gouvernement fédéral, entre 1972 et 1988. Et, même parmi ces trois Etats - les plus peuplés et les plus importants économiquement de la région -, le partage de l’aide de l’Etat fédéral ne s’est pas réalisé de façon équitable : l’Etat de Bahia étant celui qui en a le plus profité, comme l'atteste le tableau ci dessous.

Participation des états de Bahia, Pernambuco et Ceara sur le total des aides gouvernementales à l’industrie dans le nord-est (%).
ANNÉES BAHIA PERNAMBUCO CEARÁ SOMME DES TROIS ÉTATS
1972 40,07 20,72 8,73 69,52
1973 35,93 22,03 7,49 65,45
1974 20,88 18,36 4,17 43,41
1975 42,47 23,08 6,75 72,30
1976 34,60 16,83 7,87 59,30
1977 50,67 14,85 9,84 75,36
1978 43,14 15,92 9,29 68,35
1979 32,63 15,37 11,57 59,57
1980 20,46 23,23 14,33 58,02
1981 19,93 21,80 17,15 58,88
1982 18,50 20,45 19,52 58,47
1983 18,10 18,88 22,86 59,84
1984 23,79 18,55 21,82 64,16
1985 23,97 16,45 24,17 64,59
1986 14,56 16,48 28,66 59,70
1987 15,87 14,75 28,92 59,54
1988 16,44 10,68 28,51 55,63
Source : Rocha et Soares, 1993 : 18.

Dans ce processus, certaines caractéristiques de Bahia la plaçaient dans une situation privilégiée vis-à-vis des autres Etats du Nord-Est. La première de ces caractéristiques était sa position géographique ; étant, parmi les Etats du Nord-Est, le plus proche de la région Sud-Est du pays, Bahia attirera les industries souhaitant, en priorité, exporter une partie de leur production vers les marchés de Rio de Janeiro et São Paulo. Cet avantage sera d’autant plus valorisé que les réseaux routiers reliant les deux régions se sont considérablement améliorés et amplifiés au cours des années 60 et 70. L’importance de ce phénomène est telle que, au début des années 80, plus de 50 % de la production des nouvelles industries de Bahia était tournée vers le Centre-Sud du pays.

Un autre avantage de Bahia fut la dimension de son marché potentiel : non seulement parce que c'était l’Etat le plus peuplé de la région, mais aussi à cause de la taille importante de sa capitale, ce qui rendait plus facile une adaptation du marché du travail régional aux exigences des nouvelles industries. Il faut également prendre en compte le fait que la présence des activités pétrolières à Bahia offrait d’importantes possibilités de débouchés pour certaines industries ; car, dès sa création en 1954, PETROBRAS, pour assurer la continuité opérationnelle de ses activités, était devenue une importante consommatrice de produits métallurgiques, mécaniques et chimiques. Dans la mesure où un des critères permettant de bénéficier des aides fiscales du dispositif 34-18/FINOR était la fabrication de substituts aux produits importés par le pays et que, de plus, la politique de PETROBRAS était d’inciter à la production dans le Brésil des produits dont elle avait besoin, les industries métallurgiques et mécaniques installées à Bahia auront PETROBRAS comme un de ses principaux clients.

De même, l’offre en quantité industrielle de certaines matières premières comme le gaz naturel, le pétrole et ses dérivés (que ce soit comme source d’énergie ou comme matière première de l’industrie chimique et pétrochimique), donnait à la région proche de Salvador (le Recôncavo) un avantage relatif non négligeable. Ce fut, d’ailleurs, un des facteurs qui pesa sur la décision du gouvernement fédéral de placer à Bahia un important pôle pétrochimique dans les années 70. Un indice de l'importance de cet avantage, est que, vers le début des années 80, les matières premières utilisées par l’industrie bahianaise étaient en majorité originaires de Bahia : 85 % du total en ce qui concerne les industries chimiques et pétrochimiques et 48 % pour les autres.

Enfin, et surtout, la politique régionaliste, menée par le gouvernement de l’Etat et par les élites économiques de Bahia, visant à attirer des investissements privés et à faire pression sur les pouvoirs publics pour qu'ils allouent d'avantage de ressources publiques à l’Etat, porte ses fruits à partir des années 70. Un exemple nous en est donné par Suarez (1986) dans son étude sur les négociations pour l’installation de l’industrie pétrochimique à Bahia ; il nous montre, en particulier, comment la bourgeoisie et le gouvernement de Bahia ont réussi à convaincre la technobureaucratie de l’Etat fédéral de placer un pôle pétrochimique à Bahia. Ils sont parvenus, notamment, à faire passer leur idée, déjà ancienne, du besoin, sur le plan économique, d’une intégration de l'industrie pétrolière à l'industrie pétrochimique dans l’Etat. Argumentant contre les projets de construction de nouvelles unités de production pétrochimiques dans une région proche des centres consommateurs, idée chère aux entrepreneurs de São Paulo, ils vont mettre en avant les dommages, pour la sécurité du pays, d’une telle concentration industrielle. Cet argument ne pouvait pas ne pas toucher les Militaires, en général sensibles aux questions liées à la sécurité nationale. Il était en effet très important d'obtenir le soutien de l'Armée, qui jouissait alors du monopole du pouvoir politique, et des bureaucrates liés à l’industrie pétrolière, en faveur de la "solution bahianaise" contre le puissant lobby des ‘paulistes’.

D’ailleurs, l’action militante des élites politiques et économiques bahianaises pour le développement industriel de Bahia commence à faire pression sur l’Etat fédéral après 1964. A partir de ce moment, comme l’a bien montré Guimarães (1982), les groupes régionalistes bahianais ne vont plus vouloir faire du régionalisme un mouvement mobilisateur des masses ; préférant, désormais, agir dans l'ombre, ils feront pression directement sur l’appareil étatique (fédéral ou de l’état) afin de défendre leurs intérêts.

Nous pouvons même interpréter la montée de la planification régionale à Bahia, mise en place dans les années 50 (l'État de Bahia est parmi les premiers à avoir créé des organes publics de planification régionale), comme un des indices que la mobilisation populaire n’a jamais été véritablement un des objectifs majeurs des groupes régionalistes à Bahia ; ou plutôt, que le régionalisme n’a pas misé uniquement sur la mobilisation populaire pour faire entendre la voix des "intérêts bahianais".

De toute manière, au cours des années 60 et 70, l’action des hommes politiques et des entrepreneurs bahianais sera centrée sur les contacts avec les hauts responsables du régime issu du coup d'Etat de 1964. Ces rapports se faisaient surtout par la médiation du gouvernement de l’Etat de Bahia, lequel avait la fonction de rassembleur des demandes régionalistes et aussi d’acteur engagé dans la planification étatique.

En ce sens, par exemple, il joua un rôle non négligeable, à la fin des années 60, dans la viabilité du Centre Industriel d’Aratu (CIA) 80 : que ce soit par l’aménagement du territoire qu’il entreprend, par l’exonération d’impôts locaux qu’il concède aux entreprises, ou même par la concession presque gratuite qu’il fait des terrains aux nouvelles industries. Il n’est pas excessif d’affirmer que le gouvernement de Bahia est, en grande partie, responsable du relatif succès de cette initiative.

L’ensemble de ces facteurs expliquera le fait que Bahia accueillera la majeure partie des investissements aidés dans la région Nord-Est : 36,1 % du total jusqu’en 1983 (Santos, 1982 : 1). Et ce n’est pas tout, car non seulement elle accueille la plus grosse part des investissements, mais de plus ce sont les industries les plus dynamiques qui viennent s’installer. Dans leur étude sur la dynamique économique des États de Bahia, Pernambuco et Ceará, Rocha et Soares (1993 : 6 et 7) montrent que 75 % des industries de Bahia pouvaient être considérées comme dynamiques 81 (il s’agit des industries chimiques, pétrochimiques, métallurgiques et mécaniques), tandis que dans les deux autres États il y avait prédominance des industries textiles et alimentaires, considérées comme moins lucratives que celles de Bahia.

Ainsi, nous pouvons affirmer que de tous les États de la région Nord-Est du Brésil c’est l’État de Bahia qui a le plus bénéficié des aides gouvernementales d’incitation à l’industrialisation. De ce que nous venons de voir, nous pouvons considérer également que cela tient aussi bien à certaines caractéristiques socio-économiques et géographiques de Bahia qu’à l’action politique de ses élites.

L’importance de l’industrie pétrolière dans ce processus est double ; d’un côté parce que les activités pétrolières à Bahia jetèrent les bases permettant l’implantation d’autres types d’industries, en particulier les industries pétrochimiques ; d’un autre côté, le pétrole a été un élément fédérateur des intérêts des groupes régionalistes de Bahia, car c’est autour de l’industrie pétrolière que le régionalisme bahianais a pris forme de façon concrète.

Par ailleurs, l’importance du pétrole et des aides gouvernementales pour l’industrialisation de Bahia est reconnue par les propres entrepreneurs. Selon les données d’une enquête réalisée par la SUDENE, auprès des responsables des entreprises installées dans toute la région Nord-Est (SUDENE, 1988 : 39), l’existence de certaines matières premières régionales était identifiée comme le facteur déterminant de leur choix de localisation pour 40 % des industries installées à Bahia. De cette même enquête, il ressort que les aides gouvernementales ont été le facteur déterminant du choix de Bahia pour 22 % des entreprises : la conquête du marché bahianais n’était reconnue comme ayant été importante dans leur décision que pour 13,5 % d'entre elles.

Notes
76.

Qui est connu comme "dispositif" 34/18 ou FINOR.

77.

Région administrative comprenant les Etats de Bahia, Sergipe, Alagoas, Pernambuco, Paraíba, Rio Grande do Norte, Ceará, Piauí e Maranhão (pour plus de détails voir carte dans les annexes).

78.

Cité in Oliveira, 1985: 17.

79.

L'importance de ce débat pour notre sujet tient au fait qu'il sous-tend certaines théorisations sur la structure de classe dans le Nord-Est. Ainsi, Francisco de Oliveira (1987) soutiendra, par exemple, que l'inexistence d'une bourgeoisie locale à Bahia, conséquence des investissements venus d'ailleurs, n'a pas permis le développement de la conscience de classe chez les ouvriers bahianais ; ce qui, à l'instar de Guimarães et Castro (1995), nous paraît fort réducteur.

80.

Il s'agit d'un complexe industriel situé aux alentours de Salvador.

81.

Selon une typologie industrielle qui privilégie les aspects technologiques et la rentabilité des industries ; de cette manière, un des indicateurs les plus importants pour la détermination du degré de dynamisme (selon eux, la capacité de réinvestissement) d’une activité industrielle est l’excédent produit par chaque travailleur, c’est-à-dire la productivité du travail. Ainsi, l’écart entre les industries installées à Bahia et celles installées à Pernambuco et à Ceará devient visible dès lors qu’on compare la productivité du travail ; tandis que chaque travailleur industriel de Bahia produisait l’équivalent de 239,00 cruzeiros en 1985, les travailleurs de Pernambuco et Ceará ne produisaient respectivement que 107,00 et 76,00 cruzeiros.